A défaut d’un saut de PUCE (le nouveau sigle inventé pour l’occasion), c’est plutôt un grand bond en arrière qui nous attend alors que le travail dominical revient en discussion à l’Assemblée nationale.
Le débat qui se tient actuellement à l’Assemblée nationale est particulièrement révélateur des dérives de notre époque. La « société spectaculaire marchande » (Guy Debord) n’a pas fini d’avancer ses pions. Nos dirigeants nous y entraînent activement. Ainsi, le dimanche devrait devenir un jour comme un autre. Bien sûr, les partisans de la proposition de loi Mallié (député UMP des Bouches-du-Rhône) me rétorqueront que le texte ne prévoit d’autoriser l’ouverture des magasins que dans des zones touristiques ou commerciales spécifiques. On nous a même inventé un nouveau sigle pour l’occasion : les PUCE pour Périmètres d’usage de consommation exceptionnel ; il fallait l’inventer mais nous sommes en France ! Ainsi, les salariés qui auront la chance (ou la malchance) de travailler dans une PUCE devront retourner au charbon le dimanche (la notion de volontariat n’a pas grand sens quand un salarié a besoin d’argent et qu’il s’agit de se faire bien voir de son employeur). Saut de puce ou grand bond en arrière ? A voir…
Centres-villes des métropoles, zones touristiques, zones commerçantes etc. A force de dérogations et d’autorisations ici et là, tous les grands magasins de France et de Navarre finiront par ouvrir le dimanche, à plus ou moins brève échéance. En attendant, on nous prétend que ces ouvertures resteront encadrées, on s’achemine en fait vers des règles aussi obscures que pour la fameuse journée de solidarité chère à Raffarin, le lundi de Pentecôte, où personne ne sait précisément qui travaille ou ne travaille pas, qui est ouvert et qui ne l’est pas. Le flou subsiste en tout cas. Vous parlez de réformes nécessaires !
Pour le volontariat et la majoration des salaires, les travailleurs du dimanche ne devraient pas être tous logés à la même enseigne, ce qui est scandaleux, mais l’important pour notre gouvernement étant que chacun puisse emmener sa petite famille faire ses courses chez Auchan, déjeuner chez Flunch et regarder les nouveaux vélos chez Décathlon… le dimanche.
Réforme utile pour l’économie et la croissance en ces temps de vache maigre ? Même pas. De nombreux économistes prétendent qu’il n’y a pas vraiment nécessité à un jour ouvré de plus dans la semaineet que le surplus de consommation entraîné au final par cette réforme sera très mince, difficilement mesurable d’ailleurs (achats reportés le dimanche mais qui auraient été de toute façon effectués). Sans parler des effets négatifs de cette loi sur les marchés traditionnels du dimanche qui participent tant à la convivialité de nos villes et villages ! Car la loi prévoit déjà depuis belle lurette des exceptions. Il y a bien entendu des métiers qui ont toujours bénéficié de dérogations pour le bien-être de tous : infirmières ou médecins de garde dans les hôpitaux, pompiers, journalistes de presse quotidienne (pour préparer le journal du lundi), gardiens de musée etc. Le bon sens n’est pas interdit dans ce domaine. Mais fallait-il ouvrir les centres commerciaux ? Etait-ce nécessaire pour le bien commun ?
Il s’agit d’insinuer d’abord dans l’esprit des citoyens français l’idée qu’à l’heure de la mondialisation, on ne peut plus se permettre de fermer ne serait-ce qu’un jour par semaine les temples de la consommation, lesnouvelles cathédrales modernes que sont les centres commerciaux, ou les magasins des centres-villes. La religion occidentale contemporaine (ROC, cf. Régis Debray dans Le moment fraternité chez Gallimard, 2009) ne tolère pas la moindre relâche. La consommation doit guider nos pas tous les jours de la semaine sans exception.
Ah le dimanche ! Ce jour des repas de famille (pour ceux qui ont la chance d’en avoir une) où l’on ouvre une bonne bouteille de vin, où l’on se promène, où l’on refait le monde avec ses proches, où l’on vaque à ses occupations (sport, culture etc.) sans regarder sa montre tous les quart d’heure. Ce jour de la messe pour les chrétiens faut-il oser le rappeler sans se faire traiter de vilain réactionnaire, jour du Seigneur, jour d’après le sabbat juif. Le sabbat, ce repos du septième jour (la semaine commence le dimanche chez les Hébreus) institué par le Créateur lui-même selon le récit de la Genèse. Seuls des esprits néolibéraux matérialistes se fichant éperdument des traditions séculaires pouvaient s’attaquer de la sorte au repos dominical.
Alors, on pourra conseiller à nos législateurs de relire l’Ecclésiaste. « Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux : un temps pour naître, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ; un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ; un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser… ». S’il y a un temps pour la consommation, il y a un temps pour le repos, pas seulement le repos individuel chacun dans son coin mais le repos de la famille et de la société dans son ensemble. Nous devons continuer à considérer le dimanche comme un jour hors marché (à l’abri des grandes enseignes du moins), un jour à part, différent des autres, indispensable respiration de nos sociétés de consommation saturées de biens et de gaspillage. A moins de considérer qu’emmener sa famille au centre commercial le dimanche après-midi soit le summum du loisir, l’aboutissement mérité d’une dure semaine de labeur, une récompense offerte à ses enfants. Il y a pourtant tant d’autres choses à faire le dimanche… Mais dans quelle société voulons-nous vivre ?