Paris, le 21 juillet 2009
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Vous allez avoir à vous prononcer sur le texte Mallié, voté par l’Assemblée le 15 juillet dernier.
Ce texte, aboutissement de cinq années de travail de Richard Mallié (sa première proposition date de mai 2004), et repris au vol par le Gouvernement selon un procédé que d’aucuns ont pu trouver inélégant, a suscité de vives polémiques, en raison notamment de son imprécision, des inégalités de statut qu’elle entend créer, et des contentieux juridiques qu’elle va immanquablement susciter.
Si l’on parle des zones touristiques, ou « d’intérêt touristique » selon la terminologie retenue, ce texte va autoriser l’ouverture de tout commerce dans ces zones, alors que la loi actuelle permet déjà l’ouverture des commerces liés à cette activité. Quel sens cela a-t-il d’aller acheter un canapé, ou des lunettes de vue, à Carnac-plage un dimanche ? Si le Gouvernement parle de 500 communes (150 dossiers sont actuellement en instance au Ministère du Tourisme), l’opposition parle de 6000, et de belles batailles juridiques sont à venir pour tenter de fixer ce cadre très mal défini. Seule chose certaine, pour les salariés, il n’y a plus aucune compensation, le travail du dimanche devient de droit, et les éventuels avantages existants sont supprimés.
Pour ce qui concerne les PUCE, le concept repose sur des données socio-économiques non validées : il n’aura échappé à personne que c’est bien davantage grâce à la pugnacité des élus lyonnais, rejoignant les élus d’Alsace-Lorraine, qu’à une prétendue « absence d’habitude de consommation de fin de semaine » de la ville de Lyon (dont le centre est classé zone touristique !), que la ville de Lyon échappe à la mise en PUCE. Et que dire du motif de création de PUCE pour lutter contre la concurrence de la Belgique ?! Outre que ce concept hostile à nos voisins est peu judicieux comme argument dans le ca dre de la construction européenne, n’importe quel Belge vous dira que tous les magasins du Royaume sont fermés le dimanche !
Dans ces PUCE, le texte Mallié instaure des dispositions visant à garantir le « volontariat » des salariés. Volontariat qu’il serait bien vain d’inscrire dans les textes, tout comme il serait bien vain d’y inscrire que la crise est terminée : si Monsieur X n’est pas volontaire pour travailler le dimanche, d’autres que lui, plus pauvres ou plus précaires, ne manqueront pas de se porter « volontaire ». Tout comme les horaires décalés ou le temps partiel, le travail du dimanche sera subi.
Pour ce qui est du double-paiement, présenté au départ comme une contrepartie universelle, il s’est réduit au fur et à mesure des versions, et ne concerne plus maintenant que les salariés des PUCEs, seulement dans le cas ou l’accord collectif ne prévoit rien sur ce point. Encore le texte précise-t-il que si l’accord collectif est muet, le double-pai ement étant instauré de facto, un accord collectif ultérieur pourra faire revenir le salaire au taux de base ! Dans une même société, selon les implantations des succursales, il sera donc institué que le même travail par une même personne pourra être payé du simple au double ! Au final, cette curiosité aberrante ne peut manquer de disparaître à la mesure de la banalisation du travail du dimanche : en témoignent notamment l’amendement Debré à la Loi Chatel, qui permet déjà au secteur du meuble de faire travailler le dimanche sans contrepartie, mais aussi l’exemple, plus lointain, de la prime pour travail 6 jours sur sept dans les grands magasins, peu à peu disparue, ou, en Europe, l’exemple de l’Irlande. Autant dire que le mirage du double paiement n’est qu’un miroir aux alouettes.
L’instauration du concept de PUCE est pour le moins surprenant pour celui qui reprochait aux dispositions actuelles de créer des frontières entre zones où certains commerces pouvaient ouvrir et d’autres pas. En effet, ce nouveau concept s’inscrit dans la même logique, créant ex-nihilo de nouvelles frontières, celles là fondées sur l’arbitraire. François Baroin lui même prévenait dans son interview du 10 juillet 2009 sur BFM TV qu’il demanderait le classement de Troyes en zone touristique s’il estimait que ses magasins d’usine devaient souffrir de la distorsion de concurrence crée par le PUCE de Paris. Plus loin, la jurisprudence Ekima permet, sur ce même fondement de la distorsion de concurrence, à tout commerçant installé hors PUCE de demander, et d’obtenir de façon automatique, la dérogation nécessaire à son ouverture le dimanche, si un concurrent bénéficie de cette même dérogation dans sa zone de chalandise (+/- 30 kilomètres). De quoi alimenter les tribunaux en contentieux à répétitions, et d’étendre insidieusement le cancer du régime dérogatoire de proche en proche. Conçu au départ pour traiter le point de Plan de Campagn e, et uniquement ce point, ce texte a du mal à cacher ses lacunes dès qu’il s’agit d’en étendre le périmètre d’application au-delà de la circonscription du député Mallié.
Le texte Mallié ne change rien à ce qui pourrait être critiquable dans les dispositions actuelles de la Loi, à savoir le caractère relativement discrétionnaire des dérogations qui peuvent être accordées par le Préfet. Ces Préfets (avec le problème que cela pose pour Paris), qui auront bien du mal à lutter contre les groupes de pressions qui ne vont manquer de se manifester, comme ils se manifestent déjà.
En ce qui concerne l’impact économique, toutes les études disponibles font état d’un impact négligeable sur l’économie. En aucun cas, le travail 7/7 n’est de nature à donner le moindre coup de pouce à la croissance, ce qu’à d’ailleurs confirmé Mme Parizot dans son intervention de Juillet 2009. Aucun frein dominical à la consommation n’a été identifié dans aucune étude, l’offre deme urant particulièrement abondante pour une demande qui se contracte. Par ailleurs, nous sommes déjà dans les trio de tête des pays européens pour le travail de fin de semaine (nous sommes le pays d’Europe dans lequel le samedi est le plus travaillé).
