Dérogations au repos dominical
Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi sur le repos dominical et les dérogations à ce principe (nos 1782).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de douze heures dix-huit minutes pour le groupe UMP, neuf heures une minute pour le groupe SRC, cinq heures quarante-sept minutes pour le groupe GDR, six heures pour le groupe Nouveau Centre et vingt-deux minutes pour les députés non-inscrits.
Article 2
Mme la présidente. Ce matin, l’Assemblée a continué l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 2.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur cet article.
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. À vous écouter, monsieur le ministre du travail, monsieur le rapporteur, deux principes essentiels structureraient votre démarche : ne travailleraient le dimanche que les salariés qui le souhaitent ; travaillée, cette journée serait payée double. Cela fait des mois et des mois que les médias répètent cette affirmation gouvernementale ; mais cela fait aussi quelques semaines que cette image se trouble, et que la vérité commence à éclater : il n’en sera rien.
Manifestement, ces arguments n’ont pas réussi à convaincre les Français, qui restent à 55 % opposés au travail dominical, notamment dans les grandes agglomérations et les zones touristiques, comme vient de le révéler un sondage Viavoice paru mercredi.
Ils sont 59 % à penser que le travail le dimanche ne permet pas de soutenir l’activité économique. Ils sont 53 % à dire qu’il n’augmentera pas le pouvoir d’achat des salariés concernés. Ils sont 65 % à refuser l’argument commercial selon lequel il serait plus facile de faire ses courses ce jour-là.
Il faut dire, mes chers collègues, qu’ils ont de bonnes raisons de penser que le chef de l’État et sa majorité ne tiendront pas leurs promesses, en ce domaine comme dans de nombreux autres, d’ailleurs.
S’agissant de l’étendue réelle des nouvelles dérogations, il est bien difficile d’en évaluer les conséquences sociales, économiques, environnementales et sociétales : vous avez refusé toute étude d’impact, ce que nous avons vivement regretté.
Une chose est sûre toutefois. Comme l’explique Olivier Pardo, défenseur de la Confédération générale des salariés du dimanche, c’est tout le paradoxe de cette loi : au lieu de réduire les dérogations, elle crée une exception de plus.
En outre, avec ces fameux PUCE – périmètres d’usage de consommation exceptionnels – le gouvernement légalise la situation de magasins en zones commerciales, comme Plan-de-campagne, qui est à l’origine de la proposition de loi, mais aussi Herblay ou Thiais-Village, magasins qui ouvrent déjà le dimanche en violation de la loi.
S’agissant des zones touristiques – ou d’affluence touristique, notion supposée moins floue substituée à la première pour tenter de calmer les réticences des derniers députés de l’UMP –, il y a aussi supercherie.
Il ne fait pas de doute que le dispositif envisagé ne se contente pas seulement de mettre un terme à des situations ubuesques. Selon la nouvelle version, plus révélatrice encore que la précédente, dans ces communes dont le périmètre sera établi par le préfet, tous les établissements de vente au détail – et non plus uniquement ceux mettant à disposition du public des biens et services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente et de loisir d’ordre sportif, récréatif ou culturel – pourront employer des salariés le dimanche.
Pour ce faire, nul besoin d’obtenir une autorisation ; désormais ces ouvertures sont de droit. Il n’y a nul besoin de volontariat, nulle exigence de contreparties salariales ou de repos ; et l’ouverture dominicale n’étant plus exceptionnelle, elle n’est donc plus majorée. Et vous dites encore que le texte ne banalise pas le travail le dimanche ! Mais bien sûr que si !
Convaincus du contraire, refusant la généralisation du travail le dimanche, inévitable en l’absence de véritables garde-fous, nous abordons l’examen de cet article 2 avec la détermination de le voir retiré.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert.
M. Christian Eckert. J’interviens en introduction de la discussion du cœur de ce texte : il s’agit de l’article où se retrouvent des situations dont vous vous évertuez à expliquer qu’elles sont totalement dissociées.
Comme l’a excellemment dit notre collègue Roland Muzeau, la communication gouvernementale – et celle de certains députés – qui prétend faire croire qu’il n’y a plus que du volontariat et que les heures du dimanche seront payées double est fortement mise à mal dès lors que l’on se met à désosser votre article fourre-tout.
On y trouve en effet cinq situations différentes.
Il y a d’abord les PUCE : pour ces zones, on fait une loi d’exception, une loi d’amnistie, une loi de régularisation. On aurait d’ailleurs peut-être pu en discuter et trouver d’autres solutions que celle qui consiste à tout blanchir.
La deuxième situation est celle des communes touristiques. C’est là que réside la nouveauté, l’aggravation introduite par cette proposition de loi : vous décidez de proposer à l’Assemblée de considérer qu’il y a là, de droit, toujours, tous les dimanches, en dehors des saisons touristiques et pour tous les commerces, la possibilité pour un employeur d’exiger de ses salariés qu’ils travaillent le dimanche – sans qu’ils soient nécessairement volontaires, et sans les contreparties que constituent le doublement du salaire ou le repos compensateur.
Vous ne le niez d’ailleurs pas.
La troisième situation est celle des cinq dimanches du maire, qui demeurent. Monsieur le ministre, j’attends toujours votre réponse : ces cinq dimanches seront-ils payés double si l’on est dans une commune touristique ? J’attends, car chacun sait que ce texte sera soumis au Conseil constitutionnel, et cet élément nous paraît très important.
La quatrième situation est celle des activités nécessaires en termes de sécurité ou de santé, qui se sont toujours exercées le dimanche. Elles sont concernées par un certain nombre de dispositions.
La cinquième situation est celle de l’Alsace-Moselle : l’avis est là unanime pour respecter le droit local, que ces territoires souhaitent conserver.
Ces cinq situations différentes se trouvent mélangées dans un seul et même article, qui entretient la confusion, et qui vous permet de dire allègrement sur les ondes que le travail dominical sera payé double, et se fera sur la base du volontariat.
Le Conseil constitutionnel appréciera.
J’observe néanmoins que nous sommes unanimes sur un point : il y aura des extensions à la situation actuelle. Il n’y a pas eu d’étude d’impact, et le rapport est faible sur ce point : on ne sait donc pas combien de salariés sont concernés. J’entends citer le chiffre de 150 000 personnes, ce n’est pas peu.
De plus, tout le monde est d’accord pour dire que des inégalités territoriales seront créées – avec les effets de frontières que vous soule
vez opportunément lorsqu’il s’agit des frontières avec des pays voisins, mais que vous occultez complètement lorsqu’il s’agit des frontières entre un PUCE et un secteur voisin, ou entre une commune touristique et sa voisine qui ne le serait pas.
Tout cela nous conduit à vous dire qu’il faut être particulièrement attentif, et ne pas se contenter de regarder en diagonale ce texte fourre-tout, cet article qui entretient la confusion.
Nous vous soumettrons donc un certain nombre d’amendements. Vous rencontrez, à l’évidence, des difficultés.
M. Jean Mallot. Nous n’avons qu’un seul but : vous aider.
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Vous êtes trop bons !
M. Christian Eckert. C’est la théorie de la bouée, que j’ai développée ce matin : ainsi, nous vous proposons des amendements pour que la loi dispose, par exemple, que, dans les zones touristiques, tout est fondé sur le volontariat et sur le doublement du salaire.
Si vous acceptez des amendements, nous porterons un autre regard sur ce texte, malgré votre communication confuse.
Je termine en soulignant que vous prétendez sans cesse qu’il s’agit d’un petit texte, équilibré, qui ne changera pas la vie. Mais la communication présidentielle fait dire que c’est, au contraire, la marque de fabrique de l’UMP, le texte emblématique qui donne une impulsion.
M. Bertrand Pancher. Je vois que nous n’allons pas aux mêmes réunions.
M. Christian Eckert. À l’évidence, nous ne partageons pas les mêmes objectifs. Mais si c’est une marque de fabrique, vous devriez assumer – et cesser alors de dire comme M. le rapporteur qu’il s’agit d’un texte anodin.
Nous reviendrons bien sûr en détail, au cours de la discussion, sur tous les points que je viens d’évoquer.
M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Nous en arrivons à l’article 2, article unique au départ puisque l’article 1er a été ajouté en commission : c’est donc l’article principal, qui met en place l’ensemble du dispositif et amalgame l’embrouille.
Comme toujours quand on lit un article d’embrouille, il faut le lire à l’envers. On y voit beaucoup plus clair.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. M. Mallot devient marseillais !
M. Jean Mallot. Commençons par la troisième partie, celle qui crée une nouvelle sorte d’animal : le PUCE.
Le rapporteur-auteur-compositeur – je me cite moi-même, ça donne du piquant à ma propre conversation, disait quelqu’un – a utilisé une formule que j’ai trouvée fort choquante : il nous a dit que ce dispositif était destiné à traiter la situation de Plan-de-Campagne, d’Éragny, et de toute une liste de lieux que notre collègue Dell’Agnola a énumérés ce matin, afin de blanchir les délinquants.
Le mot délinquants n’était pas de lui, mais il l’a repris, et il voulait les blanchir.
Pour cela, il organise une mécanique circulaire. Il y aurait des usages commerciaux exceptionnels ; quand il n’y en a pas, on les crée : des entreprises se mettent, de façon illégale, à ouvrir le dimanche ; cela devient un usage ; donc on crée un PUCE et on légalise le travail dominical illégal.
On peut très bien imaginer que, quelques kilomètres plus loin, de nouvelles entreprises se mettent dans l’illégalité et créent un usage. On régularisera la situation en instituant un nouveau PUCE, et on ira ainsi de PUCE en PUCE.
Comme il faut envelopper la chose – selon la théorie du principe actif et de l’excipient à effet notoire –, on est allé chercher les communes touristiques et thermales, qui deviennent des zones d’affluence touristique et thermale. On en donne une définition selon le code du travail qui vous a probablement accroché, mon cher Marcon, aux termes de laquelle leur nombre ne serait finalement que de 494 en France. Il n’y aurait aucune commune d’affluence touristique et thermale en Haute-Loire, il n’y en aurait qu’une dans l’Allier alors que nous avons trois communes thermales. C’est incompréhensible ! Toutes les personnes qui consultent la liste pensent que des communes ont été oubliées. Et dans ces zones d’affluence touristique ou thermale, le travail dominical est de droit, en saison et hors saison, sans contrepartie, pour tous les commerces, lunettes de vue comme lunettes de soleil.
M. Marcel Rogemont. Surtout à Perpignan !
M. Jean Mallot. Ce qui est grave, c’est que quand on compare les critères que doivent remplir les communes touristiques au sens du code du tourisme aux critères que les communes doivent remplir au sens du code du travail, on se rend compte que ce sont les mêmes. Il n’est pas besoin d’avoir fait beaucoup d’études pour se rendre compte que tout cela va converger et que nous aurons rapidement plusieurs milliers de communes touristiques où l’on pourra travailler de droit le dimanche.
Si je remonte d’un cran, au début de l’article, je m’aperçois que, pour se donner bonne conscience quand même – parce qu’une partie de l’UMP a mauvaise conscience –, on réaffirme que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche », ce que nous savions déjà, en ajoutant ce membre de phrase : « dans l’intérêt des salariés ».
La mécanique est en place, vous voulez généraliser le travail dominical sans généraliser ni les contreparties ni les protections pour les salariés concernés.
Ce montage est apparemment complexe, mais il suffit de l’étudier un peu pour comprendre son caractère diabolique. Depuis le début du débat, nous nous sommes efforcés – avec quelque succès, me semble-t-il – de faire apparaître la vraie nature de ce dispositif mais, de votre côté, monsieur le rapporteur auteur-compositeur, monsieur le ministre qui vous en faites le complice, mesdames, messieurs les députés de l’UMP, vous vous acharnez à vouloir réembrouiller la chose au fur et à mesure qu’on y voit plus clair.
Cela me fait penser à ces souvenirs qu’on trouve dans les communes touristiques, vous savez, ces boules qui renferment une statuette et de la neige. Quand vous secouez la boule, la neige s’envole, puis, au bout d’un moment, la neige se dépose, et vous voyez apparaître la figurine qui est à l’intérieur. Nous faisons apparaître la figurine, c’est notre rôle. Aussitôt après, vous vous jetez sur la boule et vous la secouez pour que la neige vienne envelopper la figurine et qu’on ne la voie plus. C’est l’embrouille.(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Excellent ! Vous avez probablement été à Lou
rdes !
M. André Schneider. Ne perdez pas la boule !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Vous achetez des jolies choses, vous avez du goût, monsieur Mallot !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. La seule vraie question qu’on doit se poser quand on aborde cet article 2, c’est pourquoi ce texte et pourquoi maintenant. Nous débattons ici régulièrement de propositions de loi, de projets de loi, dont nous voyons bien les objectifs, l’intérêt. Même si nos appréciations divergent parfois, nous comprenons qu’ils répondent à un problème. Si nous mettons à part le problème de M. Mallié et de Plan-de-Campagne, pouvons-nous dire que la société française a aujourd’hui un problème avec l’ouverture des magasins le dimanche ? Le seul moyen de répondre à cette question aurait été d’avoir une étude d’impact.
M. Roland Muzeau. Eh oui !
M. Alain Vidalies. Une étude d’impact à la fois social, nous en avons déjà longuement parlé, et environnemental. Quelle est la cohérence de notre démarche d’aujourd’hui avec tout ce qui se passe les autres jours de la semaine dans cette assemblée ? Cela n’a aucun sens d’envoyer les gens sur les routes le dimanche, cela n’a aucun sens d’ouvrir et de consommer de l’énergie en ouvrant les grandes surfaces, même si M. Borloo nous demande d’utiliser des lampes basse tension pour se donner bonne conscience.
Mme Delphine Batho. Non, les gens paieront la taxe carbone !
M. Alain Vidalies. Il aurait enfin fallu une étude d’impact sociétal. Notre engagement sociétal, ce sont tous les principes, tous les objectifs que nous sommes capables de défendre ensemble, par exemple à propos de l’école, toutes ces grandes idées qui font corps, qui sont le résultat de notre histoire – même si les chemins pour y parvenir étaient différents, au moins le point d’arrivée était partagé.
Avec ce texte, vous détruisez une digue. Vous vous attaquez à quelque chose qui faisait consensus. Il n’y a pas, d’un côté, les gens qui seraient souples, et, de l’autre, ceux qui seraient rigides. Le droit positif n’exige pas la fermeture partout, il prend en compte les réalités économiques. Simplement, jusqu’à présent, toutes les exceptions, M. Vercamer y faisait allusion à juste titre ce matin, étaient dictées par l’intérêt général, par des obligations. Une industrie qui fonctionne en continu doit pouvoir faire travailler des ouvriers le dimanche. Cela s’est imposé à tout le monde et la loi en tient compte. L’hôpital, la police, la prison, tous ces services doivent fonctionner le dimanche. Ce sont donc des millions de Français qui travaillent déjà le dimanche, nous en sommes tous d’accord. Nous sommes également d’accord avec les assouplissements que la loi autorise pendant la saison dans certains lieux touristiques.
Ce droit constitue-t-il aujourd’hui un frein ? Vous savez très bien ce qui s’est passé. Au départ, il y avait une position idéologique.
Mme Delphine Batho. Absolument !
M. Alain Vidalies. Nous étions dans la période d’avant la crise, dans la période du « travailler plus pour gagner plus ».
Mme Delphine Batho. Exactement !
M. Alain Vidalies. Et le Président de la République, dans sa volonté de déréglementer pour suivre le modèle anglo-saxon, a proposé de travailler le dimanche. Or, aujourd’hui, cette thématique se heurte à la réalité de la crise et le même président emploie un autre discours, sur le fameux modèle social français. Je l’ai dit dans la discussion générale, le Président de la République se comporte comme certains prévenus devant le tribunal lorsqu’ils déclarent qu’ils aiment beaucoup leurs victimes, avec ce qu’il fait subir au modèle social. Bref, le discours a complètement changé, et en même temps je crois qu’il faut en effet respecter notre modèle social.
Cependant, M. Bertrand, qui était votre prédécesseur, monsieur le ministre, avant d’être le responsable de l’UMP, est entré dans ce débat avec, lui, la thématique d’origine, en affirmant qu’ouvrir le dimanche donnerait plus d’activité et que – rappelez-vous cette incroyable interview donnée aux Échos au mois de janvier 2008 – un jour de plus, c’était un jour de consommation et de croissance en plus. Comme si ce que l’on avait dépensé le dimanche on l’avait toujours dans la poche le lundi !
C’est sur ces considérations que reposaient les premières propositions de loi de M. Mallié.
Que se passe-t-il aujourd’hui ? Un certain nombre de députés de l’opposition mais également de la majorité se demandent ce qu’on est en train de faire. On change alors le discours pour essayer de l’adapter, mais en réalité le contenu du dispositif reste exactement le même, à savoir essayer de faire sauter une digue. Cela n’a strictement aucun intérêt. Il n’y a que des ennuis à récolter dans cette affaire, des difficultés sur le plan social, sur le plan environnemental et sur le plan de l’aménagement du territoire et de la cohésion.
Il n’est pas interdit de regarder l’expérience des autres. Même si vous ne voulez pas généraliser le travail le dimanche, nous vous en donnons acte, nous pensons que, par un effet domino, le travail le dimanche connaîtra une extension très importante. Or, dans les pays qui l’ont généralisé, les conséquences ont été dramatiques. Savez-vous combien il reste de marchands de chaussures indépendants dans toute la Grande-Bretagne ?
M. Roland Muzeau. Oui !
M. Alain Vidalies. Il n’en reste que 400 !
M. Roland Muzeau. Non, 350 !
M. Alain Vidalies. Voyez, j’étais optimiste.
M. Jean Mallot. Qui dit moins ?
M. Francis Vercamer. Qui dit mieux ?
M. Alain Vidalies. La fédération industrielle nous a envoyé un dossier avec cette démonstration. En France, il existe encore 6 000 chausseurs, parce que nous avons imposé des règles, que vous
remettez en cause, pour essayer de trouver un équilibre.
La question du travail le dimanche, ce n’est pas tout ou rien, c’est une question d’équilibre. Aujourd’hui, nous pensons que vous allez rompre cet équilibre, faites très attention, ne serait-ce qu’à cause des usages.
Par exemple, les marchands, ce qu’ils veulent, c’est vendre beaucoup, le plus souvent possible et plus que le voisin, et donc tout est permis. Qu’est-ce qui limite leur démarche ? La loi, la loi sociale, la loi fiscale, l’organisation.
Ainsi, ceux qui vivent dans les grandes villes le voient bien, il existe une forte tendance à vouloir reculer de plus en plus tard le soir la fermeture des magasins, au prix de conflits sociaux importants, comme celui qui a éclaté dans un grand magasin parisien récemment. Ce n’est pas du tout la même chose de terminer son travail à vingt et une heures voire à vingt-deux heures au lieu de vingt heures, d’autant que ce sont souvent des femmes seules qui occupent ces emplois. Cela pose des problèmes de garde d’enfants…
Dans quelques années, parce que des gens voudront aller faire leurs courses à vingt-trois heures, à minuit, faudra-t-il qu’ici nous légiférions sur le travail de nuit et prévoyions des adaptations pour tenir compte des usages de consommation de nuit ? Parce que c’est ainsi que cela va se passer.
Qui doit empêcher cette dérive ? Il ne s’agit pas de jeter la pierre à ceux qui prennent ces initiatives, c’est leur métier. C’est à nous de fixer, au nom de l’intérêt général, des bornes. Ces bornes doivent concerner l’interdiction ou la limitation aussi bien du travail de nuit que du travail le dimanche.
Aujourd’hui, vous prenez, certes pas dans l’enthousiasme, on le voit bien, mais tout simplement parce que vous faites preuve de discipline vis-à-vis du Président de la République qui a décidé que c’était un marqueur, le risque considérable de rompre une digue. Regardez ce qui se passe dans la région de Christian Eckert, en Alsace Moselle : alors que les usages sont plus restrictifs encore que le droit positif, tout le monde est content, à droite, à gauche, les entrepreneurs, les salariés, les frontaliers. Et vous, vous êtes en train de faire comme s’il y avait une revendication dans ce pays parce que cela a traversé l’idée du Président de la République ? Franchement, c’est une mauvaise action et ce n’est pas une bonne façon de répondre à la question de l’intérêt général.
Ce texte est un texte soit de circonstance, si on considère qu’il va régler la situation de quelques zones particulières, soit de complaisance. Dans tous les cas, ce n’est absolument pas un texte qui répond à l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Cela va être difficile d’intervenir après l’excellente intervention de mon collègue Alain Vidalies.
M. Richard Mallié, rapporteur. Taisez-vous, alors !
M. Marcel Rogemont. Mais je voudrais revenir sur un point.
Pour vendre ce texte, plusieurs personnes ont affirmé, notamment Brice Hortefeux, que cette proposition de loi n’était pas la même que la précédente, que c’était un tout petit texte, très anodin. On a cherché à nous rassurer, en nous disant que nous nous inquiétions alors qu’il n’y avait pas le feu dans la demeure.
Mais, au cours de la discussion, nous avons entendu des collègues de l’Alsace Moselle par exemple nous dire que le texte était peut-être anodin, mais qu’ils s’en fichaient parce qu’ils avaient déposé un amendement pour que l’Alsace Moselle ne soit pas concernée. Nous avons entendu cet argument très fort : je veux bien voter pour les autres mais pas pour moi.
Puis, alors que ce texte va créer des PUCE, des périmètres d’usage de consommation exceptionnel, des collègues de la région de Lyon sont venus nous dire : nous, on veut bien des PUCE à Lille, à Marseille, à Paris, mais pas à Lyon. Si vous nous dites que Lyon ne sera pas concernée, je vote, a-t-on entendu. Voilà des gens qui veulent bien des PUCE partout mais pas à Lyon ! C’est très intéressant. Le maire de Lyon a le droit de dire cela, mais nous, nous n’avons pas à voter en fonction des intérêts de Pierre, Paul ou Jacques. Nous devons voter en ayant l’intérêt général en tête. Et si on crée des périmètres d’usage de consommation exceptionnel, ils doivent pouvoir s’appliquer normalement sur tout le territoire. Laisser entendre que Lyon serait exclu est quand même un peu surprenant.
D’autres considèrent que les PUCE sont un coup de chance, parce qu’ils ont des problèmes dans leur secteur, et ils sont prêts à voter.
Bref, j’ai l’impression que chacun vient faire son marché, prend dans ce texte ce qui l’intéresse, en disant : après tout, le reste, je m’en fiche, j’ai sauvé ma circonscription, j’ai sauvé mes électeurs.
Le problème est que l’addition des marchés personnels ne crée pas l’intérêt général. D’autant que le Président de la République poursuit un autre but, qui relève non des petits arrangements locaux, mais de la volonté de faire travailler tous les Français du dimanche au dimanche. Évidemment, il préfère être seul quand il va à Disneyland avec Carla. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean Bardet. Cette mise en cause est scandaleuse !
M. Richard Mallié, rapporteur. L’argument est lamentable !
M. Marcel Rogemont. Son combat est avant tout idéologique : il ne vise qu’à obliger les Français à travailler davantage. À la faveur des petits aménagements qu’elle met en place, en Alsace Moselle, à Lyon ou à Plan-de-Campagne, la majorité ne poursuit pas d’autre but.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas avec de tels arguments que vous convaincrez les Français !
M. Marcel Rogemont. Pour faire passer la pilule, vous avez mis en avant le volontariat, la double rémunération et le repos compensateur. Mais, à l’heure où la proposition de loi arrive en discussion, il s’avère que ces contreparties ne concernent qu’un petit nombre de salariés. Quelle tromperie, ou plutôt quelle embrouille !
M. Dell’Agnola, responsable de la proposition de loi pour le groupe UMP, a affirmé ce matin qu’elle ne visait qu’à affirmer la liberté de ne pas ouvrir les magasins le dimanche. Quelle antiphrase ! Notre collègue sait bien qu’il n’en est rien. Si votre but est de ne contraindre personne, rédigez le texte autrement et inscrivez dans la loi que le travail du dimanche a pour condition le volontariat et pour contrepartie le repos compensateur et le paiement double.
Mais, à la vérité, votre conception du volontariat me rappelle le Discours de la servitude volontaire, de La Boétie, écrit en 154
9. (« Ils n’ont pas évolué depuis cette date ! » sur les bancs du groupe UMP.) L’UMP, dont le siège est précisément rue La Boétie, s’y connaît en matière de servitude volontaire. Les députés de la majorité ne sont même pas capables de dire au Président de la République qu’ils ne voteront pas un texte qui, pour résoudre quelques cas particuliers, est idéologiquement néfaste pour les Français.
