Issu des luttes ouvrières du début du siècle dernier, le droit au repos dominical est aujourd’hui remis en cause par la proposition de loi du député Richard Maillé. Ce texte, qui procède d’une conception productiviste dont la crise a montré les limites, ne fait pas consensus. Regardé avec défiance par l’opinion et une partie de la majorité, combattu par les syndicats, ce texte est devenu un enjeu politique au détriment de la réflexion sur ses conséquences sociales.
C’est en 1906, à la suite de mobilisations sociales d’ouvriers des magasins, que le repos dominical a été imposé dans le droit français. Cette conquête sociale a fait l’objet de multiples aménagements, pour aboutir au très complexe système actuel.
Il n’est pourtant pas certain que la proposition de loi puisse répondre à l’impératif de clarification et de rationalisation invoqué par ses défenseurs.
Loin d’être absolu, le principe du repos dominical admet déjà de nombreuses exceptions. Dans huit activités qui nécessitent une activité ininterrompue, la loi permet de déroger aurepos hebdomadaire, c’est-à-dire à l’obligation d’accorder au salarié un jour de repos par semaine dans huit domaines allant de la défense nationale, au traitement des déchets.
Un système de dérogations complexe
La législation en vigueur octroie de plus la possibilité de déroger au repos du dimancheproprement dit dans quatre secteurs, qui recouvrent en réalité une gamme d’activités très large : le commerce de détail alimentaire, le travail continu et en suppléance, ainsi que les« établissements dont l’ouverture ou le fonctionnement est nécessaire ». Très ouverte, cette catégorie recouvre elle-même 208 dérogations, énumérées par un décret en Conseil d’État.
À La Réunion, le repos dominical est régi par l’arrêté préfectoral du 19 Octobre 1966. Celui-ci permet l’ouverture le dimanche matin des « commerces de détail de produits alimentaires » et toute la journée à l’Étang-Salé, La Plaine des Palmistes, Salazie, Cilaos, La Saline et Saint-Gilles… a condition que la fermeture soit reportée au « lundi toute la journée » ou du « lundi 12h au mardi 12h ».
Ruptures d’égalité
La proposition de loi affiche la volonté — louable — de simplifier et de clarifier le régime des dérogations, qui seraient désormais accordées en fonction de zones dont la nature justifierait un accroissement de l’activité dominicale. Le texte distingue ainsi les« Périmètres d’usage de consommation exceptionnelle » (PUCE), constitués par les grands ensembles urbains de l’Hexagone, des « Zones touristiques et thermales »(ZTT).
Problème : les nouvelles dispositions incorporent une rupture d’égalité entre les salariés des deux zones.
Ainsi, contrairement à une idée reçue, le volontariat et la compensation ne constituent pas la règle. Seuls les salariés des PUCE auront le “choix” de travailler le dimanche et pourront, s’il existe un accord de branche, obtenir des compensations sous forme de repos ou de doublement du salaire.
Selon le texte, tout emploi dans les ZTT est au contraire « susceptible d’impliquer pour un salarié un travail le dimanche ». En clair, l’employeur pourra exiger des salariés des « zones touristiques et thermales » qu’ils renoncent au repos dominical… sans être obligé de fournir une compensation.
De plus, la généralisation du travail dominical risque d’imposer une concurrence insoutenable aux acteurs économiques demeurant en-dehors des zones définies par la loi. Plaidant pour leur extension, ceux-ci pourraient déclencher un “effet domino”, vidant ainsi de son sens le principe du repos dominical pourtant réaffirmé par la proposition.
Le classement en PUCE étant réservé aux agglomérations de plus de 1 million d’habitants,les Réunionnais risquent fort de n’avoir à faire qu’au volet le plus défavorable de la réforme, puisque seules pourront voir le jour dans notre pays les zones touristiques. L’incertitude plane quant à l’avenir du jour de compensation qui existe déjà dans les zones de La Réunion où l’arrêté de 1966 permet déjà des dérogations…
Un enjeu sur-politisé
L’efficacité économique été quelque temps invoquée à l’appui de la réforme du repos dominical. Pourtant, revenant sur les prévisions très optimistes du départ, les promoteurs du projet de loi eux-mêmes minorent aujourd’hui ses effets potentiels sur les performances et sur l’emploi.
Ainsi, Brice Hortefeux, partisan de la « liberté du dimanche », a-t-il émis quelques doutes envers les « 5 à 10.000 emplois » annoncés par le secrétaire d’État Laurent Wauquiez en avril dernier. Les syndicats déplorent l’absence de véritable étude d’impact de la part des autorités ; en revanche, un rapport du CREDOC fait apparaître que, si la réforme peut créer des emplois dans les grandes surfaces, elle entraînera en retour une destruction d’emplois d’ampleur égale dans la petite et moyenne distribution.
Le Gouvernement a d’ailleurs peiné à convaincre dans ses propres rangs, et n’a pu empêcher 58 députés de la majorité de s’abstenir ou de voter contre le texte à l’Assemblée nationale.
À cette défiance s’ajoute un rejet de l’opposition, des organisations syndicales et de l’opinion.
À bien y regarder, la proposition Mallié apparaît imprégnée de l’esprit productiviste qui régnait avant la crise économique, et va à l’encontre des récentes déclarations du chef de l’État quant à la nécessité de combiner croissance et développement du modèle social. Pourquoi, dès lors, tant d’insistance de la part du Gouvernement ? Il semble que les acteurs politiques en soient venus de manière croissante à considérer la question du travail dominical comme un test politique, au détriment d’un examen de ses conséquences sociales.
Un choix de société
S’il est douteux que la réforme du travail dominical ait un effet significatif sur l’économie, on peut malheureusement en prévoir les conséquences sociales. Dans un monde où la consommation et la brutalité des rapports marchands tendent à dominer les rapports sociaux et à creuser la distance entre les êtres, il est peu de lieux et de moments communs où se rencontrer.
D’origine religieuse, le dimanche a longtemps constitué un moment où, s’il échappait au travail, l’individu était en contrepartie soumis à toute une série de contraintes émanant de l’ordre religieux.
Au cours du dernier demi-siècle, le rapport au sacré est devenu plus intime. Le reflux des obligations cultuelles et la disparition d’une société coloniale qui se voulait blanche et catholique ont permis aux individus de conquérir un temps de libre disposition de soi qui, loin d’emprunter une forme égoïste, a renforcé la cohésion de la société réunionnaise. Le dimanche s’est ainsi transformé en un moment que croyants et non-croyants peuvent consacrer
à des activités sociales telles que la vie associative, les repas de famille, les visites aux personnes âgées, le sport… toutes choses qui échappent au modèle production-consommation des sociétés contemporaines, dont chacun, depuis l’irruption de la crise, éprouve les limites.
La protection du repos dominical n’est donc pas un choix conservateur : au-delà des dogmes, le dimanche est aujourd’hui un moment de partage et d’échange fondamental. Sa disparition pourrait à terme fragiliser la cohésion de la société réunionnaise, mettant en danger le vivre-ensemble qui, en ces temps de détresse, est peut-être notre bien le plus précieux.
G.G.