Le texte déférant les nouveaux articles de la loi de 1906 sur le repos dominical devant le Conseil Constitutionnel relève quatre grands domaines dans lesquels les principes constitutionnels sont violés. Tout d’abord, la violation des alinéas 10 et 11 de la Constitution de 46, qui font du repos dominical un droit constitutionnel : les nouveaux articles Mallié établissent un régime de dérogation permanent qui détruisent ce droit. Ensuite, la violation des articles 4, 5, 6, 16 de la Constitution de 1789, qui garantissent la clarté et l’intelligibilité de la Loi : les nouveaux articles du texte Mallié, incompréhensibles au citoyen non spécialiste, laissent subsister des imprécisions sur les notions de zones touristiques, de PUCE, et ne prévoit rien pour les zones touristiques qui seraient en PUCE. Puis la violation du principe d’égalité devant la Loi, puisque les droits d’un salarié en zone classée touristique seront moindres que ceux d’un salarié en PUCE. Et enfin, la violation de l’article 72 de la Constitution de 1946 établissant la libre administration des collectivités territoriales, puisqu’une commune peut prendre l’initiative de demande de dérogation pour un PUCE alors même qu’une partie du périmètre se trouvera sur le territoire d’une autre commune, et que pour Paris, le Préfet pourrait définir les zones touristiques ou les PUCE sans aucun accord du Maire et des représentants de la Commune. Ci dessous un résumé de ces différents points. Le texte intégral est disponible sur le lien « Lire la suite ». |
La violation des alinéas 10 et 11 de la constitution de 1946.
Ces alinéas stipulent que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », et que la Nation » garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs… «
Il en découle que le repos dominical, avantage social institué dans l’intérêt de tous les travailleurs, hommes et femmes, est un droit constitutionnel.
Devant ce droit ont naturellement été établies un certain nombre de dérogations, revêtant toujours un caractère d’exception pour faire face à des situations particulières tenant à des circonstances déterminées de temps, de lieu et au regard du type d’activité exercée et de la nature des produits vendus.
En effet, nul ne conteste qu’il faut assurer la permanence des services collectifs, des fonctions vitales du pays, de certaines activités industrielles, des activités liées au tourisme et à la culture, et même assurer une certaine souplesse au principe général.
Mais avec le texte Maillé, la dérogation est étendue dans un esprit fondamentalement différent :
Pour ce qui concerne les zones touristiques, alors que la loi de 1906 autorisait l’ouverture des commerces liées au tourisme et à la culture :
- la dérogation de plein droit concernera tous les commerces de détail sans un quelconque lien avec la nature touristique ou culturelle ;
- elle concernera toutes les communes touristiques, ce concept étant de plus entouré du plus grand flou : 500, ou 6000 communes.
Pour ce qui concerne les PUCE – périmètre d’usage de consommation exceptionnel
- la dérogation de plein droit concernera certaines unités urbaines de plus d’un million d’habitants. Pour l’instant limité à Paris, Marseille et Lille, ce concept pourrait étendre le régime dérogatoire à Lyon, Bordeaux, etc.
Il a été noté par le texte de la saisine qu’il est « de notoriété publique que ces PUCE sont nées de l’intention de contrer les pratiques illégales de certaines zones commerciales : « la création des Puce permettrait à des zones commerciales qui ouvrent le dimanche, parfois depuis des décennies, de continuer à le faire en toute sécurité sur le plan juridique » Autrement dit, on demande à la loi de remettre en cause un droit constitutionnel inscrit dans notre législation républicaine depuis 1906 au motif que des entreprises ont violé ce principe.
Ainsi, contrairement à l’esprit des dérogation qui ont été, de 1906 à nos jours, constamment remises à jour dans le texte de la loi, le nouveau régime dérogatoire du texte Mallié ne vise plus à répondre à des nécessités d’organisation, mais organise un régime dérogatoire permanent, contraire à l’accès pour le plus grand nombre au repos domincal protégé par la Constitution.
La violation du principe de clarté et de l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Le principe de clarté de la loi, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi,
découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789. Ils lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
Le problème des « communes touristiques ».
En ce qui concerne le texte Mallié, il y a tout d’abord cette imprécision concernant la définition de la commune touristique. Selon qu’il s’agit de la définition du Code du Travail ou de celle du Code du Tourisme, il y a 500 communes éligibles selon le premier, 5000 à 6000 selon le second. Mais il existe encore un troisième texte concernant les communes touristiques, le texte R 133.32, qui peut donner lieu à une troisième interprétation !
Si ces trois textes existaient avant le texte Mallié, leur non-cohérence devient dangereuse car ils deviennent les références pour évaluer le droit à une dérogation de plein droit au principe du repos dominical. Un travail législatif sérieux aurait commencé par clarifier, simplifier, et harmoniser ces trois textes.