M. Christian Eckert. Très juste !
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Monsieur Rogemont, au cours de ce débat animé, chacun défend ses positions. Nous nous sommes déjà longuement exprimés et nous allons continuer. Mais il y a deux points sur lesquels je ne peux pas être d’accord avec vous.
D’une part, je n’accepte pas que vous considériez un texte qui réaffirme la liberté des collectivités et la responsabilité des maires comme une capitis deminutio de la loi. C’est une contre-vérité.
D’autre part, il n’est pas convenable de convoquer dans nos débats la vie privée du Président de la République. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Marcel Rogemont. Pourquoi l’affiche-t-il dans Paris Match ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Celui-ci défend la valeur travail. Il considère qu’il doit encourager les Français à travailler mieux. Toutes les comparaisons internationales montrent qu’il a raison.
M. Christian Eckert. Non !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Les Français doivent travailler plus. Ceux qui ont instauré les 35 heures n’ont pas de leçons à nous donner quand nous entreprenons de réguler le temps de travail. Quoi qu’il en soit, on ne saurait mentionner dans un débat public la manière dont le Président de la République passe ses week-ends. Ce n’est pas digne des propos que vous avez tenus jusqu’à présent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. M. Rogemont doit faire des excuses !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Le Loch.
Mme Annick Le Loch. À propos des alinéas 7 et 8 de l’article 2, qui portent sur les communes touristiques ou thermales et les zones d’affluence touristique, pemettez-moi de citer le cas du Finistère, qui peut être transposé à l’échelle de toute la France.
Notre pays étant la première destination touristique au monde, on trouve, en dehors des villes, des secteurs d’affluence touristique. Le Finistère, où vivent 890 000 habitants, comprend 1 000 kilomètres de côtes et compte quatre-vingts offices du tourisme. Pourtant, dans ce département, le huitième département touristique français, on trouve seulement douze communes touristiques au regard des critères du code du travail – il s’agit de petites communes situées sur le littoral – et six zones reconnues d’affluence exceptionnelle, également très petites. Ce sont parfois des hameaux, des bourgs, où est organisé, par exemple, un pardon annuel. Seules deux zones, Concarneau et Bénodet, sont un peu plus connues que les autres. Le travail du dimanche y est autorisé. Est-il payé double ? Ce n’est pas certain. Mais les situations sont certainement très diverses.
Dans ce département, sur quatre-vingts offices du tourisme, vingt-sept sont classés, sans bénéficier du statut de commune touristique. Hier, soir, M. Ollier a évoqué la difficulté d’obtenir ce classement, en parlant d’un véritable parcours du combattant, ce qui exclut, à ses yeux, le risque que ce statut se généralise. Mais, puisque le Finistère reçoit 3 millions de visiteurs par an, pourquoi d’autres maires ne le solliciteraient-ils pas ? Le classement d’une commune en tant que commune touristique n’est-il pas valorisant ?
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pourquoi ne l’ont-ils pas déjà demandé, alors ?
Mme Annick Le Loch. Pourquoi ne le feraient-ils pas demain ?
Mme Martine Aurillac. C’est leur choix !
Mme Annick Le Loch. Et pourquoi des maires ne le demanderaient-ils pas dans toute la France ? S’ils entreprennent des démarches en ce sens et qu’ils possèdent les équipements nécessaires, ils pourront prétendre à une dotation, dont je me demande d’ailleurs comment on la versera. Vous comprenez pourquoi j’ai parlé d’un effet d’engrenage ou de tache d’huile : aucun maire ne pourra résister, surtout si les communes voisines bénéficient du classement. En conséquence, les magasins pourront ouvrir le dimanche dans un grand nombre de communes et les salariés seront contraints de venir travailler ce jour-là. Parmi eux, il y aura des mères de famille. On assistera ainsi à un bouleversement de la société et des rythmes de vie, sans parler des conséquences sur la vie associative.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Combien de temps dure la saison touristique dans le Finistère ?
Mme Annick Le Loch. Plusieurs mois ! Il fait beau en Bretagne ! M. Le Fur a déclaré : « Concernant les zones touristiques, le débat est très parisien. Rien ne va changer en Bretagne ou ailleurs, où il existe déjà beaucoup de dérogations en été sur le littoral. » Contrairement à lui, je pense qu’elles risquent de se multiplier. La situation peut changer dès demain.
Quant aux villes, elles sont nombreuses à entreprendre avec succès de développer le tourisme. Certaines deviennent des zones d’affluence, car elles disposent de grandes capacités d’hébergement et que les animations culturelles sont nombreuses. Si Quimper, Brest, Douarnenez, Pont-l’Abbé, Roscoff ou Morlaix sollicitaient le classement en commune touristique, je ne vois pas comment le préfet pourrait s’y opposer. C’est pourquoi je considère que ce texte, qui est loin d’être anodin, comme on voudrait nous le faire croire, présente un danger.
Il est vrai que je ne l’aime pas. Le président de la commission des affaires sociales a reconnu qu’il ne l’aimait pas non plus. J’aurais préféré que l’on fasse respecter la règle là où elle est bafouée, comme à Plan-de-Campagne, car, à mon sens, la proposition de loi ne va pas dans le sens de l’intérêt général.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
< A name=INTER_7>M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Ollier, vous avez demandé à Mme Le Loch combien de temps dure la saison touristique dans le Finistère. Mais vous le savez bien : « un certain temps ». À Serre-Chevalier, elle dure une partie de l’hiver, quand on peut skier, mais elle recouvre aussi une partie de l’été. À quoi songez-vous quand vous posez cette question ? Essayez-vous d’inventer une nouvelle notion juridique ?
M. Roland Muzeau. Oui !
M. Jean-Marc Ayrault. La question est encore plus délicate dans le cas de Nantes, ville d’art et d’histoire : la saison dure-t-elle pendant l’été, l’hiver ou toute l’année ?
M. Marcel Bonnot. Tout dépend des animations que vous créez !
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Méhaignerie, je pourrais vous poser la question à propos de Vitré, dont vous êtes maire. Croyez-vous que vous ne demanderez pas le classement en commune touristique, alors même que la majorité a fait voter en 2006 une loi pour le développement de tourisme, dont les décrets sont parus en 2008 ? Le rapporteur et le ministre, comme d’ailleurs M. Copé, nous ont administré une leçon de modernisme, en nous assénant que nous n’avions rien compris, que la France est le premier pays touristique au monde et qu’il s’agit d’un gisement d’activités économiques formidable.
M. Jean Bardet. C’est pourtant vrai que vous ne comprenez rien !
Mme la présidente. Laissez M. Ayrault s’exprimer !
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Bardet, vous avez un vrai problème : chaque fois que je parle, cela vous énerve. Nous l’avons déjà constaté hier et avant-hier. Laissez-moi poursuivre mon propos.
Oui, la France est le premier pays du monde en matière de tourisme, ce qui représente un gisement d’activités formidable. C’est bien pourquoi je m’étonne quand j’entends le maire de Vitré affirmer qu’il ne demandera pas le classement de sa commune en commune touristique, au titre du code du tourisme.
Mme Martine Aurillac. C’est son choix !
M. Jean-Marc Ayrault. Moi, j’ai envie que Nantes soit une destination touristique de plus en plus importante, car la ville a réalisé des investissements considérables. J’ai rénové le château des ducs de Bretagne et le musée de l’histoire de la ville, et j’ai envie que des centaines de milliers de visiteurs par an stimulent l’activité économique. Je souhaite donc que ma ville soit une commune touristique. Mais comment faire alors, pour développer le tourisme, créateur d’emplois, sans permettre l’ouverture des commerces de plein droit toute l’année ? Car telle est la réalité du texte.
M. Richard Mallié, rapporteur. Mais non !
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Marc Ayrault. Le président Méhaignerie, avec l’honnêteté qui le caractérise, a reconnu que, ne souhaitant pas que tous les commerces soient ouverts dans sa commune tous les dimanches de l’année, il avait renoncé à demander le classement de Vitré en commune touristique au titre du code du tourisme. C’est qu’en homme d’expérience il sait qu’entre le code du tourisme et le code du travail, il n’y a pas d’étanchéité et que, comme l’a dit hier le président Ollier, on passe facilement de l’un à l’autre.
Prenons enfin l’exemple de Chasseneuil-du-Poitou, célèbre commune qui héberge le Futuroscope, en marge duquel s’est développée une intense activité économique et notamment un pôle commercial extrêmement important. Depuis 2002, cette commune est classée commune touristique, au titre du code du tourisme. Si votre proposition est votée, tous les commerces y seront donc ouverts toute l’année de plein droit.
Mais quelle est la commune la plus proche de Chasseneuil-du-Poitou ? C’est la ville de Poitiers. Croyez-vous que les commerçants poitevins pourront longtemps tolérer que les commerces de la commune voisine soient ouverts de plein droit tous les dimanches, tandis qu’eux-mêmes regarderont passer les trains, s’enfuir une partie de leur clientèle et donc de leur chiffre d’affaires et de leurs emplois ? Il leur faudra donc à leur tour ouvrir tous les dimanches, la commune de Poitiers, commune d’art et d’histoire, pouvant fort bien prétendre d’ailleurs au statut de commune touristique.
Vous êtes confrontés à une énorme difficulté. Partant du problème de Plan-de-Campagne et de quelques autres sites du même type auquel Richard Mallié s’est attelé en toute bonne foi, vous avez voulu aller plus loin. Sans doute l’a-t-on exigé de vous, mais ayez le courage de reconnaître que vous êtes dans l’impasse, que vous ne pouvez à la fois défendre une ambition touristique pour la France et, pour échapper aux conséquences de votre proposition de loi, faire comme M. Méhaignerie et refuser le classement de certaines communes en communes touristiques. Non, essayez autre chose, trouvez une solution ! Suivez-nous, renoncez à ce texte ou, à défaut, limitez-en la portée à Plan-de-Campagne, ce qui est déjà beaucoup trop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Vitré a eu l’honneur d’être citée plusieurs fois et je vous en remercie, mais j’ai la modestie de croire que ni à Vitré, ni même à Nantes, ne risquent de débarquer des centaines de cars de Japonais ou de Coréens venant y passer trente-six heures avant de gagner Madrid puis Londres. Je comprends fort bien, cela étant, que nous ne puissions pas interdire à certaines zones touristiques de développer leurs capacités commerciales, dès lors qu’elles accueillent ces étrangers dont on connaît les pratiques touristiques.
M. Christian Eckert. Ils ne viennent pas acheter des téléviseurs ou des canapés !
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Je suis en effet réservé sur l’élargissement que propose le texte – et c’est ce qui justifie mon amendemen
t –, mais je m’interdis de fermer une porte qui ouvre sur de l’emploi ou des acquis sociaux.
Vous savez parfaitement que, dans les vingt zones dont on a parlé aujourd’hui, on n’enverra pas la police fermer les entreprises, au risque de bouleverser les habitudes des salariés et des consommateurs, dont les demandes doivent être prises en compte. Je suis élu dans un bassin d’emploi industriel où certains salariés ont envie de travailler le vendredi, le samedi et le dimanche, parce que leur conjoint travail à l’hôpital ou dans la restauration…
M. Marcel Rogemont. Et ils n’ont pas d’enfants ?
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. … et qu’ils n’ont pas d’enfants.
Mais il ne s’agit en aucun cas d’ouvrir cette option pour toute la France. C’est une mesure limitée, et c’est la raison pour laquelle j’accepte cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Mallié, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Richard Mallié, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur Ayrault, l’UMP n’a aucune difficulté ; en revanche, vous proférez un énorme mensonge, sauf votre respect. Vous n’étiez pas là ce matin… (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Marc Ayrault. Mais si !
M. Richard Mallié, rapporteur. Je parlais du moment où j’ai répondu au député dans la circonscription duquel se trouve Chasseneuil-du-Poitou. Je lui ai précisé que Chasseneuil était situé dans la Vienne où il n’y a, à ma connaissance, ni zone ni commune touristiques. Cela signifie que Chasseneuil-du-Poitou n’est pas considérée comme telle au titre du code du travail, seul code qui puisse permettre de déroger au repos dominical.
C’est la cinquantième fois que je le répète. Je sais bien que nul n’est plus sourd que celui qui ne veut entendre, mais dans les neuf heures qu’il vous reste pour vous exprimer et me poser la question, je vous ferai la même réponse : nous sommes dans le code du travail et non dans le code du tourisme. Or, dans le code du travail, il y 494 communes touristiques et 29 zones touristiques. Ce sont elles qui sont concernées par le texte.
M. Marcel Rogemont. Pour l’instant !
(M. Bernard Accoyer remplace Mme Danièle Hoffman-Rispal au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Bernard Accoyer
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Une fois encore je remercie le président Méhaignerie pour son honnêteté intellectuelle. Il reconnaît qu’il y a un problème et qu’une certaine prudence est de mise. Je vous comprends, monsieur Méhaignerie, même si Richard Mallié m’assure qu’il n’y a aucun risque, me soupçonnant d’être de mauvaise foi.
Depuis 2002, Chasseneuil-du-Poitou est une commune touristique. Vous pouvez rétorquer qu’elle l’est au titre du code du tourisme et non au titre du code du travail, mais comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Avez-vous lu, monsieur le rapporteur, le code du travail sur le tourisme ? Savez-vous quelles sont les conditions qu’il faut réunir pour être une commune touristique au titre du code du travail ? Elles sont moins restrictives que dans le code du tourisme.
Qui peut le plus peut le moins, et Chasseneuil-du-Poitou sera bien évidemment une commune touristique au titre du code du travail, puisqu’elle l’est au titre du code du tourisme. Ne cherchez pas de subtilités ! Si le président Méhaignerie est prudent, c’est qu’il a perçu le danger, et il n’est pas le seul ! Plusieurs députés de l’UMP ont admis à titre privé que j’avais soulevé un problème qui nécessitait des garde-fous.
Je ne vous demande pas l’impossible ; je ne vous demande pas de vous renier. Je sais que Richard Mallié est de bonne foi lorsqu’il veut régler le problème de Plan-de-Campagne. Je ne suis pas d’accord avec son approche, mais il a le droit de la défendre et elle est parfaitement respectable. Je le lui ai déjà dit lorsqu’il a défendu sa première proposition, comme je lui ai déjà dit que j’étais opposé à l’élargissement de l’ouverture des commerces le dimanche, parce qu’il met en cause le droit au repos dominical.
Je ne comprends pas pourquoi, à partir de ce problème spécifique, vous êtes passé à autre chose. Soit l’Élysée ou Matignon l’ont exigé, auquel cas on vous fait faire un sale boulot mais il faudrait nous le dire ; soit vous êtes de bonne foi mais la machine s’est emballée.
Quoi qu’il en soit, le Parlement ne peut voter un texte qui, pour apporter une solution au problème de Plan-de-campagne, remet fondamentalement en cause le droit au repos dominical. Une grande majorité de députés, à gauche comme à droite, ne sont pas prêts à l’accepter.
Certes, une minorité d’entre nous considère que c’est normal, au nom d’une conception libérale du commerce et de l’activité économique et sociale. Ils considèrent que l’ouverture des commerces sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre constitue un progrès pour tous. J’entendais ce matin à la radio une dame se féliciter de ce que les magasins étaient toujours ouverts au Québec, où elle passait ses vacances. Mais a-t-on pensé aux travailleurs, aux salariés, aux familles ? Mme Morano elle-même fait remarquer que rien n’est prévu le dimanche pour garder les enfants. Quelle société voulons-nous ? Nous sommes ici, au-delà du clivage droite-gauche, plus nombreux qu’on ne le pense à ne pas vouloir de ce modèle de société.
De grâce donc, monsieur Mallié, admettez qu’il y a un problème et concentrez-vous sur Plan-de-Campagne. La bataille que nous menons est une bataille juste, pas uniquement à nos yeux mais aux yeux d’une grande majorité de Français, attachés à un certain modèle social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Aux mêmes arguments, je répondrai par les mêmes réponses. Permettez-moi, monsieur Ayrault, de vous donner quelques conseils pour classer Nantes en commune touristique au titre du code du tourisme. Nantes a trois cents mille habitants, ce qui signifie qu’elle doit pouvoir héberger dix-huit à vingt mille personnes supplémentaires en saison. Il vous suffit donc de dresser la liste des meublés, des hôtels et de l’ensemble des lits dont vous disposez. Il vous faut également répondre à huit critères cumulatifs, qui vous donneront le droit à une dotation touristique de la part de l’État.
Nantes va donc être classée commune touristique, ce dont je me félicite, car c’est une très belle ville,
mais vous en êtes le maire, monsieur Ayrault, et vous ne voulez pas que les commerces ouvrent le dimanche. Vous avez raison ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous ne demanderez donc pas le classement de votre ville au titre du code du travail…
M. Marcel Rogemont. On n’a pas à le demander !
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr que si ! C’est la loi, monsieur Rogemont ; ne m’obligez pas à vous en infliger la lecture ! Vous faites semblant depuis deux jours d’ignorer les dispositions de la loi qui font que le conseil municipal doit demander le classement au préfet.
Monsieur Ayrault, en tant que maire de Nantes, vous refusez que les commerces ouvrent le dimanche. Soit. Vous ne demanderez donc pas au préfet son classement comme commune touristique au titre du code du travail, toute liberté étant laissée au maire d’user ou non de cette faculté.
Ainsi, la ville dont vous êtes le maire sera classée commune touristique, au sens du code du tourisme : Nantes pourra arborer une jolie pancarte « commune touristique » et bénéficier d’une dotation forfaitaire. Les touristes pourront affluer, mais les magasins ne seront pas ouverts le dimanche puisque vous n’en aurez pas fait la demande. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Il est important que le maire soit le pivot du dispositif. C’est lui qui choisit de demander ou pas le classement en commune touristique, au sens du droit du travail ; le préfet n’a aucune autorité pour lui imposer quoi que ce soit en ce domaine.
Chers collègues de l’opposition, vous ne lisez pas les textes ou, du moins, vous faites semblant de ne pas les connaître. Monsieur Ayrault, j’ai pour vous un infini respect, vous le savez, mais je me suis permis de vous donner quelques conseils pour un classement de votre ville en commune touristique. Il faut que chacun comprenne que l’amalgame est insupportable. Vous ne ferez pas croire à l’Assemblée nationale et aux Français que, brutalement, en raison du classement en commune touristique, les commerces pourront ouvrir le dimanche dans toute la France. Ce n’est pas vrai ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Martine Billard. Il suffira d’avoir un maire UMP !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président Ollier, je vous remercie : les précisions que vous apportez sont vraiment très intéressantes. Seulement, il ne faut pas jouer au plus fin avec nous !
Vous m’encouragez à demander le classement de Nantes en commune touristique au sens du code du tourisme. Mais, dans une ville touristique, comme je ne suis pas obtus, je suppose que, durant la saison touristique, les commerces directement liés à l’activité touristique devront être autorisés à ouvrir. Or comment peuvent-ils l’être ? Si je ne demande pas au préfet le classement de Nantes en ville touristique au sens du code du travail, il ne me reste que la possibilité d’accorder une ouverture pour cinq dimanches par an : cela n’est pas sérieux.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous en voulez plus ! Nous pouvons en ajouter !
M. Jean-Marc Ayrault. Ne jouez pas à cela avec nous !
Vous le savez très bien, avec votre proposition de loi, il ne reste plus qu’une solution pour que les commerces des communes touristiques ouvrent plus de cinq dimanches par an. Il faut qu’elles demandent l’application des règles spécifiques du code du travail concernant les communes touristiques, autrement dit l’ouverture de plein droit tous les dimanches de l’année, pour tous les commerces. Je ne comprends pas pourquoi vous vous obstinez à proposer cette disposition générale et permanente.
La seule proposition raisonnable consisterait à permettre, dans les communes touristiques, l’ouverture le dimanche des commerces liés à l’activité touristique, pendant la période touristique, à des moments donnés. Mais vous ne voulez pas de ce système qui permettrait pourtant à M. Méhaignerie de faire honnêtement son travail dans sa commune, alors que, une fois votre proposition de loi en vigueur, vous le contraindrez à ne pas opter pour les spécificités du droit du travail, et à se contenter de cinq dimanches annuels d’ouverture. C’est absurde !
Ce système absurde aura bien les conséquences que nous dénonçons : pour pouvoir ouvrir au-delà de cinq dimanches par an, de très nombreuses communes touristiques ne pourront pas faire autrement que de demander l’application des règles spécifiques du code du travail – je ne dis pas que cela sera le cas de Nantes, nous résisterons. Finalement, dans ces communes, tous les commerces, même ceux sans rapport avec le tourisme, pourront ouvrir tous les dimanches de l’année.
Vous voyez bien, monsieur Ollier, que vous n’en sortez pas : vous êtes piégé par votre propre texte. Vous avez beau faire de la dialectique ; c’est de la mauvaise dialectique. La réalité telle que je viens de la décrire, elle est là, en face de vous. Il est inutile de vous réfugier dans vos papiers ! Vous êtes tombé dans un piège, je vous invite à en sortir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Je veux souligner les contradictions des propos du président Ollier.
Selon lui, la saison touristique ne dure que quelques mois. Je pourrais prendre l’exemple du Marais poitevin et de la Venise verte, ils sont magnifiques en toutes saisons et la saison touristique dure en fait toute l’année.
Plus sérieusement, monsieur Ollier, en contradiction totale avec la réponse que vous venez de faire à Jean-Marc Ayrault, vous nous disiez ce matin que près de 3 500 communes touristiques étaient concernées parce qu’elles ont un office du tourisme. Vous avez aussi lourdement insisté sur le fait que tous les commerces devaient ouvrir, et pas simplement les commerces touristiques.
En réalité, dans cette affaire, le tourisme n’est qu’un prétexte pour banaliser le travail du dimanche et l’étendre au plus grand nombre possible de communes et de commerces, et cela sans aucune contrepartie pour les salariés. (Approbation sur les bancs du groupe SRC.)
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas vrai !
Mme Delphine Batho. Monsieur le ministre, ce matin, vous nous parliez de dialogue social. Vous avez donné un avis défavorable à certains de nos amendements portant sur le code du travail, alors qu’ils faisaient des propositions protectrices pour les salariés, par exemple sur la journée de solidarité. Selon vos argu
ments, il était hors de question d’adopter ces dispositions car elles auraient dû relever de la négociation et du dialogue social. Mais, alors que toutes les organisations syndicales de salariés sont opposées à cette proposition de loi, quand ont-elles été entendues ? Quand le dialogue social a-t-il eu lieu ? Vous ne pouvez pas, le matin, rejeter nos amendements en invoquant le dialogue social et, l’après-midi, nous faire voter des dispositions sur lesquelles aucune organisation syndicale n’a été entendue ni prise sérieusement en considération.
Pour prolonger l’excellente intervention d’Alain Vidalies, il me semble que dans la crise actuelle, la logique aurait voulu que nous puissions nous retrouver autour d’une certaine conception de ce que doit être notre modèle de société. Cette crise trouve ses origines dans la surconsommation, le surendettement, la précarisation des travailleurs et l’existence des travailleurs pauvres qui, bien que travaillant, n’ont pas suffisamment de revenus pour vivre – ce qui a conduit aux États-Unis au système des subprimes. Or toute votre proposition de loi est inspirée par un modèle fondé sur la surconsommation, l’augmentation du nombre des travailleurs pauvres et la banalisation de la précarité des salariés.
On nous parle de volontariat, nous savons bien que ce sera une fumisterie. En fait, qui sera concerné ? Travailler le dimanche n’équivaudra pas à travailler plus ; cela aboutira à la flexibilité des horaires et à la généralisation du temps partiel imposé. Or 82 % des salariés qui travaillent à temps partiel sont des femmes, tout comme la majorité des travailleurs pauvres de notre pays. Le salariat féminin sera donc massivement touché par votre proposition de loi et par la banalisation du travail du dimanche.
J’en appelle aux collègues de la majorité qui, au mois de décembre dernier, avaient émis des objections quant à cette réforme. Tous les ingrédients qu’ils critiquaient sont encore là ; cette proposition de loi est même pire que celle qu’ils dénoncaient à la fin de l’année dernière.
