Sous le prétexte d’une modeste – et sans doute nécessaire – adaptation de la règle du repos dominical dans les communes et zones touristiques, le gouvernement enfourche un véritable cheval de Troie. Les cinquante heures de débat parlementaire, arrachées par la gauche, vont montrer, à partir de demain, qu’il y a loin entre un slogan au bon sens apparent – la liberté de travailler et de consommer comme on veut – et sa faisabilité économique, sociétale et juridique.
Les arguments économiques paraissent tirés par les cheveux.
Le pouvoir d’achat ? Les quelques milliers de salariés payés double gagneraient plus, d’accord. Mais les quelques millions de consommateurs, qui ont déjà l’Internet pour faire des achats le dimanche, dépenseraient plus. Consommer, que l’on sache, n’a jamais créé de pouvoir d’achat !
L’emploi ? Il s’en créerait un peu dans les zones dérogatoires. Mais, à pouvoir d’achat constant, il en disparaîtrait autant dans les magasins voisins, dans les petites boutiques surtout.
Consommer soutient l’économie ? Franchement, si l’appétit consumériste est à ce point inassouvi, ouvrons déjà tous les magasins le lundi. Quand les licenciements et le pouvoir d’achat encouragent à se faire fourmi plutôt que cigale,la question ne semble pas prioritaire.
S’il s’agit d’offrir des dimanches de shopping à l’américaine, disons-le tout de suite.
Encourager des rythmes de vie dissociés risque d’accentuer le délitement des relations familiales. On sait trop à quoi conduit la dégradation du lien familial, l’éloignement subi des couples, l’espacement des relations amicales, l’émiettement du temps collectif. L’espace consacré aux retrouvailles, aux échanges, au culte, à la culture, au sport, à lavie associative deviendra plus compliqué à organiser. Comme il l’est pour le tiers des salariés – 180 métiers dérogatoires – qui exercent déjà, par roulement, un travail dominical.
Cette réforme, enfin, sauf si le débat parlementaire la borde sérieusement, pourrait donner matière à censure pour le Conseil constitutionnel.
Personne n’aura la naïve illusion de croire qu’un refus, même légal et motivé, de travailler le dimanche n’entraînera jamais de discrimination à l’embauche ou à la promotion.
Personne ne pourra justifier que, à deux kilomètres de distance, les règles de la concurrence diffèrent.
Personne ne pourra défendre le droit de Pierre à gagner le double de Paul, parce qu’un préfet aura tracé une ligne entre leurs lieux de travail.
Personne ne pourra prétendre qu’il existe une seule région qui ne mérite pas, pour un motif ou un autre, d’être classée « zone touristique ».
En attendant, à force de dérogations, c’est la règle qui devient l’exception. En élargissant les zones géographiques et les secteurs commerciaux susceptibles d’ouvrir le dimanche – ce qui suppose des transporteurs, des banques, des services publics… – on enclencherait un engrenage qui changerait la société. Souhaiter que les autres travaillent le dimanche aboutirait à ce que l’on travaille soi-même.
Les soixante députés chrétiens et sociaux de droite qui s’étaient opposés, en plus de la gauche, à la première mouture du projet feraient bien de regarder si cette version dite allégée n’est pas un coup de ciseaux dans notre pacte social. Et de se demander si nous ne sommes pas autre chose qu’une addition d’individus mus par l’unique besoin de satisfaire un plaisir consumériste.
Michel Urvoy