AFP/Archives/Fabrice Coffrini Discours de Nicolas Sarkozy devant les membres de l’OIT, le 15 juin 2009 |
Liberté Politique, 3 juillet 2009 | Hélène Bodenez
Il ne suffit pas de tenir des discours offensifs de circonstance. Le président de la République s’est élevé le 15 juin dernier à Genève devant l’Organisation internationale du travail contre le primat de l’économie, rien de moins. Oui, ce discours était grand, mais l’on voudrait prendre le Président au mot, concrètement, dans la bataille du dimanche.
Au cœur de l’allocution est montée une interrogation véhémente à propos de « l’extension de la sphère marchande sur les activités humaines ». C’était pour la condamner et en appeler alors à la question centrale de « la régulation de la mondialisation ». Comme les auditeurs de l’OIT, on a envie à ce moment précis d’applaudir à la hauteur de vue humaniste et à l’« exigence de raison » qui se font jour, mais comment y croire quand, quatre jours plus tard, Brice Hortefeux vient présenter la proposition de loi dérégularisant le travail du dimanche en France, proposition de loi tant décriée et imposée de force aux députés de la majorité et véritable régression sociale ?
Libération ou régression ?
Car le dimanche en France n’est pas le lot d’un « vieux pays » [1], contrairement à ce qu’assène, insultant, un hebdomadaire acquis à la cause des promoteurs du travail le dimanche et des élèves zélés de la commission Attali en ces décisions 136 et 137. La France en son dimanche libre est pays durable et au fond plus que jamais moderne. Xavier Darcos, le nouveau ministre du Travail, peut bien réendosser les hardes du vieux discours de Xavier Bertrand, faire croire à la « nécessité » et à la « modernité » de la proposition de loi Mallié [2]. Rien à faire. N’inversons pas les choses.
Faire l’éloge du « travail décent » à Genève, oui bien sûr, mais se dédire ensuite en France hypothéquant sur le champ les nouvelles logiques de la mondialisation mises en avant en Suisse, est-ce bien cohérent et crédible ? Pataquès et confusion des esprits, voilà ce à quoi on aboutit. On souhaite un modèle de développement consistant à produire plus et à consommer davantage, tendre vers l’élévation du niveau de vie et l’amélioration du bien être ? Mais le bonheur de l’homme n’est-il donc fait que de pain ? N’est-ce pas « chimérique et irresponsable » de ne voir l’homme que comme une seule force de travail ?
On stigmatise au pays de Rousseau le « droit du commerce au-dessus de tout ». Mais que fait-on en légiférant la délinquance économique à la barbe de nos jeunes marginalisés et ghettoïsés au pays de Bernanos et de Péguy ? Qu’on le redise [3], le dimanche n’est pas à vendre ; il n’appartient pas aux marchands et comme « la santé, l’éducation, la culture ou la biodiversité », le dimanche temps de liberté et d’égalité, loisir précieux créant du lien fraternel, « n’est pas une marchandisation comme les autres ». Le dimanche est de cette « diversité culturelle » à protéger en Europe. Où est la « raison » ? Dans ce dossier explosif, on attisera bien plutôt « la révolte » en ne faisant pas « justice » en donnant à tous ce jour que certains lisent même comme sacré [4].
Au pied du mur
À l’heure des mea culpa publics (« J’ai commis des erreurs » dit le Président dans le Nouvel Obs), pourquoi ne pas donner un signe fort aux Français en ouvrant cette deuxième moitié de quinquennat avec le retrait pur et simple de cette mauvaise proposition de loi de circonstance ? Pourquoi risquer la censure constitutionnelle (avec l’inégalité de statut des salariés du dimanche) ? Pourquoi pourrir l’ambiance politique avec des procédures accélérées qui laissent penser qu’on tord le cou à la liberté en piégeant les acteurs du débat et en ajoutant la confusion des mots comme c’est le cas par exemple avec les mots « zones », « PUCE » ou « communes » ? Pourquoi faire croire qu’il n’y aurait avec cette proposition de loi que la liquidation d’absurdités quand on sait que la première loi Mallié date de 2004 et répondait déjà aux souhaits de puissants lobbies ?
Le président de la République est au pied du mur : il travaille à bien penser comme dirait l’un de nos grands auteurs. Mais à quand les actes en adéquation avec cette juste intelligence des choses des beaux discours humains ?
[1] Dans le Figaro, après Yves de Kerdrel, le 18 novembre 2008, brocardant Mgr Vingt-Trois et les évêques en « contre-apôtres », voici qu’Yves Thréard prend le relais de la propagande officielle d’une proposition de loi qui entend s’affirmer « moderne ».
[2] Le travail du dimanche lié aux emplois utiles et nécessaires n’est pas en cause avec la proposition de loi Mallié. L’hyperconsommation érigée en loisir n’entre pas dans cette catégorie. L’État a le devoir de veiller que soient bien mis en place ces emplois de nécessité évidente.
[3] Selon Thierry d’Auzon, la mobilisation sur Facebook joue contre le travail du dimanche ; 45 groupes sont explicitement signalés contre le travail dominical et seulement 5 pour. Près de 10 000 membres se sont inscrits dans les groupes contre et moins de 2000 dans les groupes pour. Le gouvernement doit tenir compte des opinions émises par les nouveaux réseaux sociaux.
[4] Voir la grande neuvaine pour le respect du repos dominical du 30 juin au 8 juillet lancée par le site repos-dominical.com.