J’ajoute qu’il faut savoir être cohérent. Lorsque l’on aborde les questions de la délinquance et de la progression de la violence dans la société française, on nous répète que les parents démissionnent, qu’ils ne s’occupent pas des enfants, qu’il y a un manque de repères et une dilution de l’autorité dans la société parce que ces parents n’assument pas leur rôle. Mais la solution est-elle vraiment de supprimer le seul jour de la semaine consacré à la vie familiale ? La question n’est pas tant celle de la garde des enfants que celle de leur éducation et du temps qu’ils passent avec leurs parents. Si vous banalisez le travail du dimanche, il ne faudra pas vous étonner des problèmes qui se poseront. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
Je constate que la majorité réagit. En effet, cet argument est très sérieux. En banalisant le travail du dimanche, vous bouleversez la vie familiale. Après cela, il vous sera facile de dénoncer les parents démissionnaires qui ne s’occupent pas de leurs enfants !(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. M. Richard Mallié est préoccupé par le cas de Plan-de-Campagne.
Dans le cours de ce débat, nous avons envisagé de classer cette commune parmi les communes touristiques. Ainsi, le problème aurait été facilement résolu : tous les magasins auraient pu ouvrir de plein droit tous les dimanches de l’année. Mais Plan-de-Campagne aurait beaucoup de mal à réunir les critères pour être considéré comme une commune touristique, tant au titre du code du tourisme qu’à celui du code du travail.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Cela prouve que les critères sont efficaces et précis !
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Effectivement !
M. Jean-Marc Ayrault. On a donc renoncé à cette solution pour faire un cas d’espèce de Plan-de-Campagne et de quelques autres sites. Demain, en France, il y aura donc les salariés de ces PUCE, ceux des cinq dimanches par an, ceux des commerces alimentaires du dimanche matin, ceux des communes touristiques, et encore ceux d’Alsace Moselle. Vous rendez-vous compte de la situation ? Direz-vous encore que vous voulez conserver le repos dominical ?
Vous êtes en train de tout casser, de tout changer, de tout bouleverser, et je ne suis même pas certain que vous ayez pris la mesure de tout cela. Hier, sur BFM, M. Guaino, conseiller du Président de la République, constatait lui-même que le Conseil constitutionnel serait sans doute amené à clarifier ces dispositions. Il faisait ainsi l’aveu de la complexité de ce texte, de son caractère improvisé et approximatif, de son côté jungle. Certes, nous en appellerons au Conseil constitutionnel, mais, je le répète, il est encore temps de modifier votre texte et de revenir à la raison.
En l’état actuel, vous ne pouvez pas continuer à proclamer dans vos discours que votre priorité est le respect du repos dominical. C’est faux ! Ce dernier n’existe encore peut-être que pour quelques semaines. Demain, vous porterez la responsabilité d’avoir accepté de briser la digue du droit au repos dominical qui protège aujourd’hui les citoyens français.
Il s’agissait d’une conquête sociale, et même d’une conquête spirituelle. Vous le savez, les débats de 1906 portaient sur ce sujet et ils réunissaient les syndicats, la CGT, Jaurès, mais aussi l’église catholique.
Certains de ceux qui vont voter cette proposition de loi par discipline, n’osant pas dire non au Président de la République qui les a convoqués mardi dernier, diront, de retour dans leur circonscription : « Ce n’est pas ce que nous voulions, ce n’est pas ce que nous avions compris. »
M. Jean Mallot. Ils ont peur pour leur circonscription !
M. Jean-Marc Ayrault. Ils seront malheureux d’avoir voté un texte dont, au fond d’eux-mêmes, ils ne veulent pas. Je le sais très bien : beaucoup d’entre eux ne partagent pas ce choix de société.
Trouvez les arguments que vous voulez, monsieur le rapporteur ! Votre tâche est difficile, j’en conviens, elle est douloureuse, et elle vous embarrasse, mais un sursaut est possible. Occupez-vous de Plan-de-Campagne, mais de grâce, pour le reste, sauvez le droit au repos dominical ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Imaginons qu’un spectateur qui ne connaisse rien au sujet dont nous débattons arrive, à l’instant, dans les tribunes ; imaginons qu’il arrive d’une planète lointaine : il aurait beaucoup de mal, en vous écoutant, à comprendre votre véritable objectif.
D’un côté, vous nous expliquez que nous avons tort de nous inquiéter, qu’au fond il s’agit d’un petit ajustement, que cette proposition de loi ne fait que donner des libertés nouvelles afin de
régler des situations locales. De l’autre vous donnez raison individuellement à tous ceux qui se prononcent, dans cet hémicycle, contre l’ouverture des magasins le dimanche pour la commune dont ils sont élus. Finalement, on se demande ce qu’est cette loi qui pose un principe général auquel il est urgent de s’opposer, une règle à laquelle il est urgent de déroger, alors que vous nous félicitez par avance de refuser ces mesures dérogatoires dans les territoires que nous gérons !
Où est l’urgence, où est la nécessité ?
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure : « La France a besoin de travailler. »
M. Roland Muzeau. C’est sûr : il y a quatre millions de chômeurs en France !
Mme Marisol Touraine. Nous partageons cette idée, mais faut-il autoriser le travail du dimanche pour que la France se mette à travailler, alors qu’elle compte plus de trois millions de chômeurs ? Pensez-vous que le travail du dimanche résoudra les difficultés auxquelles ces derniers sont confrontés ?
Si tel est le cas, alors cette proposition de loi n’est pas un texte mineur, comme vous semblez le dire. Soit cette proposition de loi apporte vraiment une réponse à la question majeure du travail, soit, comme je le pense, elle n’en apporte pas. Mais, dans ce cas, ce texte est inutile ; on peut alors y lire l’empreinte de l’idéologie qui le sous-tend.
Il s’agit, en fait, d’ouvrir tous les possibles en matière économique. En effet, vous croyez profondément que la croissance économique peut justifier toutes les remises en cause, tous les abandons, tous les dépassements.
Je peux aussi vous parler d’une zone touristique : les châteaux de la Loire. La plupart des communes concernées ne sont pas classées communes touristiques.
Tel est le cas, dans mon département, de Villandry, d’Azay-Le-Rideau, de Loches ou de Chinon, par exemple. Soucieux de faciliter, par delà les clivages politiques, le développement du tourisme et la fréquentation de ces sites, l’ensemble des acteurs politiques et économiques de la région ne croient absolument pas que c’est en ouvrant les commerces le dimanche qu’ils attireront davantage de touristes.
Vous ne pouvez pas démontrer que le développement du tourisme dans notre pays nécessite l’ouverture dominicale des commerces. Force est donc de constater que cette proposition de loi est un alibi, un prétexte. Soit elle a pour objet de répondre au problème spécifique de Plan-de-Campagne – mais il suffisait alors de limiter le texte à cette situation particulière –, soit elle vise à remettre en cause notre législation sociale.
A cet égard, l’argument selon lequel le travail le dimanche serait fondé sur le volontariat est une véritable supercherie. Liberté, vous n’avez que ce mot à la bouche : les maires seraient libres de permettre ou non l’ouverture des commerces sur le territoire de leur commune et les salariés d’accepter ou non de travailler le dimanche. Mais que se passera-t-il lorsqu’une personne sur le point d’être embauchée dans un petit commerce annoncera, comme le lui permet la loi, qu’elle n’a pas l’intention de travailler le dimanche ? Ne pensez-vous pas que le patron de ce commerce, qui emploie trois ou quatre salariés et doit ouvrir son magasin le dimanche pour répondre aux préconisations du maire, renoncera à l’embaucher ? La prétendue liberté du salarié est totalement fictive !
Certes, dans une grande surface qui emploie des centaines de salariés, ces derniers peuvent s’arranger entre eux pour que seuls ceux qui, éventuellement, le souhaitent travaillent le dimanche ; un roulement est possible. Mais il est totalement déraisonnable d’imaginer que les salariés d’un petit commerce auront une véritable liberté de choix. De manière générale, du reste, la liberté du salarié par rapport à son employeur est l’une des grandes fictions de notre époque. Lorsqu’une personne a besoin de travailler ou de conserver son emploi pour résister à la pression exercée quotidiennement sur son pouvoir d’achat, il va de soi qu’elle n’a pas la liberté de refuser de travailler le dimanche.
Par ailleurs, dans certains pays, comme la Chine, on peut faire ses courses sept jours sur sept et presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Est-ce là ce que vous nous proposez ?
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est un pays socialiste !
Mme Marisol Touraine. On peut légitimement se poser la question car, après tout, on pourrait exiger, au nom du développement économique, que les commerces ouvrent tard le soir.
Comme Delphine Batho, je m’interroge sur les valeurs que traduisent de telles mesures. En effet, que deviendrait notre pays s’il ne faisait plus siennes les valeurs de partage, d’échange, de repos commun ? On ne peut pas, d’un côté, regretter une dérive individualiste au moment où l’on fait appel au sens de l’effort pour redresser notre pays et, de l’autre, faire de cet individualisme la vertu cardinale de notre fonctionnement social.
A cet égard, l’article 2 de la proposition de loi est très préoccupant. S’il semble ne nous faire faire qu’un pas dans la direction d’une déréglementation fâcheuse, il est évident que cette évolution en appellera inévitablement d’autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville.
Mme Martine Pinville. Sans revenir sur le fait que cette proposition de loi est une manière de banaliser le travail le dimanche, je souhaiterais insister sur l’une des dispositions de l’article 2. J’émets les plus grands doutes sur la possibilité qu’aurait un demandeur d’emploi de refuser de travailler le dimanche lors d’un entretien en vue de son recrutement.
En effet, on peut penser qu’un employeur sera logiquement tenté de privilégier le candidat qui acceptera de travailler le dimanche, dès lors que son entreprise ou son commerce en a l’autorisation. Une personne, demandeuse d’emploi depuis de nombreux mois, verra dans une telle offre d’emploi une occasion de réintégrer le monde du travail, même si cela doit désorganiser sa vie familiale, au détriment de ses enfants notamment. Nombre de femmes, donc de mères de famille, seront ainsi conduites à accepter un emploi qui impliquera de travailler le dimanche, sans en avoir véritablement le choix.
La thèse du volontariat est donc un leurre. Compte tenu du taux de chômage actuel, qui devrait croître durant de très longs mois encore, et de l’effondrement du pouvoir d’achat, de nombreux salariés n’auront en fait plus le choix. Un seul choix s’imposera à eux : celui d’être volontaires pour travailler le dimanche.
Enfin, en acceptant cette disposition, nous faciliterions d’autres évolutions, notamment la possibilité de travailler pendant les congés maladie ou maternité, ainsi que cela nous a été annoncé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Jean Mallot.&
nbsp;Ah !
M. Francis Vercamer. Manifestement, M. Mallot est impatient de m’entendre.
Je dois reconnaître que notre débat est intéressant pour qui se préoccupe de droit social. J’ai entendu les arguments des orateurs du groupe socialiste. M. Rogemont, par exemple, a indiqué que l’on avait exclu Lyon du dispositif parce que ses élus n’y étaient pas favorables. En tant que membre de la communauté urbaine de Lille, dont je vous lirai la motion dans un instant, je puis lui dire que Lille n’y est pas favorable non plus.
M. Marcel Rogemont. Cela ne figure pas dans le texte !
M. Francis Vercamer. J’ai également entendu M. Ayrault et Mme Le Loch, qui, à propos de la définition des communes touristiques, continuent de faire l’amalgame entre le code du tourisme et le code du travail. Quoi qu’il en soit, après avoir écouté attentivement les différents interventions, j’ai souhaité prendre la parole pour en présenter une espèce de synthèse.
Ainsi que je le disais à l’instant, la communauté urbaine de Lille, présidée par Martine Aubry – votre première secrétaire, chers collègues socialistes –, a voté, au mois de décembre dernier, une motion contre le travail du dimanche. Elle a également adopté, hier, un vœu pour la préservation du repos dominical, dont je vous lis quelques extraits : « Le Gouvernement envisage une extension du travail dominical. Une proposition de loi a été déposée en ce sens et a commencé à être débattue à l’Assemblée nationale. La loi instaurant le repos dominical remonte à 1906. Elle trouve ses fondements dans une volonté d’améliorer les conditions de travail des ouvriers. » Je passe sur les différents arguments en faveur du repos dominical, que vous avez tous présentés,…
M. Jean Mallot. Et que vous partagez, n’est-ce pas ?
M. Francis Vercamer. …pour en arriver au paragraphe suivant : « Sur le plan économique, les études conduites dans des pays qui ont étendu le travail du dimanche comme l’Allemagne ou le Canada, montrent que cette réforme n’a pas d’effet sur la croissance, et un impact négatif sur l’emploi, particulièrement dans les petits commerces. Elle précarise, en outre, de nombreux salariés qui n’ont d’autre choix que d’accepter de travailler le dimanche. Le plus souvent, ce sont des femmes qui sont touchées. Enfin, sur le plan environnemental, les effets sont très négatifs. »
Nous avons là, résumées en un paragraphe, les différentes interventions des membres du groupe socialiste, que je félicite de suivre ainsi comme un seul homme – ou une seule femme – leur première secrétaire.
M. Marcel Rogemont. C’est la preuve que le parti socialiste est uni !
M. Francis Vercamer. Je poursuis : « L’agglomération lilloise serait particulièrement concernée – et elle serait la seule dans ce cas en France –, puisque l’ouverture des magasins y serait possible tous les dimanches. La raison avancée est que nous sommes frontaliers avec la Belgique, qui autorise l’ouverture des commerces le dimanche » – ce que certains d’entre vous ont nié, d’ailleurs. « Nous avons toujours considéré la proximité avec la Belgique comme une véritable richesse. Elle ne doit pas se traduire par un alignement vers le bas de la qualité de vie. […] La Communauté urbaine de Lille entend réaffirmer son attachement au principe d’une journée de repos hebdomadaire commune à un maximum de salariés de ce pays. […] Le travail du dimanche doit être réservé aux services publics et aux activités qui ne peuvent être arrêtées ce jour-là » ; je les ai cités tout à l’heure lorsque j’ai évoqué les 180 dérogations.
En lisant ce texte, je me suis dit : « Voilà une femme de conviction, qui est sûrement toujours restée fidèle à ses engagements ! »
M. Marcel Rogemont. La chute !
M. Francis Vercamer. J’ai donc entamé mes recherches et je suis tombé, tout d’abord, sur un décret de 1992, signé par Mme Aubry, qui prévoit dix-huit dérogations au repos dominical sans contreparties. Il s’agit de services qu’on peut considérer comme indispensables à la société – même si l’on peut se demander si le marché du dimanche matin, qui figure dans cette liste, est véritablement indispensable à la qualité de vie des habitants.
Puis, en cherchant la définition de la commune touristique, je suis tombé, par hasard, sur un article du 27 février 1997 de Libre service actualités consacré à la ville de Lille – dont Mme Aubry n’était pas encore maire – dans lequel il est indiqué : « Le classement d’une ville en “zone touristique” permet à ses commerces d’ouvrir le dimanche » – ce qui était déjà faux. L’auteur de l’article poursuit : « Lille avait déjà tenté d’obtenir ce fameux label, mais jusqu’à présent les ministères de la culture et des affaires sociales avaient émis un avis défavorable, considérant notamment que le dossier de candidature déposé par les responsables de la métropole lilloise était incomplet. Après avoir effectué une nouvelle demande, ces derniers viennent d’obtenir un accord de principe. La procédure doit cependant suivre son cours jusqu’à l’ultime autorisation du Conseil d’État. Les commerçants lillois seront fixés d’ici un ou deux ans. » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
En 1997, Lille avait donc déjà entrepris les démarches nécessaires pour permettre aux commerces d’ouvrir le dimanche. Mais il est vrai que le maire de la ville était alors Pierre Mauroy.
Poursuivant mes recherches, j’ai découvert un décret du ministère de l’équipement, des transports et du logement en date du 22 octobre 2001 – date à laquelle, cette fois, Mme Aubry était maire de Lille – par lequel la commune de Lille est classée « station de tourisme » – ce qui, chacun le sait, ne permet pas aux commerces d’ouvrir le dimanche. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
J’ai ensuite trouvé un avis de la commission de développement économique du conseil communal de concertation de Lille, consacré à l’ouverture des commerces lillois le dimanche.
Il est dit, dans l’introduction de ce rapport émis le 1er juin 2002, alors que Martine Aubry était maire de Lille, à la fin du gouvernement Jospin : « Ainsi ouvrons-nous à nouveau un thème difficile qui avait fait l’objet d’un rapport d’étape présenté à l’assemblée plénière du 5 juin 1999. Il avait semblé à cette époque que l’importance du sujet justifiait une réflexion plus approfondie, à la fois pour tenir compte de points de vue qui ne s’étaient pas encore exprimés, et pour revoir notre première approche en intégrant un changement de situation pressenti : celui du classement de Lille en « stati
on de tourisme » ».
Comme on le voit, Lille avait effectué une demande d’ouverture dominicale au titre du code du travail, alors même qu’elle ne disposait pas du statut de ville touristique au titre du code du tourisme. Cette demande a été faite une deuxième fois, une fois le statut de ville de tourisme acquis – comme l’indiquait M. Ayrault, ils sont allés chercher le statut de ville touristique pour pouvoir ouvrir le dimanche – et l’actuelle première secrétaire du parti socialiste a, cette fois, obtenu ce qu’elle voulait, comme l’indique l’avis de la commission : « Un décret du ministère de l’équipement, des transports et du logement en date du 22 octobre 2001 a confirmé l’opportunité de notre attente. »
M. Marcel Rogemont. C’est un document interne à la ville !
M. le président. Monsieur Rogemont, laissez l’orateur s’exprimer !
M. Francis Vercamer. Le même document fait ensuite la synthèse des principaux avantages de l’ouverture du dimanche : « Il s’agit ici de reprendre, sans en trahir le sens, les observations diverses recueillies par écrit ou en réunion auprès des membres des commissions. […] Quels avantages possibles ? Il est assez probable que ce sujet serait pratiquement occulté si Lille n’était pas une grande ville frontalière. La proximité de la Belgique et, par voie de conséquence, des commerces qui animent nombre de villes à quelques kilomètres de Lille durant tout le week-end, tend à déplacer beaucoup de nos concitoyens vers des zones de chalandise qui privent le commerce lillois d’une partie de son potentiel d’affaires. » C’est exactement l’inverse de la motion qu’elle a présenté six ans plus tard !
Je reprends : « Selon l’appréciation de certains spécialistes, le manque à gagner serait de l’ordre de 15 à 20 % […] » – alors qu’on vient de nous dire, dans la motion soumise à la communauté urbaine, que cela ne changeait rien ! « Dans le même temps, on peut raisonnablement penser que les populations extérieures à la ville trouveraient certains intérêts à faire leurs achats à Lille si l’ouverture des commerces s’élargissait au dimanche. La « fièvre acheteuse » existerait donc aussi le dimanche !
« Les commerçants relèvent que le public qui fréquente le centre-ville de Lille le dimanche est totalement différent de celui de la semaine et qu’il s’agit d’une « nouvelle clientèle à capter » convenant sans doute à « certains types de commerces ».
« Des commerces aussi divers que les agences immobilières, les magasins de souvenirs, de prêt-à-porter ou de maroquinerie pourraient y trouver leur compte » – que l’on vienne m’expliquer ce que la maroquinerie vient faire là-dedans !
« De même y a-t-il lieu de tenir compte de la liberté nouvelle qui s’offrirait à nos concitoyens : les emplois du temps de bien des salariés rendent l’organisation des courses parfois difficilement compatible avec les horaires de travail et de déplacement de la semaine. Les consommateurs y trouveraient un espace de plus grande liberté. L’ouverture dominicale permet un shopping plus qualitatif pour un consommateur moins stressé.
« Il arrive aussi que certains achats importants se décident en famille, et le dimanche devient alors l’occasion quasi unique de réunir les proches pour une sortie que nous pourrions qualifier d’ »utilitaire » ! Voilà ce que dit Martine Aubry dans son rapport ! Vous conviendrez, mes chers collègues, que tout cela est assez croustillant !
M. Marcel Rogemont et M. Jean Mallot. Ce n’est pas elle qui le dit, c’est l’avis de la commission !
M. Francis Vercamer. Laissez-moi terminer, vous allez voir !
Il est également dit dans le document que « finalement, Lille pourrait ainsi escompter que la croissance des visiteurs du dimanche ait des retombées positives à la fois sur les ressources de la ville, sur celles de ses habitants – commerçants et employés – et, peut-être, sur l’emploi. » Exactement l’inverse de ce qui figure dans la motion soumise à la communauté urbaine !
M. Marcel Rogemont. Il s’agit simplement d’une analyse présentée par un bureau d’études !
M. Francis Vercamer. « L’expansion commerciale attendue, même si elle se limite à certains périmètres et à quelques catégories de commerces, peut permettre à certains commerçants d’amortir leurs charges […].
« Ici, l’intérêt bien compris des employeurs passe nécessairement par la motivation de leurs employés, largement fondée sur deux conditions : le volontariat et le supplément de rémunération.
« Nota bene : il a été dit, sans que nous ayons pu vérifier cette affirmation, que les salariés qui avaient fait l’expérience du dimanche souhaitaient généralement qu’elle perdure. »
M. Christian Eckert. Ce n’est pas Martine Aubry qui parle !
M. Francis Vercamer. Je vous passe les inconvénients du dispositif, qui font, eux aussi, l’objet d’une synthèse dans ce document : le pouvoir d’achat qui apparaît peu extensible, le fait que les efforts d’attractivité de Lille pourraient porter atteinte aux villes périphériques, le préjudice qui pourrait être fait au petit commerce – des inconvénients tous évoqués, à l’époque, par l’opposition municipale.
Il est également noté que « la ville ne semble pas harcelée par les demandes d’ouverture, ni de la part des professionnels, ni de la part de la population » – un argument que vous avez aussi fait valoir. Pourtant, je viens de téléphoner à la préfecture, qui m’a confirmé que Lille a bien été classée « ville touristique » au sens du code du travail, ayant maintenu sa demande. Cela lui permet donc d’ouvrir le dimanche.
À l’époque, déjà, les arguments étaient les mêmes, mais cela n’a pas empêché Martine Aubry de déposer un dossier de candidature à la qualification de ville touristique, afin de pouvoir ouvrir le dimanche. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Eckert. C’est complètement faux !
M. Francis Vercamer. Vous avez bien compris que la commission donnait un avis défavorable, ce qui n’a pas empêché la ville de Lille de déposer sa candidature, et de voir celle-ci acceptée !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Faites ce que je dis, pas ce que je fais !
M. Francis Vercamer. Il n’a pas été tenu
compte de l’avertissement figurant en conclusion de l’avis de la commission : « La crainte de certains abus dans l’application des nouvelles conditions de travail qui seront nécessairement imposées aux salariés du commerce doit attirer l’attention des initiateurs du projet, c’est-à-dire de la municipalité » – pour moi, la municipalité désigne les élus de la ville, à commencer par Mme Aubry – « sur l’obligation morale de veiller au plus strict respect de la législation sociale. »
Quand elle était ministre du travail, Martine Aubry a signé des dérogations permettant l’ouverture le dimanche sans contreparties pour les salariés. Alors qu’elle était maire de Lille, elle n’a pas tenu compte des avertissements qui lui étaient adressés. Honnêtement, il me semble, chers collègues socialistes, qu’aujourd’hui vous allez un peu loin dans votre démonstration. Certes, il est permis d’avoir des doutes – c’est la raison pour laquelle j’ai moi-même déposé des amendements sur l’article 2, afin d’assortir ses dispositions de certaines limitations et surtout d’obtenir des contreparties pour les salariés des commerces qui ouvriront le dimanche dans les zones touristiques. Tel est mon objectif : éviter les abus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.
M. Jean Gaubert. Nous venons d’entendre une démonstration qui se voulait extraordinaire, mais qui se révèle plutôt décevante, dans la mesure où M. Vercamer n’a fait que se livrer à un amalgame : il utilise un certain nombre d’arguments qui n’ont pas fait partie de ceux avancés pour demander le classement en ville touristique. Cela aura au moins eu le mérite de montrer que le classement en commune touristique au titre du code du travail est, si l’on en croit M. Vercamer, assez facile à obtenir.
Ce texte, qui se voulait au départ un manifeste pour l’ouverture le dimanche et pour le développement de la zone de Plan-de-Campagne, va devenir un texte anti-Plan-de-Campagne. Il y avait au départ, dans la zone d’influence de M. Mallié, une zone où les commerces ouvraient le dimanche en toute illégalité, et où nombre de consommateurs accouraient. Demain, si la loi est votée – ce qui est probable, dans la mesure où ceux qui ne veulent pas d’ouverture le dimanche sur leur territoire s’apprêtent tout de même à voter pour –, toutes les zones comprises dans ce périmètre de plus d’un million d’habitants ouvriront. Et si toutes les zones ouvrent, moins de consommateurs accourront vers Plan-de-Campagne. Les salariés de Plan-de-Campagne ont toutes les raisons d’être inquiets pour l’avenir, puisque la zone où ils travaillent bénéficiera d’une activité moins importante, l’activité globale étant mieux répartie. Ceux que l’on a transportés jusqu’ici pour manifester doivent donc s’attendre à être confrontés à de sérieuses difficultés.