Certains élus ont pu faire valoir que si certaines sociétés ouvertes illégalement le dimanche devaient fermer, ce seraient des dizaines d’emplois qui seraient menacés : ce qu’oublient ces élus, c’est de compter les dizaines ou les centaines d’emplois que ces entreprises ont détruit chez leur concurrents, qui eux avaient jugé nécessaire de respecter les dispositions légales en vigueur sur le territoire français, sans qu’aucun ministre en exercice ne vienne les soutenir.
En terme de bilan net d’emploi, il se situe très près de zéro (de +10.000 à -10.000 selon les études). La seule chose sur laquelle toutes les études s’accordent, c’est qu’il y aura un transfert d’emploi : les emplois créés dans la distribu tion intégrée (grande distribution + franchisés) viendront détruire des emplois dans le commerce de proximité. Ce qui n’est pas sans impact non plus sur le tissu industriel national, la distribution intégrée écoulant très majoritairement des produits achetés sur le marché asiatique. Est-ce bien cela, qui est voulu par le texte ?
Il faudrait aussi parler de l’impact écologique de la mesure : le coût de fonctionnement en continu des infrastructures, l’impact écologique d’un mode de consommation dépassé, qui consiste à prendre sa voiture pour se rendre dans les hypermarchés péri-urbains, qu’ils ne contribuent pas à embellir. Là encore, le texte Mallié fait l’impasse.
Le député Mallié s’était appuyé notamment sur un sondage JDD pour justifier sa proposition (le premier sondage sur lequel il s’était appuyé
avait été commandé par … Usine Center !) : sondage tellement tronqué que les journalistes du JDD s’étaient fendus d’un communiqué pour protester co ntre le traitement trop partial de l’information (communiqué de novembre 2008 de la SDJ du JDD). Sur ce sujet, les nombreux sondages effectués témoignent d’un attachement au dimanche comme jour chômé de 80% environ de nos concitoyens, tandis que le dernier sondage réalisé (Viavoice, juillet 2009) évalue à 55% le pourcentage de Français hostiles au travail dominical. Il n’y a aucune demande de ce côté-là.
D’un point de vue sociétal, nous n’avons lu aucun texte vantant les mérites du travail en continu. Bien au contraire, il s’est formé une majorité très large, regroupant intellectuels, sociologues, syndicats, églises, et même chronobiologistes, ainsi que parlementaires et élus de gauche comme de droite, pour dénoncer la nocivité d’une absence de temps d’arrêt dans le rythme de travail, et l’absence d’un temps partagé propice aux activités familiales, sociales, associatives, sportives, culturelles ou cultuelles.
Reste l’interrogation du Président de l a République : « Pourquoi empêcher quelqu’un qui veut travailler de le faire » ? La question du Président est un raccourci trop rapide : rien, dans les dispositions actuelles de la Loi, n’empêche personne de travailler – vous remarquerez que toutes les professions libérales, qui pourraient ouvrir le dimanche en toute légalité, sont fermées le dimanche. Il aurait fallu poser la question suivante : « Pourquoi empêcher quelqu’un qui veut faire travailler de le faire ? », puisqu’en effet, ce que pose la loi de 1906 est le principe du repos hebdomadaire le dimanche pour tous les salariés. Et la réponse est alors toute simple : il s’agit d’un choix de société, qui ne fait pas du consumérisme, du « sunday trading » la valeur ultime, mais qui tente un équilibre entre les réalités physiques qui s’imposent à tous, et la nécessaire protection de ces salariés contre les appétits désordonnées dont la crise actuelle vient cruellement nous rappeler la prégnance, dans le monde économique. Ce sont des choix de ce genre qui font que notre pays a encore quelque chose de particulier à dire au monde, et qu’il demeure la première destination touristique mondiale.
Ce texte, détourné de son but initial, est devenu tellement aberrant que le Parti Socialiste à promis de le porter immédiatement devant le Conseil Constitutionnel, en cas de vote conforme par la Haute Assemblée. Il faudrait dire aussi que l’instauration sans justification d’une dérogation permanente (dans les communes et zones touristiques) ou quasi permanente (dans les PUCE) au repos dominical se heurte à la convention n°106 de l’OIT, convention internationale dont l’autorité est supérieure à celle des lois (art. 55 de la Constitution). Vous ne pouvez laisser un tel texte sans aucune réaction.
Nous tenons que les dispositions posées en 1906 restent pleinement valables aujourd’hui : le repos dominical en principe, et les dérogations nécessaires pour amurer au mieux les services com muns d’intérêt général, les impératifs industriels, et les activités touristiques et culturelles. Nous tenons que le centenaire de cette loi démontre son équilibre exceptionnel, et qu’elle n’a pas à être changée sans la plus grande prudence et la plus grande sagesse, toutes deux singulièrement absentes du traitement de ce dossier, jusque là.
C’est pourquoi nous vous demandons solennellement, au nom des 100.000 signatures authentifiées que nous avons réunies sur ce thème, de ne pas valider le texte Mallié tel quel, mais de le renvoyer à l’Assemblée pour complément de travail : s’il ne s’agit que de régler le problème de Plan de Campagne et des Champs Elysées, il n’est pas nécessaire de détruire un équilibre séculaire, apprécié par tous.
Très respectueusement,
Jean Dionnot
Président du Collectif des Amis du Dimanche
Tel: 33(4)67961172
Mob: 33(6)07157957
j.dionnot@travail-dimanche.com
100.000 signatures pour le maintien du repos dominical
http://www.repos-dominical.com/