"Plan-de-Campagne est une zone de non-droit"

L’Huma, 17/08/09

Muriel Martin est secrétaire de l’union locale CGT de Gardanne et de Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône). Entretien.

Entre Aix-en-Provence et Marseille, Plan-de-Campagne s’enorgueillit d’être la plus grande zone commerciale d’Europe. Depuis quarante ans, à coups d’arrêtés préfectoraux, certaines enseignes du centre ont été autorisées – à titre dérogatoire – à ouvrir le dimanche. Peu à peu, cette zone, qui compte 1 100 salariés ce jour-là, s’est muée en symbole de la lutte contre le travail dominical. Pour en finir avec la « guérilla judiciaire » entamée par les syndicats, le député des Bouches-du-Rhône, Richard Mallié (UMP), a pris sa plume et proposé une loi.

En janvier 2008, le tribunal administratif de Marseille annulait 133 arrêtés préfectoraux autorisant des magasins de la zone commerciale de Plan-de-Campagne à ouvrir le dimanche. Où en est-on de l’application ?

Muriel Martin. Depuis cette décision, aucune autre dérogation n’a été accordée. Pourtant, pour forcer les entreprises à appliquer la loi, il a de nouveau fallu saisir le tribunal de grande instance en début d’année. La justice a validé le caractère illégal de la situation et leur donnait un délai de cinq mois pour fermer. Ce délai courait jusqu’au week-end dernier, désormais des huissiers de justice sont chargés de constater l’infraction. Il faudra alors repasser devant le tribunal pour le paiement des astreintes. Cela explique également l’empressement des députés à faire passer ce texte de loi avant la fin août.

La CGT et la CFDT proposaient, en 2007, un accord afin que les enseignes soient compensées de la perte du chiffre d’affaires (allégement de la taxe foncière, de la taxe professionnelle, baisse du loyer…) en contrepartie de la fermeture le dimanche. Cela n’a pas servi de garde-fou ?

Muriel Martin. Cet accord a été rejeté en bloc par l’UMP et par d’autres organisations syndicales telles que FO, la CFTC et la CGC. C’est ce qui nous a depuis poussés à passer par la voie juridique qui ne faisait pas partie de nos options. Au départ, nous voulions arriver à une fermeture de l’ensemble des commerces de Plan-de-Campagne dans les plus brefs délais sans perte de salaires et en trouvant des solutions pour que cette affaire ne vire pas à la « catastrophe économique », comme le disaient les patrons. Mais l’enjeu consistait bien à généraliser le travail du dimanche et à légiférer afin que les enseignes puissent ouvrir en toute légalité.

Y a-t-il eu des pressions sur les salariés ?

Muriel Martin. Il y a tout d’abord eu ces fameuses manifestations contre la CFDT et la CGT à Marseille pour l’ouverture des magasins le dimanche. Les salariés se taisent, donc il est difficile d’avoir une confirmation mais, a priori, ils ont été forcés à manifester. Parmi ceux qui ont refusé, certains ont été mutés, d’autres ont été obligés de rester toute la journée dans la réserve du magasin pour ranger… Lors des élections prud’homales, les directions avaient affrété des cars pour les inciter à voter en leur sens. Plan-de-Campagne est une zone de non-droit. Lorsque ce débat sur le travail du dimanche a été engagé, l’inspection du travail refusait d’aller sur le terrain pour constater. Enfin, au moment de l’embauche, soit les salariés sont d’accord pour travailler le dimanche, soit on leur propose d’aller chercher du travail ailleurs. Ils n’ont pas le choix, le volontariat n’existe pas. Après, il existe une autre réalité : celle des étudiants qui ne rechignent pas forcément à travailler ce jour-là.

À quels types de contrats sont liés les salariés de Plan-de-Campagne ?

Muriel Martin. La majorité des commerces de Plan-de-Campagne sont de petites enseignes, 90 % des salariés sont des femmes précaires et malléables, embauchées à temps partiel. Il n’y a quasiment aucun salarié à temps complet. C’est clairement du temps partiel imposé et pour arriver à gagner un peu plus, on leur brandit la carotte du dimanche. Autre problème : pendant ce temps-là, à qui confier les enfants si elles sont seules ?

Cette bataille a-t-elle été étendue aux petits commerces du département ?

Muriel Martin. Ils sont clairement opposés à l’ouverture du dimanche. Au départ, en 2002, ce n’est pas la CGT qui engage la bataille mais la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) de Marseille. Ils attaquaient alors Plan-de-Campagne sur le thème de la concurrence illégale. Ces petits patrons ne font pas assez de chiffre et ne peuvent se permettre de payer double les salariés, sans compter les frais fixes. Les seules entreprises intéressées par le travail du dimanche sont les grands groupes. C’est d’ailleurs les salariés de ces groupes-là qui ont pris le relais de la lutte. Il n’y a pas de hasard.

Entretien réalisé par Lina Sankari

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