Il y a beaucoup à dire sur l’injustice du texte que vous proposez. Dans les PUCE, il est question d’un doublement du salaire le dimanche, sauf en cas d’accord. Il faut savoir que les plus grands zélateurs de l’ouverture du dimanche – je pense en particulier à une chaîne de magasins de bricolage bien connue – ne pratiquent pas le doublement du salaire à l’heure actuelle, mais seulement une majoration de 50 %. Et je doute qu’ils aillent beaucoup plus loin, notamment en région parisienne, car ils recevront moins de clients du fait de l’ouverture d’autres zones à proximité. C’est un marché de dupes !
Il en est de même pour les zones d’affluence touristique, que l’on ne tardera pas à appeler les ZAF. Cet acronyme me fait penser au coureur cycliste des années 1950, Abdel-Kader Zaaf, qui après avoir bu sans doute un peu trop de vin offert par les producteurs locaux lors d’une étape du Tour de France où il faisait très chaud, reprit sa route dans le mauvais sens ! Il est entré dans l’histoire comme le seul coureur cycliste ayant tenté de faire le Tour de France à l’envers !
J’y vois un bien mauvais présage, car il est d’ores et déjà évident que vous êtes, vous aussi, en train de faire les choses à l’envers. Depuis le début de ce débat, vous passez votre temps à colmater les brèches qui ne cessent de s’ouvrir. Vous avez tenté de soutenir qu’il y avait une importante différence entre le code du tourisme et le code du travail. Or la démonstration est faite que c’est au titre du code du tourisme, et non du code du travail, que le classement est le plus difficile à obtenir. Si certains n’ont pas demandé à être classés au titre du code du travail, c’est qu’il n’y avait aucun intérêt à cela, l’ouverture du dimanche ne donnant pas de droits spécifiques. Le classement au titre du code du tourisme permettait en revanche de pratiquer la majoration pour commune touristique. Il était donc plus opportun de faire cette demande plutôt que celle au titre du code du travail – M. le président de la commission des affaires économiques, qui en a fait la démonstration, peut difficilement se renier !
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est faux !
M. Jean Gaubert. Il y a, dans le dispositif proposé, une évidente injustice. Les salariés des PUCE auront théoriquement droit à un repos compensateur et à une majoration salariale, alors que ceux des zones d’affluence touristique ne bénéficieront pas de ces avantages.
Par ailleurs, alors qu’on parlait autrefois de la saison touristique, il n’en est plus question dans ce texte. Il y a, dans les zones d’affluence touristique, des communes pourvues de zones commerciales. En l’absence de saison touristique, ces zones commerciales pourront ouvrir toute l’année le dimanche – à moins que vous ne nous expliquiez pourquoi ce ne sera pas le cas. L’argument selon lequel les magasins des zones touristiques n’ouvriront pas s’il n’y a pas suffisamment de clients est recevable. En revanche, les zones commerciales pourront ouvrir tous les dimanches de l’année, alors que les magasins situés dans une autre zone, à trois minutes, ne pourront pas le faire.
Enfin, je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, sur la situation particulière de Paris. Comme d’autres villes, notamment Marseille, Paris sera classée à la fois en PUCE et, comme on peut le penser, en zone d’affluence touristique. Quel régime appliquera-t-on alors aux salariés ? Si j’étais salarié, je me battrais pour que Paris soit classée en PUCE, afin de bénéficier de la réglementation afférente aux PUCE – ce qui signifie un salaire et un temps de récupération plus importants. À l’inverse, si j’étais patron, je me battrais pour que Paris soit classée en zone d’affluence touristique, pour ne pas avoir à payer de majoration salariale et ne pas avoir à accorder de repos compensateurs.
Telles sont les situations que va créer ce texte dans les semaines qui viennent, s’il est adopté. Plus nous avançons, plus nous constatons que ce texte à l’origine voulu pour régler un problème particulier – en fait, pour légaliser ce qui était illégal – va devenir un texte explosif en créant des situations complexes, notamment le double zonage de certains secteurs ou l’extension de zones commerciales nuisant à ceux qui en bénéficient aujourd’hui.
Un mot enfin sur les zones frontalières. Jusqu’à présent, une seule était concernée, celle de Lille. Demain, des dizaine
s de zones frontalières le seront également. Rouen, Nice, pourront considérer que, puisqu’elles sont proches de ces zones importantes, elles doivent, elles aussi, obtenir le droit d’ouvrir pour conserver leurs clients.
Bref, pour régler un petit problème, vous allez créer un grand bazar ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Après avoir écouté attentivement M. Ollier et M. Mallié, j’ai retenu de leurs propos que c’était la balkanisation générale. La notion d’intérêt général a disparu et chaque maire fera dorénavant ce qu’il veut. Je suis pour la libre administration des communes, mais, là, il s’agit d’un projet de société – quelle société voulons-nous ? – et de dispositions du code du travail. Vous passez d’ailleurs votre temps, monsieur le rapporteur, à répéter qu’il ne faut pas mélanger code du travail et code du tourisme.
Chaque maire pourra donc faire ce qu’il voudra puisque c’est lui qui, dans les communes touristiques, demandera au préfet de classer sa commune en commune d’affluence touristique, au sens du code du travail. Malheur à ceux qui auront un maire UMP convaincu de la nécessité d’ouvrir les magasins le dimanche ! Tous les habitants et les salariés de ces villes n’auront plus en commun le dimanche comme jour de repos. Ils ne pourront plus voir leur famille, leurs amis ou tout simplement faire ce qu’ils veulent ce jour-là. Vous allez donc balkaniser le territoire et ce n’est pas une bonne chose.
Communes touristiques au sens du code du travail, nous dites-vous, monsieur le rapporteur. Si vous voulez en rester là, déposez donc un amendement pour blinder cette liste. Nous ne passerons pas ainsi des quelque 400 communes qui figurent actuellement sur cette liste aux 6 000 possibles. Si vous déposiez cet amendement, nous pourrions vous suivre. Nous pourrions en déduire qu’il n’y avait pas finalement, derrière tout cela, la volonté d’augmenter le nombre de communes dans lesquelles l’ouverture des magasins le dimanche sera possible. Vous nous rassureriez, monsieur le rapporteur, et vous montreriez votre bonne foi.
Si tel n’est pas le cas, vous aurez beau répéter qu’il ne faut pas mélanger code du travail et code du tourisme, vous ne changerez pas la réalité. Il suffira que les maires UMP demandent aux préfets que leur commune touristique soit classée en commune d’affluence touristique au sens du code du travail pour qu’il y ait ouverture des magasins le dimanche.
S’agissant de Paris, en commission, il m’a été répondu qu’il n’y avait pas que Paris en France.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Ce qui est vrai !
Mme Martine Billard. Certes. Mais, précisément, ne faisons pas de Paris un cas particulier. Réintégrons Paris dans le droit général et donnons au maire la possibilité de décider s’il doit demander que Paris soit globalement considérée comme une commune d’affluence touristique au sens du code du travail, ou simplement de nouvelles zones touristiques d’affluence exceptionnelle – celles-ci sont déjà au nombre de sept.
C’est vous, monsieur le rapporteur, qui faites de Paris un cas spécifique en prévoyant que, dorénavant, c’est le préfet de Paris, et non pas le maire de Paris, qui prendra la décision.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. C’est déjà le cas !
Mme Martine Billard. Pour les cinq dimanches du maire, c’est effectivement le préfet de Paris qui décide. Pour les zones d’affluence touristique, c’est le préfet qui décide en dernier ressort, mais sur avis du conseil de Paris et des organisations syndicales. Le conseil de Paris – l’équivalent d’un conseil municipal – donne donc son avis pour savoir si tel ou tel magasin inclus dans les sept zones définies à Paris peut ouvrir ou pas le dimanche. Telle est la situation actuelle. Aux termes de la modification que vous introduisez dans le texte, il n’y aura plus d’avis des organisations syndicales ni du conseil de Paris, ni a fortiori du maire. C’est le préfet de Paris qui décidera si Paris est une commune touristique ou si elle reste dans le cadre du PUCE.
Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement ? Paris va-t-elle être déclarée globalement commune touristique au sens du code du travail ? Ce qui signifiera que tous les magasins parisiens pourront ouvrir le dimanche, sans contrepartie. Le fait de refuser de travailler le dimanche à Paris sera un motif de licenciement. Il faut bien mesurer les conséquences de cette distinction entre « affluence touristique » ou « commune touristique ». Ce n’est pas qu’une histoire de code.
Si le Gouvernement demande au préfet de Paris de classer globalement la ville en commune touristique, le travail du dimanche sera obligatoire à Paris. Voilà la réalité ! À moins que des zones spécifiques ne soient délimitées dans le cadre du PUCE, par exemple la zone des grands magasins ou celle des Halles – après ou avant les travaux prévus ? Je rappelle que sept zones existent déjà. Elles relèvent de l’article L. 3132-25 sur les zones d’affluence touristique exceptionnelle. À Paris, il y aura donc des salariés obligés de travailler le dimanche, sous peine d’être licenciés, et sans contrepartie, et, par ailleurs, des volontaires bénéficiant de contreparties.
Je rappelle que les Galeries Lafayette, le Printemps et le BHV exercent déjà de fortes pressions pour repousser l’heure de fermeture de leurs magasins jusqu’à vingt et une heures. Or, après la fermeture, il faut encore faire les caisses puis prendre les transports en commun pour rentrer chez soi. Les employés de ces magasins ont rarement les moyens de se loger à Paris. Ils habitent loin et n’arrivent souvent chez eux qu’à vingt-deux heures trente ou vingt-trois heures. Avec ce texte, vous allez, en plus, leur imposer le travail du dimanche.
Quelle vie proposez-vous aux Parisiens et aux Franciliens qui viennent travailler à Paris dans le commerce ? Prévoir de telles dispositions revient à leur dire : on se moque de vos conditions de vie, on se moque de votre qualité de vie, on veut simplement que les touristes qui viennent à Paris puissent faire des achats quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Vous opposez les touristes aux Franciliens. Certes, quand on est en vacances, on oublie parfois que des gens travaillent et on peut avoir une petite envie le dimanche. Il n’en reste pas moins que, pour que les magasins soient ouverts ce jour-là, d’autres n’auront plus de vie de famille ou de vie sociale.
J’espère que M. le ministre du travail voudra bien me répondre, car la question est intéressante.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. J’ai déjà répondu quatre fois !
Mme Martine Billard. Pas sur Paris. Tout cela semble normal à Paris. C’est la capitale, c’est une grande ville touristique et tout le monde s’en lave les mains ! Mais à Blois aussi, il y a beaucoup de tourisme international. Beaucoup d’étrangers viennent voir les bords de Loire et leurs splendeurs. Or, d’après le rapport, Blois ne relève pas des communes touristiques au sens du code du travail. Pourquoi les touristes auraient-ils le droit de faire les magasins le d
imanche à Paris et pas à Blois ? Si l’on s’en tient à votre point de vue, ce n’est pas juste. Il faut donc que toutes ces villes de tourisme international puissent ouvrir leurs commerces le dimanche.
Monsieur le rapporteur, vous tentez de vous en sortir au prix de contorsions pathétiques. Mais la réalité c’est que votre texte étend le travail du dimanche et sera un cheval de Troie pour sa généralisation. Je sais que, sur les bancs de l’UMP, quelques collègues trouvent fantastique l’organisation du Québec où l’on peut faire ses achats à toute heure du jour ou de la nuit. En tant qu’écologiste, telle n’est pas ma vision de la société. D’ailleurs, la planète ne le supportera pas. Je n’ignore pas que ce propos en fait rigoler certains. Il n’en reste pas moins que l’urgence est là. Inutile de participer à des négociations, de préparer le sommet de Copenhague, de donner de belles leçons à l’ensemble des pays de la planète sur la réduction des gaz à effets de serre si c’est pour conduire des politiques qui vont totalement dans le sens contraire.
(Mme Danièle Hoffman-Rispal remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal,
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Axel Poniatowski.
M. Axel Poniatowski. Je ne comptais pas intervenir dans le débat mais je me dois de répondre aux propos de MM. Ayrault et Gaubert et de Mme Billard. Leurs craintes me paraissent infondées. Pourquoi les élus locaux que nous sommes se poignarderaient-ils en portant atteinte à l’équilibre existant des commerces de leur commune ?
Je prendrai l’exemple de ma ville, l’Isle-Adam, dans le Val-d’Oise. C’est une des deux seules communes touristiques de ce département au sens du code du tourisme. Son petit commerce de centre-ville est florissant. Sa grande zone commerciale marche très bien. Et son marché, qui s’installe trois fois par semaine, a été déclaré le plus beau marché d’Île-de-France. Tout cela coexiste parfaitement bien.
Pourquoi voudriez-vous qu’en tant que maire d’une ville touristique, au sens du code du tourisme, j’aille demander le classement de ma commune en commune touristique au sens du code du travail ? Si je le faisais, je déséquilibrerais complètement l’organisation commerciale.
Mme Martine Billard. Chacun pour soi, hein !
M. Axel Poniatowski. Notre ami Jean-Marc Ayrault a évoqué ce type de menace pour Nantes. C’est une ville bien gérée par son maire. Je n’ai aucune crainte pour elle. Pourquoi Nantes, son agglomération ou les villes avoisinantes porteraient-elles atteinte à l’organisation commerciale – petit commerce, grand commerce et marchés ?
Il faut rester calme et faire confiance à l’ensemble des élus locaux que nous sommes aussi. C’est une question de bon sens. Pourquoi faudrait-il prévoir tous les cas de figure au niveau national alors que, localement, nous prenons des décisions de bon sens ?
Pour les PUCE, les zones sont bien circonscrites. Il y en aura trois en France. Dans ces zones, la clientèle est essentiellement nationale, voire locale. Pour ce qui est des communes touristiques, il s’agit, d’une façon générale, soit d’une clientèle saisonnière, soit d’une clientèle étrangère, qui apporte donc des devises, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Cette clientèle n’a aucun intérêt à aller dans les centres commerciaux. Dans ces conditions, pourquoi voulez-vous que les communes touristiques souhaitent demander une extension de l’ouverture de leur zone commerciale ?
Mme Martine Billard. Il n’y a pas qu’eux, cela concerne tous les commerces.
M. Axel Poniatowski. Il n’y a aucune raison que ces communes demandent une ouverture le dimanche. On est vraiment en train de tout embrouiller et de compliquer des choses simples. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.).
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Quéré.
Mme Catherine Quéré. Depuis deux jours, j’ai l’impression d’entendre tout et son contraire. En premier lieu, à quoi sert une loi, si chacun annonce que, dans sa commune, il ne l’utilisera pas ?
Mes collègues ont défendu avec talent les salariés. Je voudrais parler des petits commerçants. Les avez-vous interrogés, monsieur Mallié ? Je lisais ce matin, dans France Soir, que M. André Vonner, secrétaire général de la confédération européenne des indépendants de France, était farouchement opposé à cette proposition de loi, qui entraînerait la ruine des petits commerçants au profit des grandes surfaces. En effet, un commerçant qui travaille déjà du lundi au samedi sera dans l’incapacité de le faire aussi le dimanche. Vous avez beaucoup parlé des vendeurs de lunettes. J’avais au téléphone ce midi une opticienne de Saint-Martin-de-Ré, commune touristique s’il en est. Elle a vraiment peur, si cette loi est votée, de devoir ouvrir le dimanche, alors qu’elle n’en a absolument pas envie.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dans ce cas, qu’elle n’ouvre pas.
Mme Catherine Quéré. C’est ce que je lui ai dit. Elle m’a répondu : nous sommes trois opticiens dans l’île de Ré. Si mes collègues ouvrent, je serai obligée d’ouvrir. Je répète donc ma question : Avez-vous pensé à tous ces petits commerces ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. L’UPA a déjà réagi.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Richard Mallié, rapporteur. Puisque je suis interpellé, je réponds brièvement. Mais d’abord, je regrette que le président Ayrault soit de nouveau parti…
Mme Catherine Quéré. Il est dans son bureau, et il vous entend !
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est quand même à ses yeux un texte symbolique pour lequel il a demandé 50 heures de débat et dispose lui-même de deux heures de plus. Mais peu importe.
M. Jean Mallot. Vous, vous êtes bien sur ce texte depuis six ans !
M. Christian Eckert. Ne vous
en faites pas, il reviendra !
M. Richard Mallié, rapporteur. M. Gaubert, qui nous a quittés également, disait : plus nous avançons, plus j’ai l’impression que vous comprenez. Pour ma part, je dirai : plus nous avançons, plus j’ai l’impression que nous ne parlons pas la même langue.
On évoque les communes touristiques. Mais je rappelle que ce que nous faisons correspond à la recommandation écrite noir sur blanc dans les rapports de M. Salto et de M. Bailly. Et dans celui du Conseil économique et social, qui a été voté sans opposition, y compris par les représentants des syndicats.
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas vrai.
M. Richard Mallié, rapporteur. Ne dites pas que ce n’est pas vrai !
Donc ne présentez pas ce qui est une recommandation du CES comme une lubie de l’UMP et de l’auteur de la proposition en particulier.
On m’a interpellé sur Plan-de-Campagne. Le texte ne concerne pas que cette zone, mais arrêtons-nous sur son cas un instant. Elle est installée sur deux communes et en partie sur une troisième, dirigées par deux maires socialistes et un maire communiste. Et que pensez-vous qu’ils ont fait dans le passé ? Ils ont demandé le classement de Plan-de-Campagne en zone touristique.
M. Christian Eckert. Et voilà !
M. Richard Mallié, rapporteur. Mais le préfet a refusé, car les critères de commune touristique ne sont pas respectés.
M. Christian Eckert. Mais ils ont essayé.
M. Richard Mallié, rapporteur. Exactement, mais la réponse prouve que les critères ont été bétonnés et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. D’autre part, un maire UMP vient de vous dire que, pour sa commune, il ne demandera pas d’autorisation. Vous le voyez : les maires, quelle que soit leur sensibilité, cherchent d’abord l’intérêt de leur commune.
Si M. Ayrault m’écoute, j’aurais bien envie de relire à son intention la liste donnée par M. Dell’Agnola de la vingtaine de zones de région parisienne, comme celle qui concerne M. Blazy, ancien député socialiste et maire de Gonesse. Il a présenté à son conseil municipal le 27 novembre 2008 une délibération relative à une demande de dérogation au repos dominical du magasin Castorama de Paris Nord 2. Sans donner lecture comme l’a fait M. Vercamer, je la cite : « Les élus de Gonesse ont toujours soutenu les salariés du commerce de la zone dont l’emploi était fragilisé par la possibilité d’une restriction des conditions d’ouverture, alors que depuis vingt ans la zone Paris Nord 2 fonctionne et se développe, faisant de l’ouverture le dimanche sur ce site une réalité historique. »
M. Jean Mallot. C’est l’effet de percolation.
M. Richard Mallié, rapporteur. Je poursuis : « Une fermeture le dimanche entraînerait la suppression des contrats de fin de semaine de vingt-cinq personnes en équivalents temps plein, une baisse de rémunération de 7,1 % pour chaque salarié, une diminution importante des primes de magasin équivalant à une perte de rémunération d’environ 15 %.
Il est donc demandé au Conseil municipal de donner une réponse favorable à la demande présentée par le magasin Castorama de la zone de Paris Nord 2 pour déroger à la règle du repos dominical sur la base de l’article L. 3132-20 du code du travail. »
C’est un maire socialiste, ancien député,…
M. Marcel Rogemont. On s’en fiche ! Ce qu’on voit, c’est que cela fait tache d’huile !
M. Richard Mallié, rapporteur. …qui fait cette demande, dans un PUCE. Il n’attend qu’une chose, c’est que ce texte soit voté pour que la demande qu’il fait au préfet soit accordée dans le cadre d’une loi.
Mme Martine Billard. Il n’en a même pas besoin, grâce à l’amendement Debré !
M. Christian Eckert. L’amendement Ikéa !
M. Marcel Rogemont. C’est peut-être à cause de cela qu’il a été battu aux législatives !
M. Richard Mallié, rapporteur. Enfin, quelqu’un a avancé que les demandeurs d’emploi seraient obligés d’accepter un travail le dimanche. Mais la commission des affaires économiques, suivie par celle des affaire sociales, a retenu un amendement de M. Gaubert qui dispose que le refus d’un demandeur d’emploi d’accepter une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cette question que vous posez, nous y avons déjà répondu, et grâce à un amendement socialiste.
M. Christian Eckert. Non ! Et nous vous répondrons.
Mme la présidente. Nous abordons les amendements à l’article 2.
La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n° 44.
M. Marc Dolez. Notre amendement tend à supprimer l’article 2, car ce texte présente deux difficultés fondamentales en ce qui concerne son impact économique et ses incidences sociales.
Comme nous l’avons expliqué dans la discussion générale, son application ne créera ni emploi ni richesse. On nous a répondu que si des entreprises ne créaient pas de richesse, elles n’ouvriraient pas le dimanche. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est l’effet qu’aura l’ouverture des grandes structures intégrées que vise le texte sur les petites structures et commerces de proximité : il y aura création d’emplois dans la grande distribution, mais suppression d’emplois dans la distribution traditionnelle.
En second lieu, le repos du dimanche est essentiel pour une vie sociale équilibrée et pour l’épanouissement personnel. L’intérêt général commande de ne pas écrire la loi pour le bénéfice de quelques enseignes commerciales, mais de préserver les repères collectifs fondateurs de notre pacte social. Le repos dominical en est assurément un.
Quand il fut institué, 45 % des employés avaient une espérance de vie inférieure à quarante ans. La loi du 13 juillet 1906 a
imposé un jour de repos après six jours de travail dans l’intérêt des salariés de l’industrie et du commerce, et elle l’a fixé au dimanche dans l’intérêt des familles et de la vie sociale.
Prôner, comme vous le faites aujourd’hui, la primauté de l’intérêt particulier sur l’intérêt général conduit à renier toute idée de construction d’une vie communautaire, toute velléité de garantir la cohésion sociale.
Enfin, le texte se fonde sur un leurre, que nous avons aussi dénoncé au cours de la discussion générale, celui du volontariat. Le lien de subordination qui caractérise la relation entre l’employeur et le salarié interdit à ce dernier d’exprimer un choix libre et non contraint.
Pour toutes ces raisons nous demandons à l’Assemblée de voter cet amendement de suppression, d’autant que vous refusez tous les amendements qui pourraient améliorer le texte sur des éléments essentiels comme la rémunération des salariés travaillant le dimanche.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Il est donc là.
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Je préfère être discret qu’être absent.
Il n’est pas très judicieux de la part de l’opposition de demander la suppression de l’article 2. En effet, la commission des affaires économiques a adopté, de façon équilibrée, cinq amendements, dont trois à mon initiative et deux provenant de l’opposition, dont un amendement qui supprime les dispositions de l’article 2 à partir de l’alinéa 5 seulement et qui nous a paru pertinent. Vouloir supprimer tout l’article n’est pas très logique. Avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.
M Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Avis défavorable. Ces considérations sont discutables. Ce matin, j’ai donné des chiffres portant sur la période 2002-2006 montrant que ces craintes ne sont pas justifiées. D’ailleurs, l’UPA ne les partage pas. De toute façon, ce n’est pas à partir de considérations théoriques qu’on peut fonder une loi telle que celle-là.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert.
M. Marcel Rogemont. Enfin, on va entendre la vérité !
M. Christian Eckert. Je veux d’abord remercier Francis Vercamer…
M. Francis Vercamer. Il n’y a pas de quoi !
M. Christian Eckert. …pour nous avoir donné des nouvelles de Lille. Seulement, ses propos ne reflétaient en rien l’avis du maire de Lille, dont il reconnaîtra que nous sommes plus proches que lui.
Le 24 novembre 2008, Martine Aubry a fait voter au conseil municipal de Lille une motion contre l’ouverture des magasins le dimanche. Je vous en livre un passage, monsieur le ministre : « Alors que le Gouvernement nous avait expliqué que la suppression de l’école le samedi libérerait du temps pour les familles, il est paradoxal qu’il s’attaque au dimanche, dans ce mouvement irresponsable de dérégulation dont nous venons de vivre les funestes conséquences lors de la crise financière mondiale. »
Compte tenu du poste qu’occupait M. le ministre il y a quelques jours encore, cet argument me semble de nature à détendre un peu l’atmosphère.
