Les jeux en ligne n’ont rien à voir avec le travail du dimanche ? Pas tout à fait. Cette nouvelle loi controversée – encore une – illustre aussi la puissance des lobbies sur un parlement godillot, qui renonce semble-t-il à sa mission d’élaboration d’un modèle français, pour céder à toutes les sirènes du pouvoir ou de l’argent. |
L’examen du projet de loi sur l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne s’est achevé, vendredi 9 octobre, à l’Assemblée nationale. Sous l’oeil attentif des lobbies installés en tribune, le débat a revêtu une tournure très politique. Emaillé d’échanges tendus, parfois à la limite de la violence. A l’image d’Eric Woerth, en réponse à Aurélie Filippetti (PS, Moselle), qui avait déploré que « l’intérêt général (soit) une fois encore dissout au profit des intérêts de quelques « happy few » » : « Votre intervention, lâche froidement le ministre du budget, c’est du bas niveau, c’est du caniveau ! »
Le gouvernement aurait souhaité contenir la discussion sur un terrain technique, en présentant son projet comme « une voie médiane », un outil permettant de poser des « règles » dans le cadre d’une « ouverture maîtrisée ». Les principaux orateurs opposés à ce texte ont voulu le placer sur un autre plan. « Ce texte pose la question des valeurs que nous voulons pour notre société, a posé d’emblée Gaëtan Gorce (PS, Nièvre). Si nous reculons sur le thème de l’intérêt général, nous créons une situation dans laquelle nous banalisons le jeu, nous considérons que le jeu est une activité économique profitable pour les uns, même si elle ne l’est pas pour les autres, et sur laquelle l’Etat n’a plus à intervenir. Cette évolution-là nous pose des questions sur l’idée que nous nous faisons de notre société. »
« Une question est dans tous les esprits : pourquoi ? », s’est interrogé François Bayrou (non-inscrit, Pyrénées-Atlantiques). « Pourquoi abandonnez-vous le modèle français ? Pourquoi l’Etat renonce-t-il à assumer sa mission de maîtrise et de régulation ? Il n’y a, je regrette de le dire, qu’une réponse à cette question : c’est pour faire entrer des opérateurs privés sur le marché juteux du jeu. C’est donc un choix de société que vous allez faire et très nombreux sur ces bancs sont ceux qui ne le partagent pas et le combattront », a conclu le président du MoDem, vivement applaudi sur les bancs de la gauche.
« C’EST ANTI-FRANÇAIS »
Le projet du gouvernement, en effet, n’échappe pas au soupçon d’avoir été élaboré sous la pression d’opérateurs déjà en ordre de bataille et en attente d’une législation plus tolérante pour pouvoir lancer leurs offres. C’est en citant quelques noms parmi les principaux bénéficiaires – « Arnaud Lagardère, Martin Bouygues, Patrick Le Lay, Vincent Bolloré, François Pinault, Dominique Desseigne, Patrick Partouche, Alexandre Balkany… » – que Mme Filippetti s’est attiré la violente réplique de M. Woerth. « Vous avez cité des noms, mais il faut aller plus loin. Dites-nous si ce sont des criminels, des repris de justice ! », s’est emporté le ministre. « C’est anti-français ! », s’est exclamé le rapporteur pour avis, Etienne Blanc (UMP, Ain).
En autorisant une « offre légale », le gouvernement dit vouloir « assécher l’offre illégale ». Selon le ministre du budget, « une cinquantaine d’opérateurs » devraient demander l’agrément auprès de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Celle-ci sera formée d’un collège de sept membres, nommés par décret, et d’une commission consultative de 18 membres comprenant 2 « défenseurs des joueurs », 4 représentants du monde sportif, 2 du monde hippique, quatre opérateurs, 2 membres des associations familiales et 2 des associations de consommateurs. « Le projet de loi fait entrer le lobby des opérateurs dans l’autorité indépendante », s’indigne M. Gorce.
Aux yeux de l’opposition, l’examen du projet de loi a mis en évidence la faiblesse des réponses que celui-ci apporte sur les problèmes d’addiction au jeu, de blanchiment d’argent, de conflits d’intérêts quand les opérateurs de paris en ligne sont également engagés dans le parrainage d’équipes, ainsi que sur les menaces que ce texte fait peser sur le financement du sport et de la filière équine. Le vote solennel aura lieu mardi 13.