Mesdames et Messieurs,
Par différents jugements notifiés dans le courant de la semaine dernière, le Tribunal Administratif de CERGY PONTOISE s’est prononcé sur la série de dérogations préfectorales au repos dominical accordées par le Préfet du Val d’Oise au dernier trimestre de l’année dernière.
– Le Tribunal a tout d’abord annulé les dérogations au repos dominical dont bénéficiait la société LE GRAND CERCLE 95. Cette société est une librairie/papeterie à qui une injonction a été délivrée en décembre par la Cour d’Appel de Versailles et qui, après avoir bénéficié d’un délai, est sous le coup d’une astreinte qui a commencé à courir depuis début mars.
Elle s’était rendue notamment célèbre par la visite controversée de X. Bertrand, alors Ministre du Travail, accompagné de Luc Chatel, au moment même où l’enseigne publiait une offre d’emploi dont un critère déterminant était le travail dominical. L’enseigne a annoncé sa fermeture aux salariés vendredi dernier, tout en laissant, « à l’insu de son plein gré », la place à des salariés « bénévoles » qui continuent à ouvrir ce commerce. Il ne fait aucun doute que la recette de cette journée sera redistribuée.
– Le Tribunal a également annulé les dérogations préfectorales concernant les enseignes de bricolage :
– La société LEROY MERLIN
– La société CASTORAMA
Le Tribunal Administratif a repris les arguments développés par les syndicats FO et CFTC tenant au fait que les enseignes de bricolage ne pouvaient se prévaloir de la dérogation obtenue par le secteur de l’ameublement, puisqu’ils sont insusceptibles de se trouver en concurrence avec ce dernier.
– Par contre, le Tribunal a admis la validité des dérogations préfectorales accordées aux sociétés BOULANGER et PLANETE SATURN.
Pour cela, le Tribunal a estimé que les enseignes de l’ameublement vendent également des produits électro-ménagers et font une concurrence directe et importante aux enseignes spécialisées de ce secteur compromettant ainsi leur fonctionnement en engendrant un risque de détournement de clientèle.
Rappelons que la dérogation concernant l’ameublement est une dérogation permanente de plein droit, valable sur la France entière, sans aucune contrepartie pour les salariés.
Il suffit qu’une des enseignes de l’ameublement ouvre le dimanche pour qu’une enseigne de cet autre secteur puisse demander une dérogation pour pouvoir en faire autant, et cela sur la France entière au moment même où les ouvertures dominicales sont à l’étude et déjà en phase d’expérimentation chez IKEA.
Pourtant, les débats parlementaires avaient exclu d’étendre le bénéfice de la dérogation au secteur de l’équipement de la maison. Le Tribunal, en admettant de fait qu’une dérogation temporaire puisse avoir un effet permanent, crée de manière prétorienne une nouvelle dérogation permanente contre l’avis des parlementaires qui feraient bien de prendre garde aux conséquences induites par la faiblesse de leur connaissance de l’état du droit positif et d’ouvrir sur ce sujet un débat parlementaire qui soit de qualité.
Le Tribunal a au passage jugé que cette dérogation, par son caractère temporaire était conforme à la convention de l’OIT. S’il a ainsi admis l’application directe de cette convention, ce dont on peut se féliciter, il ne semble pas en avoir mesuré toutes les conséquences. En effet, tant que la dérogation permanente durera, les enseignes concernées auront un droit à obtenir une dérogation temporaire, ce qui revient, de fait, à rendre cette dérogation permanente.
Force Ouvrière met à l’étude la possibilité de contester les jugements et il est probable qu’elle saisira la Cour Administrative d’Appel de Versailles sur ce qui me semble bien une violation de la convention de l’OIT et du principe du repos dominical. Il est également possible que l’OIT soit saisie de ce dossier.
En attendant qu’il soit statué sur les recours probables, la dérogation préfectorale obtenue par ces deux enseignes, dont les effets étaient suspendus, va s’appliquer et les enseignes concernées devraient donc ouvrir le dimanche, pour celles qui ne l’avaient pas déjà anticipé.
Il est certain que les enseignes du même type (ex : DARTY) vont pouvoir désormais s’engouffrer dans cette brèche et augmenter ainsi le nombre de salariés du dimanche.
Ce risque important d’extension avait été dénoncé par les organisations syndicales lors de l’adoption de la Loi du 3 janvier 2008 et de l’amendement baptisé « CONFOKEA ».
Plus anecdotique mais néanmoins significatif, le Tribunal, dans sa décision, a également admis la validité de la consultation du Préfet qui s’était borné à demander l’avis du MEDEF, sans demander l’avis de l’UDPME et de l’UPA, estimant que leur intérêt à la consultation n’était pas démontré. Les syndicats patronaux concernés apprécieront sans aucun doute à sa juste valeur leur disqualification judiciaire, comme leurs adhérents, petits patrons et artisans. Ces derniers se voient donc exclus du débat…
– Le Tribunal a également annulé la dérogation concernant l’établissement de Montigny les Cormeilles de la société BOULANGER en raison de la consultation irrégulière opérée par le Préfet dans le cadre de l’instruction de la demande.
Cette irrégularité avait pourtant été signalée lors des premiers recours engagés par Force Ouvrière contre les arrêtés rendus en 2007 dans le secteur de l’ameublement et obligera l’enseigne à formuler de nouveau une demande de dérogation auprès du Préfet qui n’a pas tiré la leçon de ses précédents échecs.
Vincent Lecourt