La conclusion de cette motion est la suivante : « Pour toutes ces raisons, le conseil municipal de Lille, réuni le 24 novembre 2008, rappelle son attachement au principe du repos dominical et rejette toute modification des régimes d’ouverture des magasins du dimanche. »
On pourrait penser que la maire de Lille serait la seule, dans l’agglomération lilloise, à penser cela. Or une motion très proche a été adoptée par la Communauté urbaine de Lille. Je vous en épargne la lecture intégrale, mais je la tiens à votre disposition. Qu’il me soit cependant permis de citer ce passage : « Les élus qui soutiennent ce vœu défendront, dans leurs conseils municipaux respectifs, le maintien des règles en vigueur, à savoir pas plus de cinq dimanches d’ouverture dominicale, ces dimanches étant bien sûr communs à toutes les entreprises ».
La position du maire de Lille est donc claire pour tout le monde.
Plus intéressant, monsieur Vercamer, est le fait que votre raisonnement nous donne raison. Je m’explique. Dans l’état actuel de la législation, le classement de la ville de Lille en commune touristique au sens du code du travail pourrait au mieux, selon votre interprétation, autoriser uniquement l’ouverture dominicale des commerces liés à l’activité touristique. Cette autorisation, qui est une autorisation administrative, s’accompagnerait nécessairement des contreparties que nous savons – doublement du salaire et repos compensateur – et serait conditionnée au volontariat.
Lorsque vous aurez voté cette funeste loi, quelle sera la situation ? L’ensemble des commerces d’une ville touristique – c’est le cas de Lille – pourra ouvrir tous les dimanches, sans contrepartie, et sans volontariat.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais c’est déjà le cas, monsieur Eckert !
M. Jean Mallot. Ne criez pas, monsieur Ollier !
M. Christian Eckert. Voilà, monsieur Vercamer, le service que vous nous rendez en nous donnant l’exemple de la ville de Lille, qui a demandé son classement au titre des communes touristiques, mais qui, en fonction des textes actuellement en vigueur, ne peut pas autoriser l’ouverture de ses commerces tous les dimanches, et qui pourrait, au mieux, si elle était commune touristique au sens du code du travail, autoriser l’ouverture des seuls commerces liés à l’activité touristique.
Avant-dernier point, nous avons versé au débat, cette nuit, une pièce essentielle, que le Conseil constitutionnel ne manquera pas d’examiner, qui règle la question du litige fondamental qui nous oppose et qui oblige le rapporteur à répéter – c’est tout à son honneur – des dizaines de fois la même chose. Vous nous dites que le classement commune touristique au sens du code du tourisme ne permet pas les dérogations, et nous vous disons que si.
Or, je reviens, à l’attention de ceux qui n’auraient pas pu être présents hier soir, à cette pièce extrêmement importante. Le lundi 5 décembre 2005, dans cette même assemblée, était examiné un projet de loi portant diverses dispositions relatives au tourisme. La rapporteure de ce texte était notre ancienne collègue Hélène Tanguy, au nom de la commission des affaires économ
iques. Les propos qu’elle a tenus à l’époque confirment notre analyse, qui pourrait s’appliquer à la ville de Lille comme à toutes les communes classées au titre du code du tourisme.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Hier, vous les aviez attribués au ministre.
M. Christian Eckert. Oui, et j’ai reconnu mon erreur.
Je rappelle qu’en cas de contentieux, le juge recherche dans la discussion parlementaire l’esprit du législateur. Jusqu’à preuve du contraire, le législateur est l’Assemblée nationale, et non le ministre.
Dans ses propos d’introduction au projet de loi, la rapporteure, donc, en présence du ministre du tourisme de l’époque, M. Léon Bertrand, déclarait ceci : « Le premier degré du classement, celui des communes touristiques, n’est pas anodin, car il permet de bénéficier des diverses dispositions faisant référence aux communes touristiques dans le droit actuel, telles que la réduction d’impôt sur le revenu pour les logements réhabilités et la dérogation au repos dominical. »
Les paroles de la rapporteure d’une loi sur le tourisme précisent l’esprit du législateur, parce qu’il y a un doute. Elle précise que le classement comme commune touristique au titre du code du tourisme entraîne la dérogation au repos dominical.
C’est pour cela que je vous remercie, monsieur Vercamer, d’avoir souligné que le classement de la ville de Lille, que vous avez stigmatisé, entraînerait ipso facto que, de droit et sans contrepartie, tous les commerces de l’agglomération lilloise pourraient être ouverts, contre l’avis du maire de Lille ou du président de la Communauté urbaine de Lille.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est faux !
M. Christian Eckert. J’attends vos arguments, mes chers collègues !
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous vous les avons déjà donnés !
M. Christian Eckert. Écoutez, le rôle du Parlement, c’est de parler,….
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Vous êtes un parlementaire exceptionnel, de ce point de vue.
M. Christian Eckert. …et d’éclairer les débats. Je me permets d’éclairer les débats en fournissant à nos collègues cette pièce que je tiens à leur disposition.
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. D’abord, M. Eckert va un peu loin dans sa démonstration. Si Lille demande à être classée commune touristique, c’est Lille qui a le droit d’ouvrir ses magasins le dimanche, et non pas l’agglomération lilloise. Celle-ci compte quatre-vingt-sept communes. Je suis maire de l’une d’entre elles. Je ne tiens pas du tout à ouvrir le dimanche. Je n’utilise qu’un seul dimanche sur les cinq possibles, tout simplement parce que le samedi qui précède, ce sont les fêtes d’Hem et que les magasins du centre ne peuvent pas ouvrir. Je leur autorise l’ouverture le dimanche, en compensation du samedi. C’est le seul jour que j’accorde. Et pourtant, je ne suis pas un pourfendeur de la proposition de loi de M. Mallié.
M. Régis Juanico. Comme d’habitude ! Notre collègue Vercamer n’est pourfendeur de rien !
M. Francis Vercamer. Monsieur Eckert, j’ai fait tout à l’heure la démonstration que Martine Aubry, votre première secrétaire, fait bien la différence entre le code du tourisme et le code du travail, puisqu’elle a fait les deux démarches. Il existe bien deux démarches, même s’il est plus facile pour une commune d’obtenir son classement comme commune touristique au sens du code du travail quand elle l’est déjà au sens du code du tourisme, que l’inverse.
Je voulais démontrer qu’à l’époque, les opposants à ce classement avaient peur de l’ouverture dominicale, et que les différentes critiques que vous avez faites étaient déjà vraies. Et ce n’est pas le texte de M. Mallié qui va changer quoi que ce soit.
M. Christian Eckert. Mais si !
M. Francis Vercamer. Vous avez parlé de la motion adoptée par la Communauté urbaine de Lille. Je n’ai pas pris part au vote. Elle a été adoptée par une centaine d’élus sur 177. Certes, elle a été votée, et de manière démocratique. Mais c’était dans le cadre des PUCE, ou plutôt d’un périmètre équivalent, qui portait un autre nom. La ville de Lille ne voulait pas que l’on puisse accorder des dérogations à ce titre. Mais elle était déjà, pour sa part, ville touristique. Elle avait donc déjà la possibilité d’autoriser l’ouverture dominicale, et sans contrepartie. Alors que les PUCE donnent des contreparties obligatoires. Si j’avais été à la place de la maire de Lille, j’aurais choisi la dérogation au titre des PUCE plutôt qu’au titre de ville touristique, puisque dans ce cas, il n’y a aucune contrepartie. C’est du moins le cas aujourd’hui, car j’espère que mon amendement sera adopté.
Autre information, monsieur Eckert, que j’ai gardée spécialement pour vous : le ministre du tourisme, en octobre 2001, était Mme Demessine, adjointe au maire de Lille. C’est un peu plus facile de se faire classer commune touristique quand son propre adjoint est ministre du tourisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Enfin, monsieur Eckert, j’ai été sur le site de la ville de Lille. Et je suis tombé sur les marchés. Je vous rappelle que les dérogations ont été signées par Martine Aubry en 1992. Je regarde ce qui est dit, sur ce site, d’un marché très connu à Lille, le marché de Wazemmes :
« Marché de Wazemmes, place de la Nouvelle aventure. Mardi, jeudi et dimanche de 7h à 14h.
« Commerces présents sur le marché : soldes en tous genres, bazars, livres neufs et anciens, matériel électrique, tapis, maroquinerie, articles ménagers, articles africains, cosmétiques, parfumeries, drogueries, prêt-à-porter, bonneteries, textiles en tous genres, vêtements d’enfants, merceries, tissus pour confection, linge de maison, friperies, chaussures, boulangeries-pâtisseries, alimentation générale, lingerie féminine, décoration de la maison, toiles cirées, brocante, produits de grandes marques, boucheries chevalines, confiseries, fruits et légumes, producteurs, fruits secs, produits orientaux, fromageries, crémeries, fleurs naturelles, horticulteurs, brocante. »
Vous voyez, Mme Aubry ne demande pas un PUCE, mais elle en a un par un autre biais. Elle a fait une dérogation pour un march
é dans lequel elle a mis tous les commerces qui devaient ouvrir le dimanche. C’est bien de ne pas demander de PUCE pour pouvoir dire qu’on ne veut pas de la loi Mallié, mais le PUCE existe déjà, de fait !
Quant au site « découvrir Lille », il se félicite que ce soit ouvert jusqu’à quinze heures, et qu’il y ait 400 commerçants. Je veux bien tout ce qu’on veut, mais, vous savez, contourner la loi, c’est toujours facile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Eckert. Ah ?
(L’amendement n° 44 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 262.
La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je voudrais poser une question à M. Pierre Méhaignerie, qui est a priori favorable à la liberté offerte au maire de proposer ou non des ouvertures de commerces le dimanche, dans le cadre de ce texte. Je suis d’accord avec lui. Cela dit, imaginons qu’un maire demande pour sa commune à bénéficier du dispositif législatif que nous étudions, et qu’il soit battu aux élections municipales suivantes. Que se passera-t-il si le nouveau maire veut revenir sur cette décision ? En aura-t-il la possibilité ? À ma connaissance, non !
La seule liberté du maire est de dire oui, et pas de dire non !
L’article L. 3132-2 prévoit : « Le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre premier. » La notion de volontariat a été mise en avant par beaucoup d’entre vous, mais vous savez pertinemment qu’elle ne s’appliquera pas à l’essentiel des personnes concernées.
Nous proposons par cet amendement, dans un esprit constructif, que soit accordé aux personnes qui travaillent habituellement le dimanche un repos, au moins une fois par mois, d’une durée de quarante-huit heures consécutives incluant la journée du dimanche, soit le samedi et dimanche, soit dimanche et lundi.
Cela me semble le moins que l’on puisse faire pour les personnes appelées à travailler le dimanche dans le cadre de votre texte. Il est important que ces personnes-là se voient reconnaître le droit à un minimum de vie de famille, ne serait-ce que pour rencontrer de temps en temps les autres membres de leur famille ou participer à des fêtes familiales. Avec votre texte de très nombreuses personnes vont être obligées de travailler de façon habituelle le dimanche ; avec cet amendement, leur vie privée sera un peu respectée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission a rejeté l’amendement, considérant que la proposition relève plus du domaine de la négociation, d’une convention collective par exemple.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Le Gouvernement n’entend pas revenir, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, sur le droit commun applicable en matière de repos hebdomadaire, qui est de trente-cinq heures consécutives, et non de quarante-huit heures.
Il est loisible aux partenaires sociaux d’en débattre dans certaines branches, mais il n’y a aucune raison de déroger à la règle générale.
(L’amendement n° 262 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 52.
La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Je commence mon propos en me tournant vers M. le rapporteur – auteur compositeur. Je pense qu’à force de parler de Plan-de-Campagne, nous allons faire une publicité terrible à cet endroit, ce qui déclenchera une forte affluence touristique. Nous aurons ainsi trouvé le moyen de régler le problème. (Sourires.)
L’amendement n° 52 vise à supprimer les alinéas 1 et 2 de l’article 2 qui propose une nouvelle rédaction de l’article L. 3132-3 du code du travail, qui dispose aujourd’hui : « Le repos hebdomadaire est donné le dimanche. » Si la proposition de loi était adoptée, l’alinéa 2 serait ainsi rédigé « Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. »
Ces deux alinéas n’ont pour objet que de donner bonne conscience aux auteurs de la proposition de loi, qu’il faut, je le rappelle, lire à l’envers. Pour régler le problème de Plan-de-Campagne autrement qu’en déclenchant l’affluence touristique, on a créé les PUCE. Et comme il faut bien envelopper les choses, on s’attaque aux communes touristiques pour en généraliser la création sur l’ensemble du pays. Comme la droite, ayant commis son forfait, a besoin de se donner bonne conscience, elle réaffirme, pour justifier le titre de la proposition de loi, son attachement au principe du repos dominical.
La rédaction actuelle : « Le repos hebdomadaire est donné le dimanche » est affaiblie par l’ajout du membre de phrase « Dans l’intérêt des salariés ». L’UMP reprend ainsi d’une main ce qu’elle a fait semblant de donner de l’autre, pour se donner bonne conscience. L’argument saute aux yeux. Si l’on éprouve le besoin de préciser une disposition de ce genre, on en réduit la portée et on donne prise à des commentaires, des contestations, des contentieux.
Un juge pourrait se trouver obligé de valider la décision d’un employeur qui tendrait à obliger le salarié à accepter de travailler le dimanche s’il pouvait être démontré, dans le cas précis, que l’intérêt du salarié n’était pas compromis. L’argument se retournerait contre le salarié. Si on considérait que son intérêt n’était pas en cause, le repos hebdomadaire pourrait donc lui être supprimé le dimanche.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement. Notre excellent collègue M. Poisson a très clairement rappelé notre argumentation en commission, ainsi que lors de la discussion générale.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. Nous voyons, à travers les réponses apportées par M. le rapporteur et les travaux en commission, que fondamentalement l’UMP, ainsi que tous ceux qui s’apprêtent à voter cette proposition de loi, n’assument pas la portée sociale et sociétale de ce texte.
M. Marc Dolez. Absolument !
M. Régis Juanico.
Ils s’en mordront les doigts !
Mme Sandrine Mazetier. Avec l’habillage proposé par l’alinéa 2 de l’article 2, vous êtes infidèles à l’esprit du code du travail et à celui de l’article L. 3132-3 que vous souhaitez modifier.
En 1906, il avait été rédigé en prenant en compte l’intérêt que constituait pour toute la société un temps commun chômé. Et si le texte avait été adopté dans un esprit plus large que le seul intérêt des salariés, ce n’était pas innocent : il répondait à la nécessité d’avoir des repères communs dans une société.
En France, la société se remettait profondément en cause à l’aube d’un nouveau siècle. Elle réfléchissait à la laïcité, au droit des associations, à l’engagement, à la gratuité, au temps commun. Elle se dotait de nouveaux repères, pour une nouvelle ère. Elle se pensait dans son actualité et se projetait dans son avenir. Elle croyait au progrès, au progrès humain, au partage, à l’échange. Avec votre texte, vous vous apprêtez à abîmer tout cela.
Sous prétexte d’habillage, cette proposition de loi remet en cause des temps sociaux auxquels tous nos concitoyens sont attachés. Manifestement, certains d’entre vous, dont le rapporteur, ne mesurent pas leur importance.
Mme Delphine Batho disait tout à l’heure que les femmes seraient l’essentiel des salariés touchés immédiatement dans les activités de commerce, quels que soient les périmètres retenus.
Dans la région Île-de-France, qui sera très concernée par les conséquences de la proposition de loi, deux tiers des personnes vivent seules. Vous ne reteniez, monsieur le rapporteur, qu’un pourcentage de 50 % et la surreprésentation des cadres supérieurs à Paris.
L’ouverture de tout ou partie des commerces parisiens n’aura pas seulement un impact sur les salariés de Paris, mais sur tous ceux d’Île-de-France, notamment les familles monoparentales. Mme Batho y faisait allusion tout à l’heure, certains de nos collègues l’ont également fait remarquer lors de la discussion générale.
Monsieur le ministre, vous aviez, dans une responsabilité précédente, il n’y a pas si longtemps, interdit l’ouverture des écoles le samedi matin – nous n’en avons d’ailleurs pas parlé dans cet hémicycle – au prétexte que les familles le demandaient, ayant besoin de temps commun. Le même ministre, qui n’est plus ministre de l’éducation nationale, s’apprête à mettre les mêmes mères de famille, les mêmes parents au travail sans que cela lui pose le moindre problème.
Je voudrais que l’on cesse d’être hémiplégique dans cet hémicycle, que le cerveau droit parle au cerveau gauche. Vous adoptez des propositions de loi et des projets de loi les uns à la suite des autres. Retournez-vous pour prendre la mesure de la société que vous êtes en train de mettre en place et des conséquences des lois votées ! Si on « chaîne » les discours les uns après les autres, ils sont totalement contradictoires. Soit vous ne faites pas attention aux conséquences des textes adoptés, soit vous en êtes tout à fait conscients et c’est encore plus grave.
Avec la précision « Dans l’intérêt des salariés » apportée dans le code du travail, vous refusez de considérer les conséquences sur l’environnement, sur les temps sociaux, sur la vie de famille, sur les associations, sur les paysages commerciaux, sur l’activité économique.
J’attends des réponses précises aux questions posées par un certain nombre de nos collègues, en particulier par Martine Billard, sur Paris, sur les périmètres. J’ai écouté avec beaucoup d’attention notre collègue Axel Poniatowski expliquer que les maires étaient soucieux de maintenir l’équilibre de leur territoire et de remédier aux déséquilibres qui pouvaient s’y produire.
Dans une ville comme Paris, avec votre texte, 2 millions de Français seront privés de cet équilibre, de l’attention portée au type de paysage commercial, au type de commerce, aux conséquences induites sur la vie des salariés, des consommateurs, des collectivités et de leurs habitants. À Paris, en effet, le maire et les élus n’auront pas leur mot à dire sur les périmètres. Le Président de la République considère que Paris dans son ensemble est une ville touristique, donc tout Paris sera ouvert le dimanche. Mais Paris n’est pas seulement une capitale internationale dont il faudrait ouvrir les commerces le dimanche pour les femmes de chef d’État, aussi brillantes soient-elles. C’est une ville peuplée d’habitants, dotée d’équipements publics ; c’est une ville où des personnes travaillent, se déplacent tous les jours.
Qui vient travailler à Paris dans les commerces ? Il y a dans ma circonscription un de ces périmètres exceptionnellement ouvert le dimanche : Bercy Village. Les salariés qui y travaillent, en très grande majorité des femmes, n’habitent pas dans ma circonscription, dans cet arrondissement de Paris. Ils empruntent les transports en commun pour venir y travailler tous les dimanches. Demain, le sort de ces salariés sera généralisé à l’ensemble des salariés d’Île-de-France. Les quelque 100 000 commerçants et artisans parisiens ne pourront pas suivre et seront frappés de plein fouet par les conséquences d’une telle mesure.
J’ai beau écouter attentivement, je n’ai obtenu aucune réponse précise sur ces questions. Manifestement, aucune mesure n’a été prise quant à la catastrophe sociale, environnementale et sociétale qu’entraînera ce texte. Et quoi que vous en disiez, chers collègues de la majorité, j’ai le sentiment que vous ne prenez pas la mesure de vos décisions et de la perte de repères induite par ce texte.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Quelle langue de bois !
Mme Sandrine Mazetier. La une du journal Le Monde d’aujourd’hui montre que le pessimisme gagne les Français.
M. Richard Mallié, rapporteur. Surtout quand ils vous écoutent !
Mme Sandrine Mazetier. Or, avec ce texte, vous contribuez à nourrir l’incertitude en proposant des dispositifs arbitraires et inégalitaires. Au sein d’une même enseigne, selon que l’on travaille dans telle ou telle zone, on ne gagnera pas la même chose. Et les salariés qui travailleront le dimanche ne toucheront pas non plus le même salaire.
Vous rendez-vous compte des inégalités que vous instaurez entre salariés ? Êtes-vous conscients de l’illisibilité que votre décision introduit ? Croyez-vous vraiment que c’est ainsi que vous redonnerez confiance à nos concitoyens, aux petits entrepreneurs, aux petits commerçants et artisans qui font l’emploi dans ce pays, en établissant des règles totalement instables, arbitraires, qui changent sans cesse et varient selon les périmètres ? Nos concitoyens veulent des repères clairs, une société dans laquelle ils disposent de temps pour le partage, de moments pour se poser, se cultiver ou tout simplement ne rien faire.
Au regard des textes que vous produisez, j’en viens à me demander s’il ne faudrait pas voter un texte qui vous donne la possibilité de ne rien faire !
M. Roland Muzeau. Ce n’est pas une mauvaise idée !
Mme la présidente. La parole est à M.
Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Le fait de préciser que le repos hebdomadaire est donné le dimanche « dans l’intérêt des salariés » est-il superfétatoire ou aura-t-il des conséquences juridiques ?
Je soutiens, moi, que cette précision est grave, car elle contribuera à créer une loi d’amnistie qui, dans l’avenir, empêchera les poursuites lorsque les règles d’ouverture des commerces le dimanche ne seront pas respectées. Il vous appartiendra, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, de nous apporter des réponses.
La question que je soulève s’est déjà posée dans le passé. Lorsque des magasins ouvraient le dimanche sans y être autorisés, ils étaient poursuivis. Devant les tribunaux, ils arguaient du fait que les salariés étaient consentants et que par conséquent, il n’y avait pas d’infraction.
Mme Delphine Batho. Eh oui !
M. Alain Vidalies. Quelle fut la réponse de la Cour de cassation ? « En raison du caractère impératif de l’article L. 3132-31, l’approbation et le soutien du personnel salarié intéressé à la politique d’ouverture le dimanche ne saurait servir de justification ou d’excuse légitime à une méconnaissance de la loi par l’employeur. » Toute une série d’arrêts de la Cour de cassation reprennent cet argumentaire. Vous qui êtes un fin lettré, monsieur le ministre, vous savez que dans un principe juridique, l’indicatif vaut impératif et qu’il n’y a aucune nuance. Si le juge répressif doit appliquer votre version, qui spécifie que c’est « dans l’intérêt du salarié » que le jour de repos est le dimanche, alors il n’y a plus d’infraction et l’argumentation retenue par la Cour de cassation tombera.
C’est la différence entre une rédaction qui vise l’intérêt général auquel on ne peut pas renoncer parce que c’est un droit, et un droit donné à des gens, auquel ils peuvent toujours renoncer.
Je ne fais pas de procès d’intention aux auteurs de cet alinéa. Je souligne seulement que s’il ne s’agit que d’une précision, cela revient à amnistier un certain nombre d’infractions passées – qui ne seront pas poursuivies puisque vous modifiez la loi. À l’avenir, y compris dans des situations analogues à ce qui s’est passé à Plan-de-campagne, ce qui n’était pas possible et entraînait des sanctions le deviendra en rendant la position de la Cour de cassation caduque.
Compte tenu de la gravité des conséquences d’une telle rédaction, nous ne pouvons faire l’économie d’un débat.
M. Jean Mallot. Excellent !
Mme Delphine Batho. Brillante démonstration !
Mme la présidente. Je mets aux voix..
Mme Delphine Batho. Et la réponse ?
Mme la présidente. La commission et le Gouvernement ont déjà répondu.
(L’amendement n° 52 n’est pas adopté.)
M. Marcel Rogemont. Nous étions plus nombreux, madame la présidente !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Monsieur Rogemont…
M. Richard Mallié, rapporteur. Pas de pression sur la présidence !
Mme la présidente. Les services et moi-même avons procédé au comptage, monsieur Rogemont. Je vous fais, en outre, observer que l’on ne doit pas remettre en cause le résultat annoncé par la présidence, qui veille à compter régulièrement le nombre de présents afin de ne pas perdre de temps.
La parole est à M. Alain Vidalies, pour soutenir l’amendement n° 53.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Il est toujours intéressant d’écouter M. Vidalies.
M. Alain Vidalies. Les accusations du rapporteur à l’encontre de notre collègue quant à d’éventuelles pressions sur la présidence…
M. Franck Gilard. Pourtant, ce fut le cas !
M. Alain Vidalies. …sont inacceptables.
L’objectif de cet amendement s’inscrit dans la suite de mes interventions. Soit vous êtes en mesure de répondre que cela ne change rien au plan juridique, et le débat sera ouvert. Soit vous considérez que – et je ne fais pas de procès d’intention –, par inadvertance, vous êtes en situation de voter une loi d’amnistie pour des infractions passées et une loi d’impunité pour les infractions à venir.
