L’Huma, 17 août 2009 – Mehdi Fikri
Flexibilité . La loi sur le travail dominical entre en vigueur. Des salariés du BHV de la rue de Rivoli, à Paris, se sont mis en grève, tandis que FO a déposé une plainte auprès de l’OIT.
Pas encore concernés mais déjà très inquiets, des salariés du BHV de la rue de Rivoli ont décidé d’anticiper l’application progressive de la loi sur le travail dominical. En grève à l’appel de la CFDT commerce, des employés de l’enseigne de bricolage ont dénoncé hier « la course folle à l’élargissement des horaires d’ouverture ». Ils ont aussi demandé à Bertrand Delanoë d’user du pouvoir conféré aux maires par la législation et de « ne pas céder » à ceux qui souhaitent étendre l’ouverture des grands magasins le dimanche. La CFDT craint que le maire de Paris accepte la création de nouvelles « zones touristiques » englobant le Printemps, les Galeries Lafayette ou le BHV, ce qui leur permettrait d’ouvrir plus de cinq dimanches par an. Cette grève intervient dans un contexte très tendu : le syndicat affirme que des salariés du BHV de la rue de Rivoli ayant refusé de travailler le samedi 15 août ont reçu des lettres de « menace », ce que dément la direction.
après la polémique parlementaire…
Ce mouvement a sans doute quelque peu gâté l’ambiance au ministère du Travail, où l’on parle déjà, selon le Monde, « d’une très bonne nouvelle pour l’économie ». Car, après une polémique parlementaire qui a divisé jusque dans les rangs de la majorité, et une adoption définitive par une majorité restreinte, la loi sur le travail dominical est finalement entrée en vigueur mercredi. De nouveaux magasins ont pu ouvrir hier, dans 569 « communes d’intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », définies par la loi Mallié. Dans la capitale, le prêt-à-porter par exemple est à présent logé à la même enseigne que les magasins « culturels ou récréatifs » qui avaient déjà le droit d’ouvrir leurs portes. Quant aux commerces alimentaires, ils ont bénéficié hier d’un rab d’une heure et ont pu fermer leurs portes à 13 heures au lieu de midi. À Paris, Marseille-Aix et Lille, des magasins situés dans des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE) n’attendent plus qu’un décret d’application, à venir en septembre, pour demander à leurs salariés de bosser le dimanche. Théoriquement, chaque salarié privé de repos dominical devra percevoir « une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente, ainsi qu’un repos compensateur équivalent en temps ». La loi stipule que, « dans l’intérêt du salarié, le repos hebdomadaire est donné le dimanche » et que « le refus d’un demandeur d’emploi d’accepter une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi ». Reste à savoir comment sera appliquée la loi, sachant qu’elle prévoit de très nombreuses dérogations.
Par ailleurs, les retombées pour la croissance sont très hasardeuses. Certes, les grands magasins (Ikea, Leroy Merlin), déjà autorisés à ouvrir le dimanche, disent réaliser près d’un quart de leur chiffre d’affaires le dimanche. Les commerces situés dans des zones à forte affluence touristique et ceux situés au coeur des grandes villes font également état du bénéfice en hausse ce jour-là. Mais de là à estimer que l’ouverture dominicale génère des dépenses qui n’auraient pas été effectuées en semaine, il y a un pas. Selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRéDOC), citée par le Monde, 81 % des consommateurs estiment que faire leurs emplettes le dimanche ne les conduit pas à dépenser plus, quelle que soit la catégorie de produits achetés. Pire, l’organisme estime que l’ouverture dominicale peut provoquer des suppressions de postes. Une casse, chiffrée entre 6 800 et 16 200 dans le commerce alimentaire, qui pourrait être provoquée mécaniquement, si le chiffre d’affaires réalisé le dimanche ne compense pas la hausse des charges sociales.
Les inégalités dans la rémunération
Le Parti socialiste a soulevé la question des inégalités dans la rémunération entre les salariés travaillant dans les zones touristiques et ceux travaillant dans les PUCE. Pas de problème, pour le Conseil constitutionnel : « La loi ne porte pas atteinte au principe d’égalité entre salariés. » Le Conseil estime que « les salariés travaillant dans les communes touristiques en vertu d’une dérogation de plein droit liée aux caractéristiques des activités touristiques sont dans une situation différente de celles des salariés travaillant dans les PUCE en vertu d’une autorisation administrative temporaire. Dès lors, le législateur pouvait, sans créer de discrimination, prévoir pour ces derniers une majoration légale de la rémunération en l’absence d’accord collectif », qui n’existe pas dans les zones touristiques. De son côté, Force ouvrière a entamé une procédure auprès de l’Organisation internationale du travail. Le syndicat récuse la conformité de la loi aux règles internationales du travail, en estimant qu’elle est « contraire à la convention 106 sur le repos hebdomadaire ». Cette convention, adoptée en 1957, limite les dérogations accordées au respect d’un jour de repos hebdomadaire.