La loi sur le travail du dimanche a été adoptée de justesse au Sénat, le 22 juillet, imposée par le Président de la République contre les convictions intimes d’une partie des parlementaires. Député UMP de la Drôme, Hervé Mariton est de ceux qui ne l’ont pas votée (271 votes pour, 10 contre, 15 abstentions ). Auteur d’un rapport sur les questions de société pour son groupe parlementaire, il explique pourquoi il est urgent que les politiques soient plus au clair sur ces sujets.
Extension du travail du dimanche, avant-projet de loi sur un statut de beau-parent, secrétaire d’État à la famille favorable aux mères porteuses… La droite sait-elle encore où elle va sur les sujets de société ?
Nous sommes dans une situation délicate. Sur les sujets de société, entre le président de la République et sa majorité, le doute s’est insinué. Certes, nous reconnaissons à Nicolas Sarkozy le mérite d’oser aborder des sujets sur lesquels la droite était plutôt « gelée », mais la manière laisse un goût d’impréparation et d’incertitude.
Quand on essaie, par exemple, de traiter la question de l’adoption par des personnes homosexuelles au détour d’un avant-projet de loi sur le « statut du beau-parent », ce ne sont pas des méthodes acceptables.
Aujourd’hui, la majorité éprouve le besoin de réfléchir sur ces sujets. C’est le sens du rapport qui m’a été demandé par Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Avec la crise, ces questions prennent d’autant plus d’importance que les Français sont en attente de repères et de valeurs.
Est-ce pour cela que vous avez voté contre la dernière proposition de loi sur le travail du dimanche ?
L’exécutif – le président de la République et les ministres – n’a eu de cesse de répéter que ce vote était une question de principe. Il s’agissait de donner un signal fort aux Français, de réhabiliter la valeur travail, et par là même d’honorer un engagement de la campagne présidentielle.
Eh bien, s’il s’agit avant tout d’une question de principe, je suis contre. Je pense que toute société a besoin de rythmes et de rites. Il y a six jours pour avoir et un pour être. Et ce jour de repos ne peut relever du simple arrangement personnel.
Une société ne peut être faite que de contrats et de conventions. L’ensemble de la société française n’est pas un espace privé. Pour vivre ensemble, il faut un minimum de règles communes et de principes. Le principe du repos dominical en est un.
Dans votre rapport, vous expliquez que Nicolas Sarkozy a décomplexé la droite sur l’immigration, la sécurité ou le travail, mais que sur les questions de société, la droite court après la gauche. Que voulez-vous dire ?
Sur les sujets de société, la droite a la tentation de déchirer la tunique. Je ne dis pas qu’on ne peut pas avoir cette tentation, mais au moins il faut qu’on sache pourquoi on le fait.
Or, aujourd’hui, sur les questions de société, la droite donne l’impression de faire du suivisme. Elle fait comme la gauche, en un peu plus modéré. Les révisions des lois de bioéthique sont une bonne illustration. Lorsque vous discutez avec Philippe Bas, qui a présidé le groupe de travail du Conseil d’État sur ce sujet, il vous explique à demi-mot que s’il a préconisé une levée de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, c’est qu’il s’était déjà opposé la légalisation des mères porteuses : il ne pouvait pas dire non à tout…
En réalité, la droite se laisse avoir par l’idée – chère à la gauche – qu’il existe un « sens de l’histoire » : le concept selon lequel des évolutions s’imposeraient forcément à nous. La droite n’a pas vocation à faire de l’immobilisme, mais elle ne doit pas pour autant être atteinte de « bougisme ».
Comme priorité d’une droite décomplexée sur les sujets de société, vous mettez en avant la « famille durable ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Parler de « famille durable », c’est reconnaître que la famille est un élément essentiel de la société. Il n’y a pas l’individu et le cosmos. Entre les deux, il y a un certain nombre d’intermédiaires, dont la famille. Et la stabilité de cet intermédiaire est importante pour la stabilité de la République.
Par exemple, la solidarité publique n’est normalement là que pour pallier les insuffisances éventuelles de la solidarité familiale. Et pas l’inverse. Il est donc de la responsabilité de la République d’assumer une politique familiale.
Pourtant, là aussi, la droite a tendance à suivre le mouvement. Alors que la politique familiale a été conçue pour soutenir la famille – quels que soient ses revenus –, elle a tendance à devenir de plus en plus un système de prestations sociales. On glisse peu à peu d’une logique personnelle et collective à une logique individualiste et consumériste.
Or, avec la crise, l’État va chercher à faire des dizaines de milliards d’économies. Il est donc urgent de savoir ce que l’on veut sur cette question.
Comment expliquez-vous que la droite ait tant de mal à être au clair sur tous ces sujets ?
D’abord, je pense que la droite avait l’habitude d’être naturellement légitime sur ces sujets. Prenez la politique familiale, on considère que c’est un domaine de compétence acquis.
Ensuite, soyons clairs : la droite a peur d’être « réac » ! La gauche n’a aucun problème pour parler d’un certain nombre de sujets de société, mais la droite n’ose pas prendre position de peur d’être taxée de « moraliste », voire de « catho »…
Le malheur, c’est que du coup, on tue le débat. La question de l’avortement est un très bon exemple. En Grande-Bretagne, alors que la loi sur l’avortement est plus libérale, il y a moins d’avortements qu’en France. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en Angleterre, la question de l’avortement n’est pas un tabou. La société débat de cette question.
En France, il est impossible d’en parler sans être tout de suite catalogué comme « pro-life » ou pro-Planning familial. Il n’y a pas de débat possible.
Le vote du travail du dimanche n’est-il pas la preuve que ce débat a du mal à exister au sein de la majorité présidentielle ?
Je n’en suis pas sûr. Je pense que les députés ont réellement réussi à limiter les dégâts. Nous avons obtenu que le nombre de dimanches ouvrables reste limité à cinq par an, ou que les autorisations d’ouverture des centres commerciaux en périphérie des grandes agglomérations ne se limitent, en grande partie, qu’à régulariser des situations déjà existantes.
Maintenant, je concède qu’en termes symboliques, l’exécutif a obtenu ce qu’il voulait.
Pour autant, ce texte n’a pas été facilement voté, et je pense que le message est passé. Aujourd’hui, les députés sont décidés à ne pas laisser l’exécutif faire n’importe quoi. Et nous continuerons d’attirer son attention sur le fait qu’il n’est pas acceptable que les sujets de société soient traités à la va-vite.
Emmanuel Pellat