Mme Delphine Batho. Exactement !
M. Alain Vidalies. Je soutiens qu’avec cette rédaction, il suffira de faire signer les salariés pour que, même lorsque l’ouverture des commerces n’est pas autorisée, la Cour considérera que les poursuites ne seront pas possibles.
On peut toujours rédiger une loi qui ne veut rien dire, mais le législateur est tout de même supposé produire des textes qui ont un sens. Le juge se posera naturellement la question de savoir quelle est la différence entre la rédaction actuelle et la nouvelle. Personne ne pourra expliquer au juge que le législateur a modifié la rédaction de la loi dans le seul but de se faire plaisir.
S’il y a une rédaction différente et qu’il s’agit simplement de préciser que le repos hebdomadaire est donné le dimanche « dans l’intérêt des salariés », cela signifie que l’on est passé d’une règle impérative et générale à laquelle on ne peut pas renoncer individuellement à une règle spécifique dont le bénéficiaire est visé et à laquelle il pourra éventuellement renoncer. Le résultat, c’est qu’il suffira de faire signer les salariés pour empêcher, à l’avenir, toute poursuite même dans les zones qui ne sont pas concernées par votre texte.
J’appelle une dernière fois votre attention sur la gravité de la situation et sur la nécessité pour vous d’y répondre. En tout état de cause, je vous invite à voter notre amendement. Entre l’intérêt qu’est censé apporter cette précision qui n’est, dans votre esprit, que de nature sémantique et le risque que je soulève, le choix doit être vite fait. Vous n’allez pas, en plus, faire une loi d’amnistie, voire une loi d’impunité !
M. Roland Muzeau. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement. (Exclamation
s sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean Mallot. Il faut répondre !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. M. Vidalies semble considérer qu’il y aurait une intention cachée dans cette proposition de loi, une tentative de préparer une sorte d’amnistie.
M. Alain Vidalies. Je n’ai pas dit cela.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. C’est une extrapolation, car telle n’est pas l’intention du Gouvernement et je doute que cela soit celle de l’auteur de la proposition de loi. Il s’agit de réaffirmer un principe.
M. Jean Mallot. Pourquoi ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Parce qu’il est toujours utile de rappeler les principes.
Une loi qui rappelle la nécessité du repos dominical et indique très clairement dans quelles conditions on peut enfreindre cette règle du repos dominical en apportant des précisions sur la manière dont doivent être protégés les salariés, est une loi qui a été élaborée dans l’intérêt des salariés.
Qu’auriez-vous dit, mesdames et messieurs de l’opposition, si nous faisions le contraire et ignorions, par principe, l’intérêt des salariés ?
Le raisonnement de M. Vidalies est, certes, subtil – et j’écoute toujours avec intérêt ses propos –, mais il n’est pas juste.
Permettez-moi de revenir un instant sur la suppression du samedi matin pour les écoliers, que vous m’avez opposée à plusieurs reprises. Pour ma part, je ne vois pas beaucoup le rapport qui existe entre le fait de considérer que les familles de France doivent être libérées le samedi et le dimanche de la pression scolaire et le fait que des salariés pourraient, dans certains endroits, être amenés à travailler le dimanche. La comparaison est pour le moins disproportionnée et sans fondement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Je regrette que le rapporteur n’ait pas répondu à la question très importante soulevée par notre collègue Alain Vidalies. M. le ministre, du reste, n’a pas répondu non plus.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Si !
Mme Delphine Batho. M. Vidalies n’a pas eu l’intention de faire le moindre procès d’intention. Ses propos ont été des plus clairs : loin de moi l’idée de vous prêter une intention maligne, a-t-il déclaré.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas parce qu’il l’a dit, qu’il ne l’a pas fait !
Mme Delphine Batho. Il a seulement posé la question de savoir pourquoi il fallait rajouter la mention « Dans l’intérêt des salariés, » à un article du code du travail ainsi rédigé : « Le repos hebdomadaire est donné le dimanche. » Nous sommes donc en droit de nous demander ce que cet ajout change du point de vue juridique.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes contre le droit des salariés, peut-être ?
Mme Delphine Batho. Cette proposition peut faire l’objet de plusieurs lectures. Je vous en soumets une, peut-être un peu sommaire, à savoir que l’UMP, consciente de porter atteinte au principe du repos dominical et de banaliser un certain nombre de dérogations, s’est sentie obligée de rappeler ce principe dans le titre même de la proposition de loi, ce qui lui a permis de justifier la référence à l’article L. 3132-3 du code du travail.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention la démonstration et l’interrogation de notre collègue Alain Vidalies. Dans mon département des Deux-Sèvres, une zone commerciale enfreint la loi six dimanches par an. Si le fait d’avoir ajouté « Dans l’intérêt des salariés, » revient à instaurer l’impunité à partir du moment où les salariés auraient donné leur accord sous une forme ou une autre au travail dominical, c’est très grave. Cela mérite une réponse précise de la part du rapporteur, car cette réponse peut ultérieurement servir de grille d’interprétation.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Il a déjà répondu.
Mme Delphine Batho. Il est donc important qu’il réponde de manière approfondie à la démonstration très solide de notre collègue Alain Vidalies afin d’éviter tout malentendu, mais également de lever les craintes qu’il a exprimées.
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. J’aime écouter les démonstrations juridiques d’Alain Vidalies, que je trouve souvent justes, même si nous ne sommes pas d’accord sur le fond. Toutefois, cette fois-ci, je pense qu’il a tort, car il ne considère le code du travail que sous un seul angle.
Imaginons qu’une entreprise décide d’ouvrir le dimanche et que certains de ses salariés se portent volontaires pour travailler ce jour-là, puis qu’elle choisisse ensuite de fermer le dimanche. La nouvelle rédaction proposée – « dans l’intérêt des salariés » – pourrait conduire à ce que ce retour à la situation antérieure soit considéré comme un préjudice pour le salarié qui ne bénéficierait plus de la contrepartie liée à la perte du repos dominical. En revanche, si l’on conserve la rédaction actuelle du code du travail, le problème ne se pose pas puisque l’intérêt de l’entreprise est également sous-entendu. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et GDR.)
M. Roland Muzeau. Vous fatiguez !
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert.
M. Christian Eckert. Monsieur Vercamer, ce n’est pas le travail du dimanche qui est dans l’intérêt des salariés mais le repos dominical !
M. Alain Vidalies. Évidemment !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. C’est ce que j’ai dit.
M. Christian Eckert. Je n’ai pas prétendu le contraire, monsieur le ministre.
Je ne crois pas que nous soyons vraiment sur la même ligne de pensée que notre collègue. Notre groupe a montré, par
ses amendements, qu’il ne faisait pas une lecture dogmatique de la proposition de loi mais une analyse très précise de ses conséquences en termes de salaires et de libre choix.
Mais, pour une fois, je me permettrai de décoller un peu du texte.
M. Guy Malherbe. Cela ne vous fera pas de mal !
M. Christian Eckert. Vous dites vouloir réaffirmer le principe du repos dominical et, croyant faire une grande avancée en faveur de nos concitoyens, vous ajoutez à la rédaction actuelle – « le repos hebdomadaire est donné le dimanche » – les termes « dans l’intérêt des salariés ». Or cela sous-entend qu’un autre intérêt pourrait conduire à ce que le repos hebdomadaire ne soit plus donné le dimanche. Si vous aviez ajouté « dans l’intérêt général », nous n’y aurions pas vu d’inconvénient. Mais, avec un peu de perversité, nous pourrions considérer que dans l’intérêt de Mme Obama, il y a un secteur où le repos hebdomadaire n’a pas été donné le dimanche – je le dis avec humour car j’ai beaucoup de respect pour elle et nous fondons beaucoup d’espoir sur la présidence de Barack Obama. De la même manière, nous pourrions dire que, dans l’intérêt de l’employeur, le repos hebdomadaire pourrait ne pas être donné le dimanche.
Nous n’allons pas passer la soirée sur cet ajout, j’estime seulement qu’il a quelque chose de provocateur. Ce sont de simples remarques sémantiques ; sur le plan juridique, tout a été dit par Alain Vidalies.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Richard Mallié, rapporteur. Madame Batho, j’aimerais vous donner quelques éléments de réponse. Ainsi que le rappelle la direction générale du travail dans son Guide pratique sur le repos dominical des salariés, les dispositions fondamentales sur le repos hebdomadaire sont d’ordre public. La jurisprudence est particulièrement attentive à l’application de ce principe du repos hebdomadaire dominical, dans l’intérêt de tous les salariés.
La Cour de cassation a très expressément consacré la notion d’intérêt des salariés en considérant, lors de son assemblée plénière du 7 mai 1993, que l’article L. 221-5 du code du travail – désormais L. 3132-3 – a été édicté dans le seul intérêt des salariés.
Parce qu’il résulte clairement de ces jurisprudences que le salarié est au centre de l’application du principe du repos hebdomadaire le dimanche, il nous est apparu opportun et nécessaire de rappeler aussi dans le code du travail que c’est bien dans l’intérêt de salariés que le repos hebdomadaire est donné le dimanche. D’où la nouvelle rédaction proposée pour l’article L. 3132-3 : « Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Je ne tiens pas à prolonger le débat mais la question reste ouverte. Je comprends que la réponse soit succincte pour l’heure, car nous n’avions pas soulevé ce problème auparavant, mais nous serons très attentifs à ce sujet. J’invite le rapporteur, le Gouvernement et leurs services, à l’examiner de très près.
Ce que vient d’évoquer M. Mallié renvoie au problème de l’interprétation en droit civil. Lorsque dans un arrêt, il est indiqué « dans l’intérêt de », c’est pour bien montrer que c’est seulement de la part de telle partie qu’il peut y avoir renoncement sur les dispositions civiles. Mais il ne faut pas oublier que la rédaction proposée a également des conséquences en droit pénal où les conditions qui permettent de déterminer s’il y a ou non infraction sont plus restrictives. La Cour de cassation a établi que l’accord des salariés invoqué par les employeurs ne permettait pas d’établir l’absence d’infraction, car la disposition est de portée générale. Si vous restreignez la disposition à l’intérêt de ses bénéficiaires, la question se pose donc de l’existence d’une infraction en cas de renoncement desdits bénéficiaires au bénéfice du repos dominical.
La formulation que vous avez retenue, peut être dans de bonnes intentions, risque donc d’avoir des conséquences extrêmement graves. Ce n’est pas l’essentiel de notre débat mais cela peut ajouter de lourdes complications aux conséquences néfastes de votre initiative. Je souhaite donc que, d’ici au débat au Sénat, cette question soit analysée de manière approfondie sur un plan juridique pour que vous nous donniez des réponses plus convaincantes que celles fournies aujourd’hui.
(L’amendement n° 53 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 266.
La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Cet amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement a le même avis.
M. Roland Muzeau. Ça tombe bien ! (Sourires.)
(L’amendement n° 266 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 267.
La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. L’amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Nos collègues socialistes, qui nous reprochent d’avoir fait l’ajout de « dans l’intérêt des salariés », proposent dans cette série d’amendements une énumération encore plus restrictive, ce qui a de quoi surprendre. Je leur demande donc de les retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Le repos dominical reste pour nous le principe. Il serait préférable de voir ces amendements retirés ; si tel n’était pas le cas, le Gouvernement émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Nous avions décidé de ne pas prendre la parole pour défendre ces amendements mais, compte tenu de la juste observation de M. le rapporteur et en cohérence av
ec le débat que nous avons eu précédemment, nous sommes prêts à retirer les amendements nos 267 à 275.
(L’amendement no 267 est retiré, de même que les amendements nos 268, 270, 271, 272, 273, 274 et 275.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 54.
La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Cet amendement vise à améliorer les droits et garanties des salariés contraints de travailler le dimanche. Après l’alinéa 4, il s’agit d’ajouter un alinéa précisant que, le dimanche, « les pauses et coupures sont intégrées dans le décompte des heures travaillées et rémunérées comme du travail effectif ». Il s’agirait d’une avancée certaine.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Le dispositif dérogatoire au droit commun tel qu’il résulte de cet amendement ne me paraît pas justifié. La question de la définition du régime des pauses et coupures a fait l’objet de nombreux débats, y compris lors de la discussion des lois dites « Aubry ».
De très nombreuses dérogations au principe du repos dominical existent déjà – M. Vercamer a cité le décret signé par Mme Aubry en 1992 qui portait sur 180 dérogations, et ce n’est pas parce que nous créons une dérogation de plus qu’il faut prévoir un régime spécifique pour les pauses le dimanche.
La commission a donc repoussé cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Le Gouvernement n’entend pas revenir sur le droit commun applicable en matière de temps de travail effectif et de pause, d’autant que l’ordre social n’est nullement affecté.
Avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Mais, monsieur le ministre, la proposition de loi elle-même revient sur le droit commun puisqu’elle modifie l’article L. 3132-3 du code du travail relatif au principe du repos dominical, en ajoutant « dans l’intérêt des salariés ». Je ne vois pas pourquoi il serait possible de modifier un tel alinéa et impossible d’ajouter un alinéa relatif aux temps de pause et aux coupures.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, s’agissant de la réduction du temps de travail, il faut aussi avoir à l’esprit les contreparties, peut-être trop importantes, qui ont été accordées au patronat, très opposé aux 35 heures, concernant les temps de pause. J’ai pu constater les problèmes que cela occasionne dans certaines entreprises, en particulier dans le secteur agroalimentaire, où le temps d’habillage est décompté comme un temps de pause et non comme du temps de travail.
Notre proposition est simple. Compte tenu de la spécificité du travail le dimanche, nous estimons nécessaire que les coupures et les temps de pause soient considérés comme du travail effectif. Cela ne constitue pas une mesure dérogatoire. Un tel amendement se situe dans la logique des sujets abordés dans cette proposition de loi.
(L’amendement n° 54 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 244 et 269, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis Juanico. Cet amendement vise à insérer, après l’alinéa 4, l’alinéa suivant : « Art. L. 3132-3-2. – Toute dérogation au repos dominical est conditionnée par l’existence d’un accord salarial d’entreprise ou d’établissement de moins de deux ans en application de l’article L. 2242-8 du code du travail ou d’un accord salarial de branche de moins de deux ans en application de l’article L. 2241-1 du même code. ».
Il ne faudrait pas que le paiement double et justifié des heures travaillées le dimanche se substitue à l’existence d’une politique salariale de revalorisation des salaires dans l’établissement concerné.
Mme la présidente. L’amendement n° 269 est-il défendu ?
M. Régis Juanico. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission a repoussé ces deux amendements…
M. Christian Eckert. Dommage !
M. Richard Mallié, rapporteur. …qui sont de même inspiration qu’une proposition de loi déposée récemment par le groupe SRC. Or celle-ci me paraît contraire à la liberté de négociation collective, car elle conduit à contraindre les partenaires sociaux à conclure des accords salariaux. S’ils n’ont pas envie de les conclure, on ne peut pas les y contraindre !
M. Christian Eckert. Ah ! Ça, on le retient !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. La loi stipule qu’il y a obligation de moyens mais pas forcément de résultats. Aussi, comme le rapporteur, je considère qu’il faut inciter à cette négociation, sans pouvoir garantir dans un texte de loi qu’elle aboutira.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements.
(L’amendement n° 244 n’est pas adopté.)
(L’amendement n° 269 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 245 et 265, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Monsieur le ministre, il s’agit là d’un amendement très important, qui devrait vous interpeller tout particulièrement aujourd’hui puisqu’un rapport vous a été remis sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise. Il est évident que les femmes y sont moins bien traitées que les hommes. J’ai lu dans la presse que vous alliez vous atteler à cette question afin d’aboutir à une égalité parfaite entre les femmes et les hommes dans les entreprises de plus de quelques centaines de salariés. Or, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les petits commerces où nous souhaiterions qu’il y ait vraiment égalité entre les femmes et les hommes.
Une enquête DARES/CRÉDOC a mis en évidence que plus d’un tiers des femmes ayant cessé de travailler à la naissance
d’un enfant travaillaient régulièrement le week-end dans leur emploi précédent. De surcroît, la plupart des femmes qui regrettent leur décision après, parfois quand il est trop tard, sont celles qui étaient plus nombreuses à travailler en horaires décalés ou le week-end. On voit donc bien la difficulté qu’il y a à concilier la vie de mère et le fait de travailler le week-end, en particulier le dimanche.
À cet égard, l’un de vos prédécesseurs, Luc Chatel, s’était permis de dire à cette tribune, en décembre dernier, lors de la discussion d’une énième version du texte de M. Mallié, que le travail du dimanche serait une opportunité pour les familles monoparentales, notamment les femmes qui élèvent seules leurs enfants, pour augmenter leur pouvoir d’achat. Bien entendu, ces propos avaient suscité une levée de boucliers sur les bancs de l’opposition et certains collègues de la majorité ne s’étaient pas sentis très à l’aise ce soir-là.
Je vous demande donc si vous confirmez ces propos, ce qui nous mettrait dans l’insécurité, ou si vous les infirmez, ce qui nous rassurerait.
Monsieur le ministre, vous semblez surpris, mais je vous renvoie au compte rendu de nos débats. D’ailleurs, M. Chatel était allé plus loin dans l’ignominie puisqu’il avait indiqué qu’il veillerait aussi à l’embauche des handicapés le dimanche. L’opposition avait trouvé cela merveilleux !
On sait bien que les femmes gagnent aujourd’hui en moyenne entre 20 % et 25 % de moins que les hommes à emploi égal, toutes entreprises confondues. Dans le commerce, les postes sont plutôt occupés par des femmes dont la vie les pousse à accepter n’importe quelle condition. Il s’agit d’emplois saisonniers, intérimaires, précaires, partiels, l’exemple le plus probant étant celui des caissières des grandes surfaces.
Monsieur le ministre, je vous demande d’accepter cet amendement, qui prévoit que toute dérogation au repos dominical est conditionnée par l’existence d’un plan d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en application des articles L. 1143-1 et L. 1143-2 du code du travail.
Mme la présidente. Puis-je considérer que l’amendement n° 265 est défendu ?
M. Jean Mallot. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission a rejeté ces deux amendements. Je rappelle que ce sujet essentiel qu’est l’égalité professionnelle doit faire l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux au second semestre de 2009. Aussi, ne me semble-t-il pas du tout opportun d’aborder cette question ici.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. J’aurais souhaité faire plaisir à Mme Lemorton, mais sa proposition ne va pas assez loin. Je ne vois pas pourquoi il faudrait spécifier que le Gouvernement entendrait imposer l’égalité professionnelle uniquement dans le cadre du travail du dimanche. Il s’agit là d’un engagement général du Gouvernement.
Comme vous le savez, Mme Grésy m’a remis un rapport en ce sens et j’ai pris l’engagement d’en tirer toutes les conséquences, y compris réglementaires et législatives, dans les semaines qui viennent. Je ne vois pas donc pas pourquoi je rappellerais de manière quasi restrictive ce qui va de soi et qui ira encore plus de soi, conformément à l’agenda social de 2009, d’ici à la fin de l’année.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Monsieur le ministre, je vous ai posé une question très précise.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. J’ai répondu très précisément !
Mme Catherine Lemorton. Non, vous ne m’avez pas dit si vous étiez dans le même état d’esprit que votre collègue Luc Chatel, qui déclarait ici, en décembre 2008, que le travail le dimanche permettra aux femmes, notamment à la tête de familles monoparentales, d’augmenter leur pouvoir d’achat. Ne serait-il pas préférable de mieux les payer la semaine ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Madame Lemorton, d’abord une petite correction : M. Chatel est mon successeur et non mon prédécesseur ! (Sourires.)
Vous me trouverez beaucoup de défauts dans mes responsabilités diverses, mais vous me prendrez rarement en défaut sur ces questions. Quand j’étais sénateur, j’étais vice-président de la délégation aux droits des femmes – du reste, j’étais le seul homme dans cette commission –, et j’ai été le seul membre de la majorité à voter pour la parité. Laissez-moi donc prendre mes propres responsabilités sans avoir à commenter les propos des autres.
M. Loïc Bouvard. Très bien !
M. Marcel Rogemont. Un ancien combattant ne fait pas forcément un bon combattant ! (Sourires.)
(L’amendement n° 245 n’est pas adopté.)
(L’amendement n° 265 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, pour soutenir l’amendement n° 250.
M. Christian Eckert. Avec cet amendement, je lance encore une bouée dans votre direction, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, puisque vous essayez de surnager alors que le naufrage est annoncé.
Chacun a compris que les questions centrales sont relatives au volontariat, au doublement du salaire et à l’attribution du repos compensateur. Vous allez pouvoir nous montrer votre volonté de mettre vos actes en accord avec vos paroles. Depuis quelques semaines, les membres du Gouvernement et les députés de la majorité se promènent partout et disent : braves gens, ne vous faites pas de souci, dormez tranquilles ! Ceux qui accepteront volontairement de travailler le dimanche seront payés double. Nous prétendons, et nous l’avons démontré à plusieurs reprises, que votre proposition ne répond pas à cette affirmation, sauf dans quelques cas particuliers. Du reste, vous ne m’avez toujours pas dit si les dimanches du maire seront payés double dans les zones touristiques. Alors que la jurisprudence pourrait s’appuyer sur votre réponse, vous restez silencieux sur ce sujet.
Mes chers collègues, nous vous donnons l’occasion d’adopter un amendement très important puisqu’il vise à fixer dans la loi les contreparties minimales au travail dominical que sont le doublement du salaire et l’attribution d’un repos compensateur. La disposition que nous vous proposons est d’une simplicité biblique et elle vous permettrait de lever toute ambiguïté, de montrer votre bonne foi. Si vous votiez cet amendement, la nature de ce texte serait considérablement modifiée. Vous pouvez le sauver et mettre vos actes en conformité avec vos
paroles.
Refuser cet amendement serait nous donner raison, puisque cela démontrerait que votre texte ne prévoit pas que les travailleurs volontaires d’office le dimanche seraient payés double dans tous les cas. Vous continuez à répandre cette idée selon laquelle tout le monde sera payé double en travaillant volontairement le dimanche. Saisissez l’occasion que nous vous donnons !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. J’ai la preuve, une fois de plus, que nous parlons deux langues totalement différentes. C’est la cinquante-quatrième fois que la question est posée et c’est la cinquante-quatrième fois que le ministre ou le rapporteur y répondent.
Il y a deux sortes de dérogations : d’un côté, les dérogations collectives et permanentes qui concernent les 3,4 millions de salariés qui travaillent déjà le dimanche, et, d’un autre côté, les dérogations individuelles, qui concernent quelques dizaines de milliers de salariés qui sont amenés à travailler le dimanche de façon temporaire. Ce sont celles qui correspondent aux cinq dimanches du maire et aux PUCE. Dans ce cas, il est normal d’attribuer à ces salariés des contreparties spécifiques au volontariat que sont le repos compensateur et le paiement double.
M. Roland Muzeau. Et les autres ?
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Comme je l’ai dit hier en donnant l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 278, il y a deux types de situation, une situation structurelle et une situation temporaire et volontaire. Je répète que cette dernière est celle visée par la proposition de loi.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 250.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Vous vous abritez derrière les salariés qui travaillent aujourd’hui le dimanche, qui ne sont pas payés double et qui ne sont pas concernés par ce texte de loi, en essayant de nous entraîner dans un débat d’une très grande confusion.
Ma question est très simple : voulez-vous faire la distinction entre les salariés qui travaillent le dimanche de plein droit, si j’ose dire, et qui n’ont droit à rien, et ceux qui, volontaires selon votre définition, ont droit à une double rémunération et un repos compensateur ?
S’agissant de l’ouverture des commerces le dimanche et du statut des salariés, c’est bien d’assumer vos positions dans l’hémicycle, mais ce serait encore mieux si vous en faisiez autant devant les médias ! Je vous rappelle que, pour l’instant, les Français pensent que le travail dominical sera basé sur le volontariat et qu’il sera contrebalancé par une double rémunération et un repos compensateur !