Le problème de la définition des PUCE
Il est impossible de donner une définition rationnelle et objective des notions de « périmètre d’usage de consommation exceptionnel », d’ »unité urbaine », d’ »habitudes de consommation dominicale », d’importance de la clientèle et d’éloignement de celle-ci dudit périmètre. En tout cas, le texte Mallié, qui a imaginé le concept de PUCE pour protéger des zones commerciales illégales spécifiques, ne le précise pas.
Or le caractère irrationnel de ces critères ouvre sur l’arbitraire de l’interprétation administrative.
Le problème des PUCE touristiques
On peut facilement imaginer qu’une zone soit à la fois PUCE et zone touristique. Il suffit de se rappeler du souhait de Nicolas Sarkozy, qui voulait classer tout Paris en zone touristique.
Dès lors, quel régime s’appliquera-t-il ? Le régime de la zone touristique, ou le travail du dimanche ne comporte aucune contrepartie, ou celui de la PUCE, ou il peut comporter des contreparties ?
La violation du principe d’égalité devant la loi.
Les salariés seront traités différemment selon qu’ils travailleront dans une entreprise relevant du régime de l’article L. 3132-25 (les zones touristiques) ou d’une entreprise relevant du régime de l’article L. 3132-25-1 du texte Mallié (les PUCE).
En effet, l’article 3125-25-1 prévoit certaines compensations (
le « volontariat » écrit, etc) qui, pour être souvent cosmétiques, n’en sont pas moins existantes, mais ne s’appliquent pas dans le cadre de l’article 3132-25.
En quoi travailler le dimanche dans une zone classée touristique devrait-il donner moins de droits que de travailler le dimanche dans une PUCE ?
De plus, « l’absence de clarté des définitions retenues risque de placer des entreprises en situation de pouvoir choisir le régime auquel elle préfère se soumettre. Gageons qu’elles choisiront celui le moins protecteur des salariés ».
Le texte relève aussi le problème soulevé par le cas de Paris : la nouvelle rédaction de l’article 3132-25 donne au Préfet de Paris la possibilité de faire figurer Paris sur la liste des communes touristiques et de définir le périmètre des zones touristiques d’affluence exceptionnelle sans aucune proposition ni du maire de la collectivité intéressée, ni a fortiori de son organe délibérant. A l’inverse de Marseille et de Lyon, les représentants du suffrage universel dans la capitale n’auront pas leur mot à dire, le Préfet pouvant décider seul en se substituant à eux. Il s’agit d’une régression démocratique, après la loi de décembre 1975 qui limitait précisément le poids du pouvoir préfectoral dans la capitale.
Violation du principe de libre administration des collectivités territoriales
Ce principe découle de l’article 72 de la Constitution (refondue par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003), et prévoir que les collectivités s’administrent librement par des conseils élus et ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon en vertu du principe de subsidiarité. En outre, il est édicté qu’une collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre.
A cet égard, le texte du Docteur Mallié pose deux problèmes.
Une commune pourra décider pour une autre commune
Tout d’abord, pour ce qui concerne les PUCE, le Préfet de Région sera saisi par une demande du conseil municipal de la commune concernée au premier chef.
Or, il se peut qu’un PUCE empiète sur le territoire d’une autre commune que la commune demandeuse. La loi a prévu que la commune concernée serait consultée pour donner son avis. Mais cet avis pourra ne pas être suivi par le Préfet.
Autrement dit, une commune peut prendre l’initiative de demande de dérogation pour un PUCE alors même qu’une partie du périmètre se trouvera sur le territoire d’une autre commune. Cette dernière n’aura pas le pouvoir de s’y opposer mais seulement de donner un avis.
A Paris, le Préfet décidera à la place du Maire
Le régime de Paris est un peu particulier : le Préfet y détient des pouvoirs tout à fait spécifiques, qui sont détenus par le Maire dans toutes les autres communes de France. Mais les lois du 31 décembre 1975, du 31 décembre 1982, de loi de février 2002, tendent à aligner Paris le plus possible sur le régime de droit commun.
Pour ce qui concerne le repos dominical, la loi de 1906 impliquait une procédure qui ne faisait aucun sort particulier à Paris : pour le définition des zones touristiques, c’est sur demande des conseils municipaux que le Préfet arrêtait la liste et les périmètres en cause. C’est d’ailleurs ainsi que sept zones touristiques étaient définies : une partie de la rue de Rivoli, la place des Vosges et la rue des Francs Bourgeois, la rue d’Arcole, les Champs Elysées, le viaduc des arts, la Butte Montmartre et une partie du Boulevard Saint Germain.
Mais maintenant, le nouveau texte prévoit que c’est le Préfet qui est l’autorité administrative compétente pour décider de l’application ou non de cette dérogation au droit au repos. Le législateur prive la Capitale non seulement de proposer de définir des zones touristiques mais même de donner son simple avis, et restaure les pouvoirs du Préfet à un état antérieur à la loi de 1975.
Texte intégral de la saisine sur le lien Lire la suite