La convention 106 sur le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux

Koztoujours, 19/08/09

Travail dominical : autant que possible, continuons le combat

Il faut se méfier de l’eau qui dort. Personne ne croit que je puisse être doté d’une âme de révolutionnaire. C’est extrêmement désobligeant, à force. Mais, croyez-le ou non, moi aussi, je peux être sensible au bruit du combat de rue, au ‘poc’ du flashball, aux courses éperdues avec les camarades de lutte dans la fumée des lacrymos. Moi aussi, ça me dirait bien d’organiser des AG démocratiques où l’on referait le monde et l’amour dans les travées.

Mais j’ai appris, aussi, à ne pas céder à la première impulsion. Et puis j’ai pris des cours de droit. Il n’empêche : dans cette affaire du travail dominical, je trouverais cela taquin que la loi soit finalement jugée inconventionnelle, et que ce soit par l’action de la CGT, de FO (entre autres) que le repos dominical soit respecté.

Et l’on aurait tort, voyez-vous, de sous-estimer la menace. Souvenez-vous du CNE, jugé contraire à la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail par deux arrêts de la Cour de cassation en date du 1er juillet 2008 (et un, et deux).

Or, la France a ratifié il n’y a pas si longtemps (1971), alors que la droite était au pouvoir, la Convention concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux (Convention 106 ndlr). Et que dit-elle, la Convention ?

« Article 6

1. Toutes les personnes auxquelles s’applique la présente convention auront droit, sous réserve des dérogations prévues par les articles suivants, à une période de repos hebdomadaire comprenant au minimum vingt-quatre heures consécutives au cours de chaque période de sept jours.

2. La période de repos hebdomadaire sera, autant que possibleaccordée en même temps à toutes les personnes intéressées d’un même établissement.

3. La période de repos hebdomadaire coïncidera, autant que possibleavec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région.

4. Les traditions et les usages des minorités religieuses seront respectés dans toute la mesure du possible. »

Notez que je ne peux m’empêcher de noter un certain parallélisme de la formulation. Là où l’on évoque aujourd’hui des « usages de consommation dominicale », on évoquait il y a peu encore un usage de repos dominical. N’est-ce pas là une adorable illustration du glissement de la société ?

L’article 6 prévoit des dérogations, aux articles suivants. Suivons, donc. Il y en a de deux sortes et, comme les juristes ont de la suite dans les idées, ils les ont mises aux articles 7 et 8.

L’article 7 prévoit ainsi que :

« 1. Lorsque la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissementl’importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l’application des dispositions de l’article 6, des mesures pourront être prises, par l’autorité compétente ou par l’organisme approprié dans chaque pays, pour soumettre, le cas échéant, des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées d’établissements comprises dans le champ d’application de la présente convention à des régimes spéciaux de repos hebdomadaire, compte tenu de toute considération sociale et économique pertinente. »

Il y a là à matière à s’interroger. Les dérogations indifférenciées permettent-elles d’invoquer avec succès les hypothèses de dérogation ainsi visées. Que la vente de pain, ou que l’activité ô combien indispensable de la sage-femme exigent qu’une activité puisse être maintenue le dimanche est bien compris par tous. Mais la vente de polos Lacoste constitue-t-elle un travail exigeant une ouverture le dimanche ? Le « nombre de personnes employées » n’est pas une considération prise en compte par la loi généralisant les dérogations au repos dominical (c’est bien ça, son titre, non ?).

En revanche, l' »importance de la population à desservir » pourrait-elle constituer un motif recevable ? Dans les Périmètres d’Usage de Consommation Enfiévrée, et quoique le « E » puisse laisser penser, j’ai un doute. Le motif en effet est certes l’usage de consommation, mais correspond-il pour autant à l’importance de la population ? Pourquoi Plan-de-Campagne et pas Lyon, dans ce cas ? La question pourra se poser en revanche pour les zones touristiques. Pas forcément parce que Madame Obama est à elle seule une population importante, même si elle n’est pas foutue de s’organiser pour faire les courses quand les magasins sont ouverts et visiter Paris le dimanche. Mais bon. Vous voyez ce que je veux dire.

L’article 8, pour sa part, prévoit que :

« 1. Des dérogations temporaires, totales ou partielles (y compris des suspensions ou des diminutions de repos), aux dispositions des articles 6 et 7 pourront être autorisées dans chaque pays, soit par l’autorité compétente, soit selon toute autre méthode approuvée par l’autorité compétente et conforme à la législation et à la pratique nationales: a) en cas d’accident, survenu ou imminent, et en cas de force majeure ou de travaux urgents à effectuer aux installations, mais uniquement dans la mesure nécessaire pour éviter qu’une gêne sérieuse ne soit apportée au fonctionnement normal de l’établissement; b) en cas de surcroît extraordinaire de travail provenant de circonstances particulières, pour autant que l’on ne puisse normalement attendre de l’employeur qu’il ait recours à d’autres mesures; c) pour prévenir la perte de marchandises périssables. »

Là, mes amis, je crois qu’aucun motif de dérogation ne puisse être retenu, tout simplement parce que la loi a institué des dérogations permanentes et non temporaires. Vous pouvez d’ailleurs oublier la suite.

Alors, c’est tout bon ? Pas complètement sûr. Pourquoi ? Vous voudriez bien le savoir, hein ? Eh ben, c’est 100 balles !

Bon, allez, à période faste, magnanimité. Ce qui me fait tiquer, au-delà de « l’importance de la population à desservir », critère qu’il conviendrait de tirer par les cheveux pour l’appliquer aux circonstances qui nous occupent, c’est davantage l’idée saugrenue qui a conduit à intégrer à deux reprises dans l’article 6 trois petits mots insolites dans un texte juridique que l’on veut contraignant : « autant que possible« . C’est quoi ce truc, là, « autant que possible » ? Ca se mesure comment ? C’est quoi le pas « autant que possible » ? Remarquez que, jusqu’à maintenant, il n’a manifestement pas semblé pas « autant que possible » aux commerces de ne pas ouvrir le dimanc
he. Alors, puisque la France n’a pas jugé bon de dénoncer préalablement cette convention internationale, voilà une possibilité, une faille, une brèche, que dis-je, c’est un gouffre !

Mais vraiment, cet « autant que possible« , ça me chagrine. On ne fait pas la révolution « autant que possible« .

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