Soyez aussi clairs avec les Français que vous l’êtes avec nous. Dites-leur franchement que vous ouvrez plus largement le droit à travailler le dimanche mais qu’un certain nombre d’entre eux – on ne sait pas exactement combien, tout dépendra du périmètre des zones touristiques, mais vraisemblablement plusieurs dizaines, voire centaines de milliers…
M. Richard Mallié, rapporteur. Non ! 150 000 au maximum !
M. Alain Vidalies. Nous sommes bien d’accord pour une fois : plusieurs dizaines de milliers.
M. Régis Juanico. Là, vous parlez le même langage !
M. Alain Vidalies. Votre discours a le mérite d’être clair et précis : les salariés des établissements de vente au détail situés dans des communes touristiques n’auront pas de droits, rien que des obligations. Et l’on ne saurait parler de volontariat pour eux car le refus de travailler le dimanche serait considéré comme une faute ! C’est bien cela que vous assumez : ni choix, ni droit pour travailler le dimanche. Nous en prenons acte, mais cessez de nous faire croire que vous restez attentifs aux salariés, car vous n’auriez pu leur proposer de pire situation ! Ni choix, ni droit ! La moindre des choses eût été de présenter un texte équilibré. Il n’est pas trop tard puisqu’il vous suffirait d’accepter notre amendement qui tend à prévoir des contreparties minimales au travail dominical : double rémunération et journée de repos compensateur. Certes, le travail le dimanche ne reposerait pas sur le volontariat, mais au moins serait-il contrebalancé par des droits dont personne ne pourrait priver le salarié. Notre débat serait moins difficile. En tout état de cause, il est temps que les Français comprennent que votre proposition est une véritable régression sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)
(L’amendement n° 250 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n°251.
La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. L’amendement n° 251 tend à insérer, après l’alinéa 4, un nouvel article L. 313232 pour que « les dérogations au repos dominical prévues dans les articles L. 3132-25 à L. 3132-6 du code du travail ne s’appliquent pas aux jours d’élections locales, nationales ou européennes ».
Nous avons tous passé des heures à expliquer combien il est fondamental de lutter contre l’abstention qui a dépassé les 60% lors des élections européennes du 7 juin dernier. Or il sera bien difficile d’aller voter pour ceux qui, travaillant le dimanche, devront s’éloigner de leur bureau de vote.
Je n’en dirai pas plus pour ne pas gaspiller notre temps de parole à défendre un amendement si évident que vous ne pouvez que l’accepter.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est vrai, nous devons faire tout notre possible pour encourager nos concitoyens à aller voter, mais cet objectif n’a pas sa place dans le texte. La majorité a pris des mesures pour faciliter la délivrance des procurations, ce qui a permis de faire reculer l’abstention. La commission a donc rendu un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Cet amendement est une argutie : sept millions de personnes travaillent déjà le dimanche, y compris les jours d’élection. Avis défavorable.
(L’amendement n° 251 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n°55.
La parole e
st à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. L’amendement n° 55 mettra fin aux souffrances de M. le rapporteur en le renvoyant à la rédaction Mallié V, voire Mallié VI. Il tend à supprimer les alinéas 5 à 29 de l’article 2, c’est-à-dire la mécanique diabolique des dérogations au repos dominical, qui portent atteinte à notre modèle social.
Nous n’insisterons jamais assez sur ce point : en généralisant l’ouverture des commerces le dimanche, vous commettez une erreur économique puisque, le pouvoir d’achat n’étant pas extensible, cette mesure n’aura aucun effet sur la consommation ni sur la croissance. Vous allez par ailleurs fragiliser le tissu économique en mettant en danger les commerces de proximité.
Vous commettez également une erreur sociale, en déstructurant la vie privée de nos concitoyens.
Vous commettez encore une erreur sociétale, car la course effrénée à la consommation ne saurait devenir un objectif de la vie en société. Le nec plus ultra de la distraction dominicale ne peut être la promenade dans les centres commerciaux pour contempler des marchandises que l’on ne peut s’offrir.
Enfin, vous commettez une erreur écologique. Comment comprendre que nous ayons passé tant de temps à débattre du Grenelle de l’environnement, adopté à l’unanimité, et que vous vouliez aujourd’hui prendre des mesures contraires à l’esprit de ce Grenelle ?
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à la généralisation, la banalisation du travail dominical qui résulterait de l’adoption de ces alinéas en faisant peser le poids de la dégradation sociale sur les victimes habituelles, celles et ceux qui vivent déjà dans la précarité, notamment les femmes.
La prise en otage de l’ensemble du pays pour résoudre le problème de Plan-de-Campagne n’est pas acceptable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?.
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission n’a pas retenu cet amendement. Comment comprendre d’ailleurs que vous appeliez à supprimer l’alinéa 5 qui résulte d’un amendement que vous avez vous-même présenté ? Un peu de cohérence !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Cet amendement vise clairement à vider de son contenu la proposition de loi.
Plusieurs députés socialistes. Bien sûr !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Il est difficile de demander aux membres du gouvernement de se faire hara-kiri. Aussi suis-je bien évidemment défavorable à la suppression de ces alinéas.
M. Marc Dolez. Il n’y a pourtant pas de honte à se rendre compte de ses erreurs.
(L’amendement n° 55 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n°277.
La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Permettez-moi de vous répéter ce que l’on peut lire sur le site internet de M. le rapporteur : « À ce jour, dans les zones agglomérées urbaines, une vingtaine de zones commerciales ouvrent le dimanche sans qu’aucune autorisation n’ait été donnée ni aucun accord salarial conclu. En toute illégalité donc. Cette situation est particulièrement préjudiciable pour les salariés des établissements concernés puisque, dans ce cas, aucun repos compensateur ni majoration salariale n’est accordé. » Il est par ailleurs indiqué que « ces ouvertures illégales sont aujourd’hui indirectement encouragées par la faiblesse du régime de sanctions prévues à l’encontre des auteurs de ces infractions. En effet, l’article R 262-1 du code du travail prévoit que les infractions à l’article L.221-6 de ce même code seront passibles de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe, soit 1500 euros, pouvant être portée à 3000 euros en cas de récidive, selon les termes de l’article 131-13 du code pénal. Nombreux sont donc les commerçants à préférer payer cette légère amende plutôt que de renoncer à ouvrir le dimanche. Et ce à supposer que l’infraction ait été relevée par la direction du travail, ce qui n’est pas nécessairement le cas. »
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’adopter notre amendement n° 277, qui tend à punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la violation des articles L.3132-20 et L.3132-21 du code du travail. Les personnes morales pourraient ainsi être déclarées pénalement responsables.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Ne surchargeons pas inutilement le texte. Notre droit a déjà prévu de sanctionner pénalement la violation des règles encadrant le repos dominical. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Je rejoins les propos du président de la commission : l’ouverture illégale le dimanche est déjà sanctionnée par des astreintes, des amendes importantes. Cet amendement est déjà satisfait. Avis défavorable.
M. Marcel Rogemont. Pourquoi Leroy Merlin ne paie t-il pas dans ce cas ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Votre réponse m’étonne, car la seule sanction pénale prévue est une contravention de cinquième classe !
Alors que, la semaine dernière, vous n’avez pas hésité à transformer en délit et à punir d’un an d’emprisonnement l’intrusion dans un établissement scolaire d’un parent d’élève ou d’un lycéen, infraction jusque-là simplement classée contravention de cinquième classe, vous vous refusez aujourd’hui à agir de même pour le patron d’une grande enseigne qui ouvre illégalement le dimanche ! Votre réponse est édifiante quant au « deux poids, deux mesures » que vous pratiquez en matière pénale.
M. Jean Mallot. Excellente argumentation !
(L’amendement n° 277 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 185.
La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Cet amendement vise, d’une part, à permettre aux syndicats d’ester en justice pour éviter les pratiques discriminatoires à l’embauche, notamment celles consistant à refuser l’embauche de personnels au seul motif qu’ils refusent de travailler le dimanche ; d’autre part, à pr
évoir que ces pratiques soient pénalement sanctionnées.
Chacun comprend que la question de la preuve se pose : comment prouver que le mode de sélection repose sur l’acceptation, ou non, par le salarié, de travailler le dimanche ? Il y a, d’un côté, la version du pays merveilleux, dans lequel tout irait bien, le salarié exprimant sa volonté et l’employeur l’enregistrant ; de l’autre, la version qui repose sur la vie réelle, dans laquelle celui qui cherche un emploi, tout simplement parce qu’il doit travailler pour vivre, n’aura d’autre choix que d’accepter ce qu’on lui proposera, y compris de travailler le dimanche, même si cela a des conséquences sur sa vie familiale ou professionnelle. L’administration aura évidemment la possibilité d’effectuer ce contrôle mais on ne voit pas très bien ce qu’elle pourra faire. C’est la raison pour laquelle il convient d’autoriser les organisations professionnelles à organiser des opérations dites de testing, qui permettraient de freiner l’enthousiasme de certains employeurs.
Cet amendement, qui autorise les organisations syndicales à aller en justice, s’inscrit évidemment dans le cadre légal que vous nous proposez – nous défendrons d’autres amendements visant à rendre ce cadre plus sûr pour les salariés. Il n’en sera pas moins utile pour éviter les dérives que votre texte ne manquera pas de provoquer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. M. Vidalies nous a présenté un amendement qui, c’est vrai, est fort intéressant. Toutefois, il n’a pas sa place dans le texte car sa visée est beaucoup plus globale : il pose en effet la question du régime de la preuve des pratiques discriminatoires à l’embauche, domaine dans lequel les contraintes communautaires sont très fortes. Du reste, des discussions sont actuellement conduites par le Gouvernement en vue de transposer des directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations.
Je propose donc que nous abordions un tel sujet non pas à la faveur d’un petit texte, qui ne concerne que très peu d’articles du droit du travail,…
M. Roland Muzeau. Un petit texte pour un grand malheur !
M. Pierre Gosnat. Et qui va vous coûter cher !
M. Richard Mallié, rapporteur. …mais d’une manière plus globale.
La commission a donc émis un avis défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Le bien-fondé de la préoccupation qui guide l’auteur de cet amendement n’est pas discutable.
Je tiens toutefois à rappeler que l’article L. 2132-3 du code du travail permet déjà une action collective des organisations de salariés, y compris en cas de non-respect de la réglementation relative au travail dominical, comme l’a admis la Cour de cassation dès 1993, et d’une manière constante depuis cette date.
De plus, les garanties spécifiques prévues dans les cas donnant lieu à dérogations individuelles permettent au salarié d’obtenir réparation en cas de refus d’embauche lié au refus de travailler le dimanche, car l’employeur n’aurait pas respecté les prescriptions explicitement prévues dans la proposition de loi que nous soutenons.
L’amendement est donc inutile et le Gouvernement y est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je comprends mal le raisonnement du Gouvernement pour une raison très simple : il y a quelques semaines à peine – Marisol Touraine pourrait le rappeler –, Mme Bachelot, au nom du Gouvernement, avait inscrit dans le projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires, que nous examinions alors, le dispositif du testing. Il s’agit donc bien d’une préoccupation gouvernementale, qui s’attache à des secteurs particuliers.
Or l’amendement n° 185 vise simplement à inscrire dans le présent texte le même dispositif que celui qui était prévu dans le texte initial de la loi Hôpital, patients, santé et territoires. Je comprends que le rapporteur soit opposé à cet amendement puisqu’il a tout fait pour que le testing disparaisse du projet de loi sur l’hôpital. Mais vous, monsieur le ministre, en tant que membre du Gouvernement, soyez logique avec vous-même ! Chaque fois que vous avez l’occasion de prévoir le dispositif du testing, vous le proposez, mais lorsque c’est nous qui allons dans votre sens, vous le refusez !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Je ne le refuse pas : je dis qu’il existe déjà !
(L’amendement n° 185 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 326 rectifié.
La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Lorsque M. Muzeau a présenté un amendement visant à assurer, comme celui-ci, une certaine égalité ou du moins une certaine équité entre les salariés qui travaillent le dimanche, comme cet amendement proposait que les contreparties soient d’ordre public, j’avais déclaré, au cours d’un échange un peu vif – je vous prie de m’en excuser, monsieur Muzeau, mais cela fait partie du jeu –, que j’étais plutôt favorable au dialogue social, et vous aviez répondu que vous étiez, quant à vous, plutôt favorable à l’ordre social public.
L’amendement n° 326 rectifié vise à prévoir que, dans toutes les branches professionnelles dont de nombreux salariés travaillent déjà, ou travailleront demain, le dimanche, « les partenaires sociaux déterminent, par la négociation collective, les contreparties accordées aux salariés ».
Cet amendement vise donc à assurer une certaine équité territoriale entre tous les salariés du dimanche, qu’ils soient ou non régis par les 180 dérogations de droit existantes. Du reste, dans un grand nombre de cas, des accords existent déjà et, lorsqu’ils existent, il ne s’agit pas d’entamer de nouvelles négociations, sauf si les partenaires sociaux le souhaitent. Cet amendement concerne donc essentiellement les branches pour lesquelles il n’existe pas encore d’accord et il couvre ainsi également le champ des nouvelles dérogations, notamment dans le secteur du commerce, qui pourraient voir le jour à la suite de l’adoption de cette proposition de loi.
Tel est l’objet de cet amendement. Il faudra, de toute façon, régler un jour ou l’autre les problèmes d’iniquité entre les salariés afin d’assurer l’équité sociale dans le pays. En effet, deux salariés du dimanche ne sauraient être régis selon deux poids, deux mesures.
Il est vrai que les contreparties ne sont pas nécessairement d’ordre salarial : des branches, qui ont déjà négocié, accordent, les unes, des semaines de congés payés supplémentaires, d’autres, des jours de compensation, d’autres encore, des avantages salariaux, certaines branches prévoyant des contreparties
mixtes. Il serait bien que de tels accords existent dans toutes les branches.
(M. Bernard Accoyer remplace Mme Danièle Hoffman-Rispal au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Bernard Accoyer
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 326 rectifié ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Monsieur Vercamer, nous avons déjà examiné cet amendement en commission : bien qu’il vise à résoudre un vrai problème, il me dérange parce que, comme vous l’avez vous-même reconnu, il existe à l’heure actuelle plus de 180 dérogations qui, à mon avis, ont déjà presque toutes fait l’objet de conventions collectives, de branche ou interprofessionnelles, ou de négociations à l’intérieur de l’établissement. Je tiens à rappeler que ces dérogations concernent notamment l’industrie, le transport, public et privé, et la santé, publique et privée, à savoir tous les salariés qui travaillent habituellement le dimanche : remettre en cause l’ensemble des accords déjà signés me paraît déplacé.
C’est la raison pour laquelle je souhaite que vous retiriez l’amendement n° 326 rectifié,…
M. Roland Muzeau. Ne le lui demandez pas ! Il va le faire de lui-même !
M. Christian Eckert. C’est un spécialiste du retrait d’amendement !
M. Richard Mallié, rapporteur. …au bénéfice de l’amendement n° 327 deuxième rectification, que vous défendrez juste après et sur lequel nous sommes prêts à émettre un avis favorable parce qu’il nous paraît préférable à celui-ci.
Si vous ne retiriez pas l’amendement n° 326 rectifié, j’en demanderais le rejet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Monsieur Vercamer, vous défendez un amendement qui vise à encourager la négociation : il n’y a pas de raison d’y être a priori hostile.
Toutefois sa rédaction étant trop large, il présente des difficultés car il pourrait enfermer dans des contraintes nouvelles des activités qui emploient de plein droit des salariés le dimanche depuis plus d’un siècle, alors même que nous souhaitons respecter l’usage qui prévaut.
De plus, il fixe une obligation de résultat. Or, comme je l’ai déjà dit, la négociation collective prévoit une obligation de moyens et non de résultat.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, vous avez déposé un autre amendement, n° 327 deuxième rectification, qui vient immédiatement après celui-ci. J’aimerais d’autant plus que nous puissions l’examiner que, je le dis d’emblée, le Gouvernement y serait favorable.
C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 326 rectifié : ce serait la meilleure solution. Dans le cas contraire, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Vercamer, est-ce pour retirer votre amendement que vous demandez la parole ?
M. Jean Mallot. Nous l’avons demandée aussi, monsieur le président.
M. le président. Oui, mais si M. Vercamer retire son amendement, nous passerons directement au suivant.
M. Francis Vercamer. Je ne le retire pas, monsieur le président.
M. le président. Dans ces conditions, nous poursuivons la discussion.
La parole est à M. Jean-Pierre Marcon.
M. Jean-Pierre Marcon. Je comprends les arguments opposés à l’amendement n° 326 rectifié de M. Vercamer par le rapporteur et par le ministre. J’ai suivi toute la journée les travaux dans l’hémicycle et, comme Richard Mallié l’a rappelé à plusieurs reprises, nous nous trouvons devant deux situations très différentes, celle des dérogations permanentes et celle des dérogations temporaires, dont les conséquences salariales sont, elles aussi, différentes.
L’intervention de M. Vercamer me pousse à faire part de mon inquiétude, qui porte sur les conséquences indirectes de la décision que nous allons prendre. J’ai été un employeur du dimanche en tant que directeur de plusieurs établissements situés dans des zones aussi bien touristiques que non touristiques.
M. Jean Mallot. En Haute-Loire ?
M. Jean-Pierre Marcon. Non pas en Haute-Loire, où il n’y a pas de zone touristique, mais dans un autre département.
Ce que je crains, c’est que l’adoption de ce texte ne provoque un effet de pompe aspirante auprès de salariés régis selon les conditions salariales actuelles, librement discutées entre l’employeur et le salarié, ou dans le cadre d’un accord collectif en cas de représentation syndicale. Demain matin, encouragés par des dispositions nouvelles beaucoup plus favorables, certains de ces employés – et Dieu sait si, aujourd’hui, « on se les pique » ! – n’hésiteront pas à faire quelques kilomètres de plus pour aller chez l’employeur voisin qui leur offrira de doubler leur salaire du dimanche. Cela me tracasse parce que nous avons déjà toutes les peines du monde à garder les salariés dans un métier difficile. Si nous instaurons une disparité entre eux, cela ne fera qu’aggraver la situation.
J’ai un exemple précis en tête : cette question a déjà été posée par le personnel de deux établissements, que j’ai dirigés et que dirige aujourd’hui ma famille : certains salariés de l’établissement demeurant sous l’ancien régime ont demandé à aller travailler dans l’établissement qui sera régi par les nouvelles dispositions.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à résoudre ce problème qui me tracasse beaucoup.
M. Marcel Rogemont. Cela fait des heures que nous le disons !
M. Jean Mallot. Nous avons donc bien fait de nous répéter !
M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.
M. Alain Vidalies. Nous sommes là au cœur du système, voire de l’embrouille !
Le raisonnement que vous avez tenu, mon cher collègue de l’UMP, est celui de l’employeur qui, confronté au paysage nouveau que le texte s’apprête à dessiner, s’aperçoit que des salariés, qu’il a envie de garder, risquent de partir chez le voisin parce que la loi que nous examinons aujourd’hui doublera leur salaire du dimanche.
À l’inverse, vous pouvez faire le raisonnement du point de vue du salarié qui ne comprend pas pour
quoi le législateur permet au travailleur d’une commune voisine d’être rémunéré le double le dimanche. Voilà des heures que nous vous démontrons cette incohérence.
Dans un système de libre concurrence, la moindre des choses est que la même règle vaille partout et pour tous ; je ne vois pas pourquoi la droite et la gauche ne pourraient pas s’entendre sur ce point. Vous ne pouvez pas continuer de tenir votre discours sur la mobilité, la concurrence, la société ouverte, pour ensuite défendre un texte qui organise un concours de féodalités, chaque maire pouvant décider du caractère touristique ou non de sa commune – le président lui-même a indiqué qu’il n’en ferait rien chez lui alors que son successeur en décidera peut-être autrement.
Je ne pense pas qu’il existe d’exemple, dans notre droit social ou dans notre droit économique, d’un tel embrouillamini. Il ne pourra que décevoir employeurs et salariés. En outre, le texte est porteur de dérives dont vous n’avez pas conscience : certaines entreprises auront intérêt à changer de zone. On ne pourra pas reprocher à un employeur d’aller là où la main-d’œuvre lui coûtera moins cher, en passant par exemple d’un PUCE à une zone touristique située à proximité, échappant ainsi à l’obligation de doubler le salaire de ses employés.
Franchement, vous êtes en train de fabriquer un monstre pour des raisons qui nous échappent largement, n’était votre volonté de tout englober sans en tirer les conséquences. La seule solution est de simplifier le système en enlevant les zones touristiques du dispositif et de maintenir le droit en vigueur dans toute sa souplesse.
M. Jean Mallot. Absolument !
M. Alain Vidalies. Ma circonscription compte cent kilomètres de côte et je n’ai jamais entendu de récrimination contre les règles existantes. Personne ne demandait rien et vous voulez instaurer un système qui va aboutir à des absurdités.
Nous avons deux solutions : soit nous en restons au droit positif, ce qui revient à réduire le périmètre de votre texte ; soit nous étendons le dispositif actuel en respectant les principes du volontariat et du doublement de salaire, ce que nous vous demandons depuis trois jours et qui correspond peu ou prou à ce que les gens ont compris de vos intentions.
M. Roland Muzeau. Tout à fait !
M. Alain Vidalies. Une autre solution reviendrait à supprimer tous les droits des salariés, c’est-à-dire à égaliser par le bas, mais il ne semble pas que vous la reteniez puisqu’elle serait la pire de toutes. Il paraît donc assez simple d’adopter l’une des deux solutions que j’ai évoquées pour éviter une sorte de patchwork juridique dans lequel ni les entreprises ni les salariés ne vont se retrouver, d’autant que nous ne disposons d’aucune étude d’impact.
Et ne soyons pas persuadés que nous pourrons faire ce que nous voudrons. Le jour où quelqu’un s’adressera à la Cour de justice européenne pour qu’elle examine la conformité du présent texte avec les directives portant sur le respect de la concurrence, les probabilités pour que le bricolage juridique que vous proposez passe à travers les mailles du filet sont des plus réduites.
Mme Delphine Batho. Très juste !
M. Alain Vidalies. Tout cela n’est ni très sérieux ni très cohérent. Nous devons chercher une solution permettant de rassurer à la fois salariés et chefs d’entreprise, qui tous devront jouir de la même situation partout lorsqu’ils travailleront le dimanche. Ce n’est pas rien.
J’entends bien les arguments de M. Vercamer.
M. Roland Muzeau. C’est du décorum !
M. Alain Vidalies. Il nous propose, au fond, un amendement que je dirai centriste : il revient à faire mine d’agir, il n’engage à rien et il fait plaisir à tout le monde.
M. Roland Muzeau. Surtout à lui-même !
M. Alain Vidalies. Il prévoit qu’on entame des négociations mais sans obligation de conclure.
M. Pierre Gosnat. Il n’y a pas de mal à se faire plaisir !
M. Alain Vidalies. Certes, et comme nous n’avons rien pour ni contre, nous allons le voter tous ensemble dans la joie centriste. (Sourires.)
Honnêtement, je ne pense pas qu’un débat de cette importance trouve sa solution dans ce type d’amendement.
M. Roland Muzeau. C’est vraiment de l’eau tiède !
M. Alain Vidalies. Même si M. Mallié refuse systématiquement nos amendements, tâchons de trouver une solution aux incohérences de cette proposition de loi. Nous sommes prêts à considérer l’une ou l’autre logique pourvu que nous aboutissions à un texte cohérent et compréhensible. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Richard Mallié, rapporteur. La commission ne dit pas non à tout puisqu’elle a accepté d’emblée six amendements, et neuf autres lors de la réunion qu’elle a tenue au titre de l’article 88.
Monsieur Vidalies, il semble que vous ayez mal interprété les propos de M. Marcon. Mais, je vous rejoins totalement sur le fait que nous sommes en train d’embrouiller le texte. Pour nous, il ne concerne que les dérogations au repos dominical dans le cadre des commerces. Or, monsieur Vercamer, si vous persistez à défendre votre amendement n° 326 rectifié, nous déborderons le cadre du seul commerce et ce sont les 180 dérogations existantes qui seront touchées alors qu’elles fonctionnent déjà très bien : la quasi-totalité sont issues d’accords de branche ou d’accords d’établissement. Je vous demande donc de retirer votre amendement. En revanche, l’amendement n° 327 deuxième rectification s’inscrit vraiment dans la logique du texte et nous sommes prêts à le voter.
M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Je vois bien les perches que l’on me tend pour que je retire mon amendement, mais il s’agit d’un amendement de mon groupe, écrit par plusieurs de ses membres.
M. Roland Muzeau. Incorrigible Vercamer !
M. Francis Vercamer. Je ne suis pas mandaté pour le retirer, même si mes collègues cosignataires ne sont pas présents pour le soutenir. J’ai été mandaté pour le défendre et, s’il est rejeté, cela fait partie du jeu démocratique.
