Le retour en force du travail dominical

Libération, 01/07/09

La propositon de loi du député UMP Richard Mallié, de retour à l’Assemblée, autoriserait à ouvrir le dimanche les commerces des «communes touristiques». Une notion élargie et très controversée.


Xavier Bertrand, © Reuters JP Pelissier

 

Demain, le dimanche sera-t-il un jour travaillé comme les autres ? C’est possible. Nicolas Sarkozy a, sur le mode people, réamorcé hier cette petite bombe sociale. «Est-ce qu’il est normal que le dimanche, quand madame Obama veut, avec ses filles, visiter les magasins parisiens, je dois passer un coup de téléphone pour les faire ouvrir ?» s’est indigné le chef de l’Etat, promettant que le problème serait «réglé avant l’été». Une sortie qui ne doit rien au hasard : la proposition de loi sur le travail du dimanche, à laquelle l’Elysée tient tant, trône en haut de la pile des dossiers ultrasensibles dont le nouveau ministre des Affaires sociales, Xavier Darcos, est chargé d’accoucher. Au forceps si besoin est.

Déposée une première fois à l’automne par le député (UMP, Bouches-du-Rhône) Richard Mallié, cette proposition avait en effet suscité une telle levée de bouclier à droite que sa discussion avait dû être interrompue. A la demande expresse de l’Elysée, elle revient remaniée et soit disant «déminée» en discussion à l’Assemblée nationale du 7 au 11 juillet. Les plus remontés des élus de la majorité qui ont déjà eu l’occasion de s’emplâtrer en direct avec Nicolas Sarkozy sur le sujet ont, de guerre lasse, donné quitus au texte. En toute bonne foi, ils pensaient en avoir raboté l’un des principaux écueils en limitant les distorsions de concurrence entre grandes surfaces (non alimentaires) situées en périphérie des villes et petits commerces de proximité du centre.

Téléscopage. Le groupe PS a poussé un peu plus loin l’analyse et levé un beau lièvre : en l’état, le texte Mallié programme la banalisation du travail du dimanche dans près de 500 communes et non des moindres (lire ci-contre) et autoriserait, à terme, sa généralisation en France, sans aucune contrepartie pour les salariés, ni en salaire ni en repos compensateur. En clair, tous les commerces de détail des «communes touristiques» pourraient, de droit, sans plus avoir à demander d’autorisation individuelle, obliger leurs salariés à travailler le dimanche dans les mêmes conditions que les autres jours de la semaine, sous peine de sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Telle serait la conséquence socialement explosive du télescopage entre une loi sur le tourisme de 2006 et le texte Mallié.

Dans son unique article, la proposition de loi du député des Bouches-du-Rhône, dont l’ambition assumée était de régulariser l’ouverture de fait le dimanche de grandes surfaces dans certaines zones périurbaines, dispose de la chose suivante :«Les établissements de vente au détail situés dans les communes touristiques ou thermales […] peuvent de droit donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel.» La formulation n’a rien d’anodine. En effet, la loi sur le tourisme du 14 avril 2006, est à l’origine d’une définition précise de ladite «commune touristique». Il s’agissait alors de simplifier le régime juridique de ces villes de sorte à pouvoir en labelliser l’appellation à des fins de marketing international. Un instrument idéal pour les maires désireux de dynamiser leur territoire…

Un décret daté du 2 septembre énumère précisément les conditions à remplir pour bénéficier de cette appellation (existence d’un office de tourisme, d’animations à visée touristiques, de capacité d’hébergement d’une population non résidente…). L’enjeu est d’importance, puisque le Conseil national du tourisme, émanation de Bercy, considère qu’à terme, 5 000 à 6 000 communes, parmi les plus peuplées, peuvent y prétendre. Déjà, et alors même que la loi du 14 avril 2006 n’est entrée en vigueur qu’en mars 2009, 150 communes ont demandé le bénéfice du classement au titre de «commune touristique» en sus des quelques 500 villes «classées» qui en relèvent de longue date. A ce rythme, le travail dominical pourrait vite devenir la règle.

Mallié n’ignore rien du hiatus. «Il avait bien vu le truc, mais soit il multipliait les dérogations, soit il alignait tout le monde sur le droit commun, il a choisi d’aligner tout le monde», confie un ministre. Pour étouffer une éventuelle polémique, le député a préparé sa riposte : le code du travail, dans son article R133-33, donne, à l’en croire, une définition de la «commune touristique» qui permet de limiter à 500 villes l’ouverture dominicale. «Le classement d’une commune en commune touristique au sens du code du tourisme n’emporte aucune conséquence sur le régime d’ouverture dominicale des commerces, assure-t-on à l’UMP. Sauf initiative des conseils municipaux et décision au cas par cas du préfet, les commerces d’une commune touristique au sens du code du tourisme sont soumis à la règle du repos dominical.»

Dénomination. Une poule y perdrait ses poussins car les deux définitions, celle du code du travail et celle du code du tourisme, sont sensiblement les mêmes, la seconde étant même plus restrictive que la première… D’où une épineuse question : un préfet peut-il accorder à une ville la dénomination de «commune touristique» au sens de la loi d’avril 2006 et refuser l’ouverture dominicale des commerces liée à cette même dénomination ?«On imagine mal, devant les tribunaux administratifs, la possibilité pour un préfet de défendre deux analyses divergentes en cas de recours d’une enseigne poursuivie pour avoir ouvert le dimanche»,relève l’opposition.

Hier, «pour rassurer tout le monde», le député UMP Jean Leonetti a promis des amendements pour mieux délimiter les «zones touristiques» et affirmer la nécessité du volontariat. C’est le moins. Sauf pour la majorité à assumer la banalisation du travail dominical.

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