Guillaume Poitrinal, président Unibail-Rodamco : "le client veut apprendre"

Les Centres commerciaux seraient en panne. Vrai ou faux ? En France peut-être. En Espagne, c’est sûr. En Pologne, pas encore. Le travail du dimanche pourrait bien être alors un remède incontournable pour les foncières qui voient la crise malmener la rentrée des loyers. L’arbitraire des zones proclamées « touristiques » comme La Défense, que nous avons dénoncé depuis longtemps, se prouverait donc avec cette interview intéressante du Monde. Un arbitraire qui n’est d’ailleurs peut-être pas terminé. Il peut augmenter en puissance dans les mois qui viennent, la crise n’étant pas terminée, loin de là, le Grand Paris moderne s’attaquant aux vieilles résistances d’une Capitale candidate au lifting. A quand en effet le Forum des Halles, zone touristique ? On pourra bien nous chanter les vertus de centres commerciaux, nouveaux lieux de vie idéaux où faire ses courses ne signifie plus faire ses commissions, mais se donnant radieusement lieu où « le consommateur veut découvrir, apprendre, se cultiver », la réponse surgira infailliblement : découvrir quoi ? apprendre quoi ? se cultiver avec et pour quoi ? Le centre commercial, bonne alternative à la faillite patente de notre école ? on peut le rêver. Plus sérieusement, relisons Globalia de Jean-Christophe Rufin. La dystopie, vous connaissez ?

LE MONDE ECONOMIE | 27.10.09

Guillaume Poitrinal, président du directoire d’Unibail-Rodamco : « Le client veut apprendre »

Guillaume Poitrinal dirige Unibail-Rodamco, la première foncière européenne depuis sa fusion avec le hollandais Rodamco en mai 2007. Son patrimoine, évalué à 22,8 milliards d’euros, est notamment composé de 104 centres commerciaux parmi les plus grands d’Europe, qui représentent 75 % de son portefeuille, situés dans douze pays.

Pour la première fois, la consommation baisse. Quel est l’impact sur vos centres commerciaux ?

En France, la consommation s’effrite depuis le printemps. En septembre, la météo plutôt clémente n’a pas encouragé les dépenses d’habillement. Le secteur santé et beauté résiste, tandis que ceux de l’équipement de la maison et de l’électronique, c’est-à-dire les gros achats, souffrent et enregistrent des baisses de chiffres d’affaires de 8 % à 9 %. Mais ce n’est pas catastrophique.

En Espagne, par exemple, la baisse est plus brutale encore. Mais nos centres commerciaux bien situés et rénovés, comme ceux de Barcelone, parviennent à tirer leur épingle du jeu. En Pologne, où nous possédons, au coeur de Varsovie, le centre Zlote Tarasy, la croissance est, en revanche, toujours d’actualité.

Comment réagissez-vous à cette baisse ?

Nous sommes convaincus que les consommateurs sont au rendez-vous dès que nous leur offrons un confort d’achat fait de mille détails ; des aires de repos, une bonne signalétique, des restaurants, des services… Il nous faut aussi composer une offre commerciale diversifiée, en accélérant la rotation des enseignes, en trouvant des concepts commerciaux originaux. Toute la difficulté est d’attirer les chaînes de magasins internationales qui doivent être à la fois puissantes, attractives mais aussi sélectives dans leurs implantations, afin que notre offre ne soit pas complètement banalisée. Nous devons donc innover.

Dans les années 1980, par exemple, nous étions précurseurs en accueillant la Fnac au Forum des Halles. Il y a deux ans, ce fut le tour de la boutique de mode du japonais Uniqlo dans notre centre commercial des Quatre Temps, à la Défense, bien avant que la presse ne salue son installation toute récente dans le quartier de l’Opéra, à Paris.

Constatez-vous une évolution du comportement des consommateurs ?

Oui. Le temps où faire des courses signifiait remplir des sacs de marchandises est révolu. Le consommateur veut découvrir, apprendre, se cultiver. Il ne vient plus par nécessité. Il vient, par exemple, essayer de nouvelles recettes dans les boutiques Kitchen Bazaar ou Du Bruit dans la cuisine. Nous allons ouvrir un Apple Store au Carrousel du Louvre, qui ne sera pas seulement un espace de vente mais aussi l’occasion de se familiariser avec le maniement de son iPhone ou de son Mac […]

Vous avez attribué le Grand prix des jeunes créateurs du commerce le 24 septembre. De quoi s’agit-il ?

Nous avons créé cette manifestation en 2007 pour découvrir de nouveaux concepts commerciaux et soutenir leur développement. Nous mettons à la disposition des lauréats des locaux dans nos centres et leur offrons six mois ou un an de loyer. Nous avons, cette année, récompensé Arteum, dont l’ambition est de mettre l’art à la portée de tous en proposant des peintures, photographies, sculptures à des prix accessibles, entre 1 et 1 000 euros. Le deuxième prix est allé à Fishkiss, un concept de restauration rapide à base de poisson vapeur. Un prix d’encouragement a été décerné à Damien Schmitz, fondateur de Our, un restaurant de kebabs version chic.

Qu’est-il advenu des lauréats précédents ?

Nous avons connu des échecs et des succès. Parmi les réussites, on peut citer Ethnicia, un salon de beauté pour tous types et couleurs de peau ; Colorii, qui vend des cosmétiques destinés aux peaux métissées ; Macaronde, qui commercialise des glaces et des macarons ; ou Woko, qui propose une cuisine asiatique.

Ces énormes centres commerciaux, où beaucoup d’acheteurs se rendent en voiture, ne contredisent-ils pas la notion même de développement durable ?

Non. Ces équipements sont, au contraire, écologiques, car ils concentrent de nombreux commerces et évitent au client de prendre sa voiture pour aller de l’un à l’autre. Le chiffre d’affaires dans ces centres, par mètre carré, est le plus élevé, conduisant au meilleur bilan carbone par euro dépensé. Nous souhaitons, en outre, rendre le plus souvent possible nos centres accessibles par les transports en commun et attendons, par exemple, avec impatience, l’arrivée du tramway à Vélizy (Yvelines). Nous allons équiper dès 2010 nos parkings de prises pour les voitures électriques.

Isabelle Rey-Lefebvre


La première foncière européenne

Patrimoine. Il s’élève à 22,8 milliards d’euros.

Centres commerciaux. Unibail-Rodamco possède les plus gros centres d’Europe comme le Forum des Halles à Paris (40,4 millions de visites par an) ; les Quatre Temps à la Défense (38,5 millions de visiteurs), la Part-Dieu à Lyon (31 millions), le Shopping Sud à Vienne ou le Zlote Tarasy à Varsovie (18,3 millions).

Bureaux. La société détient des tours à la Défense et des centres d’exposition tels que le CNIT et le Carrousel du Louvre.


Parcours

1989
Guillaume Poitrinal, 41 ans, est diplômé d’HEC.

1992
Entre au département fusions et acquisitions de Morgan Stanley à Londres.

1995
Rejoint Unibail comme chargé de mission auprès du président Léon Bressler.

2006
Président-directeur général d’Unibail.

2007
Après la fusion avec Rodamco, devient président du directoire de Unibail-Rodamco.

2009
Elu président de l’European Real Estate Association (EPRA).

Article paru dans l’édition du 27.10.09

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