M. le président. Vous pouvez le retirer, sachant que même le rapporteur peut retirer un amendement de la commission. Vous avez toute liberté de le faire.
M. Francis Vercamer. Je sais mais, par principe, vis-à-vis de mes collègues, je préfère le défendre jusqu’au bout.
M. Roland Muzeau. Attention, vous prenez des risques politiques !
M. Francis Vercamer. S’il est rejeté, tant pis, s’il est adopté, tant mieux. J’entends bien que l’amendement n° 327 deuxième rectification sera adopté en j’en suis à l’avance fort heureux.
M. Franck Gilard. Rien n’est sûr, c’est donnant-donnant ! (Sourires.)
M. Francis Vercamer. Je le défendrai tout autant, c’est-à-dire avec une certaine conviction. En attendant, je ne peux retirer l’amendement n° 326 rectifié.
(L’amendement n° 326 rectifié n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 327 deuxième rectification, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 349.
La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Cet amendement de repli concerne les branches couvrant les commerces et les services de détail où des dérogations administratives sont applicables. Il ne s’agit pas des dérogations de plein droit mais de celles accordées par le préfet à l’initiative du maire et pour lesquelles je souhaite que les organisations professionnelles et syndicales puissent se réunir pour tenter de trouver un accord sur les contreparties au travail dominical des salariés concernés. La portée de cet amendement est moindre que celle du précédent dans la mesure où il ne concerne que les commerces visés par le texte. J’aurais préféré un champ d’application plus large mais, puisque vous avez rejeté l’amendement n° 326 rectifié, j’espère que vous donnerez à celui-ci une suite plus favorable.
M. le président. La parole est à M. Georges Mothron, pour défendre le sous-amendement n° 349.
M. Georges Mothron. Je remplace notre collègue Dell’Agnola, parti assister aux obsèques d’un collègue et ami du conseil régional.
Ce sous-amendement prend en compte les situations où une convention ou un accord collectif est déjà applicable dans la branche ou l’entreprise. Il n’y a pas lieu alors de prévoir l’obligation de négocier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Le sous-amendement n° 349 n’a pas été examiné par la commission mais, à titre personnel, j’y suis très favorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 327 deuxième rectification, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. L’avis du Gouvernement est-il identique ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. En effet : favorable au sous-amendement comme à l’amendement.
(Le sous-amendement n° 349 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.
M. Christian Eckert. Je ne sais quelle valeur attribuer aux propos du rapporteur du point de vue juridique. Nous reviendrons sur les positions de Mme Tanguy, dont nous avons discuté. Mais je souhaite revenir à l’amendement que nous avons précédemment défendu et qui visait à instaurer une obligation de négocier, notre collègue Richard Mallié ayant déclaré que les parties sont libres de ne pas conclure les négociations que nous appelions de nos vœux. Pour une fois, monsieur Mallié, je suis d’accord avec votre interprétation.
S’agissant de cet amendement n° 327 deuxième rectification, vous le présentez comme la réponse à toutes nos objections, comme je l’ai lu dans des dépêches. Il permettrait de résoudre le problème soulevé par Alain Vidalies, celui des communes touristiques, problème dont vous avez reconnu l’existence et qui constitue l’une des pierres angulaires de notre divergence.
En réalité, cet amendement ne répond en rien à nos préoccupations. Nous avons déjà discuté de ce sujet à plusieurs reprises lorsqu’il s’est agi des négociations de branche, de l’intéressement, de la participation, de l’échange ou du prêt de main-d’œuvre. Nous avons alors considéré qu’inscrire dans la loi l’obligation d’ouvrir des négociations était une disposition de nature centriste, pour reprendre les mots d’Alain Vidalies, une mesure qui ne coûte pas cher et qu’on peut essayer de vendre facilement. En effet, une fois que l’on a lancé des négociations, comme le prévoit dans certains cas le droit du travail, aux termes duquel on doit au moins ouvrir des négociations annuelles sur les salaires, que fait-on ? On fait un constat de carence : les négociations ont été ouvertes, mais aucun accord n’est trouvé. Et l’affaire est réglée ! On a respecté la loi ; les salariés n’ont obtenu aucun droit supplémentaire, ni les employeurs, d’ailleurs, puisque la négociation est bipartite.
Vous allez donc triompher parce vous aurez voté un amendement, et vous direz avoir réglé tous les problèmes. Mais je veux que chacun sache, au-delà même de cet hémicycle, quelle est votre réponse à une situation dont vous avez reconnu l’existence : le problème des contreparties à l’obligation de travailler le dimanche dans un certain nombre de communes se posera pour plusieurs dizaines, peut-être plusieurs centaines de milliers de salariés. Votre réponse, c’est l’obligation de négocier, mais si les négociations n’aboutissent pas, un constat de carence suffira. Ainsi, la loi sera respectée, mais ni les salariés, ni d’ailleurs les employeurs, n’auront obtenu quoi que ce soit.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Ne nous racontons pas d’histoires. Personne n’est dupe : cette disposition ne réglera strictement rien !
Vous prenez les salariés sinon pour des imbéciles, au moins pour de grands naïfs ; et vous êtes en train de dire aux organisations syndicales que leur rôle n’est que de négocier moins que ce que prévoit la loi.
Depuis le début de nos discussions, vous refusez un socle de droit commun – doublement
du salaire, volontariat et repos compensateur. Vous dites qu’il faut négocier : la bonne blague ! Les organisations syndicales négocient sur la pénibilité depuis des années, et pour quoi ? pour rien. Ils négocient sur les questions de médecine du travail depuis des années, et pour quoi ? pour rien. Et sur nombre de sujets de droit du travail, c’est la même chose. Voter cet amendement, c’est presque se moquer des salariés et de leurs représentants syndicaux.
Et si, d’ailleurs, les salariés et leurs organisations syndicales ne sont pas dupes, les organisations d’employeurs ne le sont pas non plus. Regardez la déclaration de la CGPME aujourd’hui : elle est tout à fait éclairante. Pour eux, « voir [dans ce texte] une contribution à la sortie de crise, c’est méconnaître la réalité des PME et des commerçants de proximité ». Ils critiquent un texte inutile et dangereux et s’inquiètent de ce que « l’absence de définition des “zones touristiques” permettra subrepticement la généralisation du travail dominical » . et de ce que « les périmètres d’usage de consommation exceptionnelle entraîneront des situations ubuesques où certains salariés seront payés double, tandis que d’autres ne le seront pas ».
J’ai tenté de vous montrer que le spectre de la critique est large : il va du monde salarial au monde des patrons. Il ne s’agit pas d’un combat droite contre gauche, c’est à la réalité que vous vous heurtez !
Ce débat qui dure depuis vingt minutes sur un amendement du Nouveau Centre sous-amendé par deux députés UMP ne changera rien à la donne. On se moque des salariés de ces secteurs d’activité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Vous permettrez au centriste que je suis de prendre la parole pour rectifier certains propos.
D’abord, je suis sidéré de voir le peu de cas que l’on fait ici du dialogue social.
M. Roland Muzeau. Soyons sérieux !
M. Francis Vercamer. M. Eckert nous dit que cela n’aura aucune utilité, qu’il y aura constat de carence : bref, le dialogue social ne sert à rien, il vaut mieux légiférer.
M. Alain Vidalies. C’est-à-dire qu’il aurait fallu négocier avant de légiférer !
M. Francis Vercamer. Mais lors des débats de la loi sur le dialogue social, la gauche a fait au Gouvernement le reproche inverse !
La semaine dernière, en commission des affaires sociales, nous avons étudié le texte sur la formation professionnelle. Monsieur Muzeau, vous y étiez comme moi, et qu’avez-vous reproché au Gouvernement ? D’avoir obligé les partenaires sociaux à se mettre d’accord rapidement, pour empêcher le Gouvernement de décider à leur place.
M. Roland Muzeau. J’ai surtout dit que le texte sur la formation professionnelle ne retranscrivait pas l’accord signé par les partenaires sociaux !
M. Francis Vercamer. Eh bien, pour ma part, je ne mets le couteau sous la gorge de personne ! Je demande aux partenaires sociaux de négocier, et je leur propose de trouver des contreparties, sans menace de couperet comme vous en avez fait le reproche au Gouvernement la semaine dernière en commission.
Moi, je fais confiance aux partenaires sociaux…
M. Roland Muzeau. Mais moi aussi !
M. Francis Vercamer. …car je crois, contrairement à vous, que les commerces qui obtiendront des dérogations du maire et du préfet négocieront des contreparties. Je rappelle que les accords de branche concernent tous les commerces de même catégorie : il peut très bien y avoir un commerce en zone touristique, et un commerce de la même branche en PUCE. Expliquez-moi comment les partenaires sociaux pourront dire que d’un côté, il y a une contrepartie, de l’autre, il n’y en a pas. Car c’est cela la négociation qui aura lieu !
M. Roland Muzeau. La loi prévoit l’inverse !
M. le président. Seul M. Vercamer a la parole.
M. Francis Vercamer. Non. Une contrepartie est prévue par la loi, et cela poussera les partenaires sociaux à négocier. Je pense que, si j’étais l’employeur, j’aurais intérêt à négocier plutôt que d’aller au conflit et de prendre le risque d’empêcher totalement le fonctionnement de mon commerce : quand il n’y a pas d’accord, quand l’injustice est flagrante, on sait bien que cela se termine souvent par un conflit qui n’est pas du tout dans l’intérêt de l’entreprise.
M. Roland Muzeau. Alignez tout sur les PUCE, alors !
M. Francis Vercamer. Je pense que cet amendement est, contrairement à ce que vous pensez, une grande avancée sociale (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) car il obligera à ouvrir des négociations. Il va dans le sens du dialogue social : c’est ce que vous demandez vous-même dans d’autres débats.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Marcon.
M. Jean-Pierre Marcon. Je suis peut-être ce soir le centriste de l’UMP. En tout cas, j’ai bien envie que l’on élargisse les zones touristiques, afin d’intéresser un petit peu plus de consommateurs, notamment étrangers.
J’appelle seulement l’attention de tous sur les effets indirects. Mais ils ne sont pas aussi nocifs que vous le pensez. Aujourd’hui, on négocie les conditions salariales dans les établissements qui travaillent le dimanche. Certes, il y a çà et là des problèmes ; certes, il y a des employeurs qui n’ont pas toujours fait ce qu’il fallait faire – en particulier, je le confesse, dans l’hôtellerie-restauration. Mais cela a bien changé, pour des raisons très simples : on ne trouve plus d’employés si on ne leur assure pas un salaire convenable. Et c’est tant mieux – tant que les employeurs y arrivent.
À l’avenir, permettons à tous ceux qui vont travailler le dimanche de négocier avec leur employeur des conditions favorables – peut-être un doublement du salaire dans certaines circonstances, mais pas nécessairement le double. J’insiste beaucoup sur les négociations, de préférence au doublement du salaire qui me tracasse, car certaines professions n’auront pas la possibilité de le faire.
Mais, de grâce, il ne faut pas jeter à la riv
ière la négociation salariale, car elle a encore une grande importance dans notre pays. Je suis d’ailleurs étonné que vous, à gauche, ne lui accordiez pas plus d’importance, car vous êtes souvent arc-boutés là-dessus. Aujourd’hui, vous ne pouvez donc pas nous faire ce reproche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Dans le débat sur la formation professionnelle, monsieur Vercamer, j’ai répercuté non seulement la protestation unanime des organisations syndicales, qui se plaignaient d’avoir été obligées de négocier dans des délais extrêmement réduits, sous la menace du couperet, mais aussi leur déception que la loi ne retranscrive pas l’accord national. Voilà ce que j’ai dit.
Sur la présente proposition, je ne suis pas fondamentalement en désaccord avec vous, hormis lorsque vous dites que j’en nie les effets positifs. Qui peut dire quels seront ses effets, puisqu’il n’y a même pas d’étude d’impact ? On ne sait pas si ce texte va créer ou détruire des emplois. On ne sait pas plus quels seront ses éventuels dommages collatéraux sur la société. J’entends bien que vous espérez, comme les salariés, des effets positifs. Mais en l’occurrence, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi et non d’un projet, les études n’ont pas été menées.
Vous vous étonnez de l’attitude de la gauche en général, et de la mienne en particulier, vis-à-vis de la négociation des partenaires sociaux. Comprenez-moi bien : je suis évidemment pour ces négociations. À la limite, je considère que nous pourrions formuler cette exigence presque dans les mêmes termes que ceux de votre amendement, mais à une condition : qu’il y ait un socle commun, avec doublement du salaire, volontariat et repos compensateur, et que cette invitation au dialogue social serve à regarder quelles pourraient être les autres formes possibles d’accord de branche, de secteur, d’entreprise pour viser à faire mieux que le socle commun. C’est ce que les spécialistes appellent la hiérarchie des normes.
Je suis donc favorable à la restauration de l’égalité de traitement entre les salariés des PUCE et ceux des zones touristiques, et à l’obligation d’ouverture de négociations pour faire mieux, là où c’est possible. Alors, je serais d’accord !
(L’amendement n° 327 deuxième rectification, sous-amendé, est adopté.)
M. le président. Sur les quatorze amendements identiques dont je suis saisi, j’appellerai ceux dont les auteurs sont présents.
La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 45 rectifié.
M. Roland Muzeau. Le dispositif des alinéas 7 à 9 de l’article 2 permet l’ouverture de droit de l’ensemble des établissements de vente de détail dans les communes touristiques ou thermales ou dans les zones touristiques, sans autorisation administrative, et sans prévoir – contrairement aux autres dispositifs de dérogations au repos dominical – ni doublement de la rémunération salariale, ni repos compensateur équivalent.
C’est exactement le débat que nous venons d’avoir. Nous proposons donc de supprimer les alinéas 7 à 9.
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour soutenir l’amendement n° 56.
M. Christian Eckert. Nous nous interrogions tout à l’heure pour savoir si ce texte était la marque de l’UMP, auquel cas je m’étonnais de l’absence de Xavier Bertrand, de Jean-François Copé et d’autres capitaines, et je pensais au Titanic, ce grand paquebot qui avance vers le destin que l’on sait… Mais, au fur et à mesure que la discussion se déroule, je me demande si nous ne sommes pas plutôt devant le radeau de la Méduse, puisque le rapporteur veut nous faire croire qu’il s’agit d’un tout petit texte… Les deux histoires sont difficiles et compliquées, mais il en est une qui finit mieux que l’autre, du moins moins mal. La question se pose en tout cas.
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que, avec cet amendement, c’est une troisième bouée de sauvetage que je vous lance.
Le malaise qui gagne l’hémicycle tient au fait que vous avez mélangé dans un même texte ce que vous reconnaissez comme deux situations complètement différentes. Si certains d’entre nous, sur tous les bancs, pourraient être d’accord sur une partie du texte, ils ne peuvent pas l’être sur l’autre. Or comme les deux parties traitent du même sujet, à savoir comment accorder, dans le secteur du commerce, des dérogations pour permettre le travail le dimanche, la situation est compliquée, cela sent l’embrouille ou la bouillabaisse… je ne sais.
La bouée que je vous tends consiste à sortir du texte la question des zones touristiques, dont la situation est complètement différente. Cela permettrait, compte tenu des dispositions qui subsisteraient, de sauver Plan-de-Campagne et certaines zones du Val-d’Oise.
Je pense, monsieur le ministre, que vous auriez intérêt à saisir cette nouvelle bouée, sinon le naufrage est à craindre.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l’amendement n° 61.
M. Marcel Rogemont. Après la bouée, le canot de sauvetage. Nous vous proposons de rédiger différemment l’alinéa 6 de l’article 2 de la proposition de loi et de supprimer les alinéas 7 à 9.
Toute généralisation de l’ouverture de l’ensemble des établissements de vente de détail dans les zones touristiques sans autorisation administrative revient à développer un fonctionnement du tout commercial de la société au détriment de l’équilibre de vie des salariés et des familles.
Actuellement, les petits commerces peuvent déjà ouvrir tous les dimanches, à la seule condition qu’ils n’emploient pas de salariés. En effet, s’ils emploient un salarié, le lien de subordination se met en place.
Voilà la présentation sommaire de cet amendement n° 61.
M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir l’amendement n° 63.
M. Régis Juanico. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour soutenir l’amendement n° 67.
M. Alain Vidalies. La proposition de loi introduit une modification importante quant à la nature des commerces pouvant ouvrir le dimanche. Il s’agit de passer de la définition actuelle, qui ne méritait pas d’être caricaturée et qui consiste à prévoir une dérogation pour la vente des objets qui sont nécessaires notamment pour l’activité touristique, à un texte non seulement qui accroît le nombre de dimanches ouverts, puisque tous les dimanches de l’année seraient concernés, mais également qui touche tous les produits.
Certes, on a beaucoup
caricaturé la jurisprudence, les médias ont largement parlé des lunettes de soleil et des lunettes de vue… Franchement, doit-on ouvrir les magasins le dimanche pour des touristes qui veulent se faire faire des lunettes de vue ? Normalement, ces propos auraient dû déclencher l’hilarité générale, y compris chez les commentateurs qui les rapportaient, tellement la situation est absurde.
Les décisions qui ont été rendues sur telle ou telle activité des Champs-Élysées visaient des personnes qui ne respectaient pas les textes, tout simplement. Je pense notamment à la décision très récente du Conseil d’État, en date du mois de mars 2009, sur la société Louis Vuitton. Les juges ne sont ni rétrogrades ni absurdes. Simplement, ils ont constaté que le fait de placer trois livres et cinq tableaux dans un magasin pour essayer d’en faire un lieu culturel susceptible d’être ouvert le dimanche, ne devait pas permettre de vendre tout un tas de choses qui n’avaient strictement rien à voir avec ce que la loi prévoyait, et ils ont considéré, dans leur arrêt, que la nécessité d’acheter ces objets le dimanche n’était pas évidente.
Vous avez ouvert très largement cet espace-là. Est-ce une bonne chose ? Comme, sur ce point également, aucune d’étude d’impact n’a été réalisée, nous n’en savons rien et je ne suis pas sûr que tout le monde, ici, sache quoi en penser.
Je vous mets en garde. Si nous savons ce que recouvre le commerce de détail spécialisé, puisque c’est la réalité d’aujourd’hui, nous ne connaissons pas ce qu’il adviendra demain avec les dispositions que vous êtes en train de voter. Puisque tout sera permis tout le temps, il se pourrait bien que des franchises débarquent dans toutes les villes concernées pour capter la clientèle au détriment des commerçants du coin. Vous aurez alors réussi une extraordinaire opération.
À supposer que les commerçants déjà installés veuillent ouvrir plus longtemps, prenez au moins la précaution de vérifier que leurs activités soient bien en lien avec l’activité touristique ou culturelle et ne permettez pas tout. S’il n’y a plus aucune liste, plus aucune barrière, notamment sur la nature de l’activité – si l’on excepte l’alimentaire, qui n’est pas visé –, les grandes boites franchisées voudront profiter de la situation. Il ne faudra pas le leur reprocher. Il ne faudra pas venir faire, ici, des discours sur la défense du petit commerce, et vos spécialistes de la défense du petit commerce, qui sont d’ailleurs absents de ce débat, ne pourront pas continuer à affirmer qu’ils vont s’en occuper.
La défense du petit commerce, qui permet, d’une certaine façon, la préservation d’un aménagement du territoire cohérent, passe par une disposition législative. Il est de votre responsabilité d’empêcher que le scénario qu’on évoque devant vous aujourd’hui ne se produise. Sinon, il ne faudra pas, demain, venir vous plaindre d’avoir des franchisés partout.
Ce n’est pas de paroles mais d’actes que nous avons besoin. Vous avez la possibilité d’en faire un en votant cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 68.
M. Jean Mallot. Je vous remercie, monsieur le président, de souligner que mon amendement porte le n° 68 et qu’il se distingue donc, par ce fait, des amendements précédemment défendus.
M. le président. C’est la seule différence, avec votre nom ! (Sourires.)
M. Jean Mallot. Vous voyez que nous nous comprenons.
Cet amendement se justifie pour plusieurs raisons et je voudrais prendre le temps de les donner parce que nous sommes au cœur du débat et que c’est probablement la dernière occasion avant longtemps pour le Gouvernement, et surtout sa majorité et le rapporteur auteur-compositeur, de sortir du guêpier dans lequel ils se sont patiemment enfermés. Depuis le début, nos débats montrent que le rapporteur, auteur de la proposition de loi, et le Gouvernement y pataugent – si tant est qu’on puisse patauger dans un guêpier. (Sourires.)
M. Marcel Rogemont. C’est dangereux !
M. Jean Mallot. La vraie nature de leur démarche étant apparue, il convient, devant cette Berezina, de nous montrer solidaires et de les aider à s’en sortir.
La logique de leur démarche a été évoquée mais je voudrais la rappeler très brièvement, monsieur le président, compte tenu de l’heure et du fait que je ne voudrais pas prolonger trop longtemps le plaisir que vous avez à m’écouter – on ne sait jamais.
Le point de départ, je le rappelle, c’est l’affaire de Plan-de-Campagne – plan de campagne électorale, tout le monde aura compris. M. Mallié a besoin de tenir les engagements qu’il a pris, bien imprudemment, vis-à-vis des entreprises de ce site. Ayant créé les PUCE, M. Mallié a éprouvé le besoin de s’envelopper en quelque sorte dans la théorie des communes touristiques et thermales. L’ennui, c’est qu’il a un peu trop ouvert les vannes et que, le texte qu’il nous propose étant d’une grande clarté, il éprouve le besoin de le rendre plus complexe pour éviter que les uns et les autres ne puissent voir où il nous emmène.
Les alinéas 7 à 9 de l’article 2 sont extrêmement clairs. Dans les communes touristiques ou thermales en particulier, les établissements de vente au détail, c’est-à-dire les établissements de vente quelles que soient leur taille et la nature des produits qu’ils vendent, qu’il y ait ou non un lien avec l’activité touristique, « peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement ». De droit, cela signifie qu’aucune contrepartie n’est prévue pour les salariés, que ceux-ci ne peuvent refuser ce repos hebdomadaire par roulement qui est un élément constitutif du contrat de travail et que cette dérogation permanente est attribuée quel que soit le moment dans l’année, en saison ou hors saison.
Nous avons eu, les uns et les autres, l’occasion de faire la démonstration que ce dispositif était totalement extensif, illimité et terriblement hors de contrôle. Il produira les effets que nous savons puisque, si le maire demande le classement de sa commune en zone touristique, on voit mal le préfet le lui refuser. Vous n’avez pu trouver, pour essayer de limiter les dégâts, que cette fausse distinction entre les communes touristiques au sens du code du tourisme et les communes touristiques au sens du code du travail.
L’article L.133-11 du code du tourisme dispose : « Les communes qui mettent en œuvre une politique du tourisme et qui offrent des capacités d’hébergement pour l’accueil d’une population non résidente, ainsi que celles qui bénéficient au titre du tourisme, dans les conditions visées au huitième alinéa du 4° de l’article […], de la dotation supplémentaire ou de la dotation particulière identifiées au sein de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement, peuvent être dénommées communes touristiques. » Le règlement précise les choses.
Quand on compare avec le code du travail, on s’aperçoit que les critères sont les mêmes : le rapport entre la population permanente et la population saisonnière, le nombre d’hôtels, les capacités d’hébergement en général, etc. On voit donc que la fongibilité entre les communes dites touristiques au sens du code
du tourisme et les communes dites touristiques au sens du code du travail est complète.
La tache d’huile va s’étendre et je ne donne pas cher de vos palissades. Nous aurons très rapidement plusieurs milliers de communes touristiques. Vous couvrirez l’ensemble du pays avec ce dispositif et vous aurez donc noyé Plan-de-Campagne dans un océan de dérogations. Certes, vous aurez résolu votre problème, mais le coût pour notre société sera terrible.
Voilà pourquoi nous vous proposons de supprimer les alinéas 7 à 9.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Cela ne surprendra personne : ces amendements ont été repoussés par la commission parce qu’ils suppriment le dispositif proposé pour les communes touristiques.
M. Alain Vidalies. Dommage pour vous !
M. Christian Eckert. Quel enthousiasme !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre du travail. On aura constaté que les métaphores deviennent de plus en plus confuses : Titanic, radeau de la Méduse, guêpier où l’on patauge… C’est le fond qui remonte à la surface. Clairement, on veut nous entraîner dans un piège où toute la loi coulerait. En conséquence, ces amendements doivent être repoussés.
(Les amendements identiques nos 45 rectifié, 56, 61, 63, 67 et 68 ne sont pas adoptés.)