Liberté Politique, 22 mai 2009 | Hélène Bodenez
L’anesthésie fait son effet. L’accord entre les députés UMP sur la nouvelle proposition de loi Mallié libérant le travail du dimanche veut faire croire que le gouvernement n’est pas autiste. Pour autant, le ministère commence à poser un vrai problème dans son acharnement à passer en force.
« Texte a minima », « version allégée », « texte vidé de sa substance » ou encore « minimaliste » ; les mots tournent tous autour de la même perception d’un texte certes plus restrictif mais d’un problème enfin résolu. Pour la plupart des personnalités ou des journalistes inquiets sur la perspective de la fin du dimanche férié pour tous, le danger serait passé.
Mais c’est sans compter sur quelques irréductibles à qui on ne la fait pas. Ces empêcheurs de tourner en rond persistent à penser que le fond du problème est entier. La boîte de Pandore n’est pas prête de se refermer. Continuant inlassablement de poser le débat comme un enjeu grave de civilisation, Joseph Thouvenel y voit avec justesse un « cheval de Troie ».
La proposition de loi qui s’essaie à nous leurrer pour la quatrième fois sous ses allures « équilibrées » (cf. encadré infra) n’en demeure pas moins un hold up sur le dimanche, un cambriolage d’un temps qui n’appartient pas aux marchands, une effraction. Main basse sur le dimanche, voilà ce à quoi ressemble le dernier rebondissement d’un mauvais feuilleton qui dure depuis des mois ; pour couronner le tout, il ne resterait plus que la bénédiction des autorités religieuses.
Richard Mallié, lui, poursuit sa rengaine : « Tenir compte des évolutions de la société ; des trois millions de personnes qui travaillent tous les dimanches ; des nombreuses personnes qui souhaitent faire leurs courses le dimanche, en famille. » On n’en croit pas ses oreilles. Encore et encore, on use d’arguments éculés, ne tenant pas compte des objections et des évidences : la postmodernité que l’on sache n’a toujours pas fait des centres commerciaux des îlots de vie idéale et la perception négative à leur endroit l’emporte nettement ; 76% des personnes travaillant le dimanche aimeraient ne pas le faire et y sont réduites par contraintes pécuniaires ou contractuelles ; quant aux fameuses courses en famille, c’est souvent l’énervement qui y préside, entre parents pressés par un vendeur débordé et enfants hurlants de fatigue dans des lieux qui ne sont pas pour eux.
De l’anomalie, un droit
Le compromis auquel les députés UMP sont parvenus prévoit un encadrement « des dérogations ». La proposition de loi déposée le 18 mai sur le bureau de l’Assemblée réaffirme l’attachement de la Nation au repos hebdomadaire, « principe humaniste » issu de « la tradition chrétienne ». Pour l’essentiel, le texte légalise les ouvertures constatées et définit des périmètres d’usage de consommation exceptionnels dans les agglomérations de plus d’un million d’habitants. L’ouverture dominicale ne pourra y être autorisée que « sur proposition des conseils municipaux » et non plus par le seul préfet. Les entreprises intéressées devront « signer un accord avec les partenaires sociaux fixant les contreparties pour les salariés ». À défaut d’accord, un référendum sera organisé, et « les contreparties seront nécessairement un doublement de salaire et un repos compensateur ».
On reconnaît donc là le principe bien français des lois « à exceptions » : un principe radical, et des entorses prévues par la loi qui font peu à peu de l’anomalie un droit. La CFTC ne s’y est pas trompée : pour Joseph Thouvenel, cette réforme « régularise la délinquance au lieu de la sanctionner ».
Les dominos en équilibre instable vacillent et sont donc plus que jamais prêts à tomber : autoriser les villes de plus d’un million d’habitants (Paris, Marseille, Lille) aboutira fatalement à celles de 750 000 habitants et ainsi de suite. Lyon ne fait-elle d’ailleurs pas déjà la jalouse ? La généralisation des dérogations plus complaisantes les unes que les autres, associée à la définition plus que floue de la notion de zone touristique est en marche et aboutira à la libéralisation totale, comme au Royaume-Uni ou la Suède ; c’est le but que poursuivent en définitive les promoteurs du travail dominical.
En pervertissant la dérogation, tranquille moyen protecteur, on videra le principe du repos dominical de sa force, n’en doutons pas. Quant aux foncières concernées par les loyers qui pourraient leur faire défaut si les magasins des centres commerciaux fermaient les uns après les autres pour cause de crise, c’est le cadet de leur souci de savoir si les commerces de proximité ont quelque chance de résister à la métaconsommation de leurs locataires ouverts le dimanche.
Dans un communiqué, la Confédération nationale des associations familiales catholiques met en garde contre le caractère inégalitaire du projet : « Le dimanche, la plupart des Français peuvent aujourd’hui se consacrer à des activités en famille ou entre amis et que l’existence d’un jour de repos commun est un bienfait pour la société dans son ensemble et pour chacun de ses membres. De ce fait, aucun salarié ne devrait pouvoir en être exclu durablement. »
Comment croire dans ces conditions que l’exception d’aujourd’hui ne soit pas en réalité une vraie régression sociale, celle que sonne aujourd’hui l’enterrement annoncé du dimanche libre ? Le débat parlementaire reprendra en juillet, en session extraordinaire.
LES DIFFERENTES ETAPES DE L’EVOLUTION DE LA PROPOSITION DE LOI MALLIE
1e étape : 12 novembre 2008
Proposition de loi visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires présentée notamment par Richard Mallié, député.
Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du règlement.2e étape : 3 décembre 2008
Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi (n°1254) visant à redéfinir la réglementation du repos dominical concernant les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires.
3e étape : 4 décembre 2008
Avis fait au nom de la commission des affaires économiques de l’environnement et du territoire sur la proposition de loi de M. Richard Mallié visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires (n°1254). Par Mme Catherine Vautrin, députée.
4e étape : 17 décembre 2008
Rapport supplémentaire fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi visant à redéfinir la réglementation du repos dominical concernant les commerces, dans les grand
es agglomérations et les zones touristiques, par Richard Mallié, député.5e étape : 19 mai 2008
Proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, par Richard Mallié, député.