Travail du dimanche : une grave erreur sociétale
Bariza Khiari, sénatrice de Paris, est rapporteur (PS) du projet de loi sur le tourisme, discuté au Sénat depuis lundi. Elle dénonce dans une tribune adressée à Mediapart les amendements sur l’extension du travail dominical déposés par deux sénateurs UMP.«Sur la forme, c’est une initiative inopportune et intempestive. Sur le fond une tromperie économique».
«A l’occasion de la discussion sur le Projet de Loi « Modernisation des services touristiques », deux amendements viennent relancer le débat sur le travail dominical, déposés, l’un par Monsieur Pozzo di Borgo (sénateur de Paris), l’autre par Hervé Maurey (sénateur de l’Eure), tous deux membres de l’Union Centriste. En tant que rapporteur de ce projet de loi, j’avais émis en commission un avis défavorable. Cette position que je souhaite faire entendre tout au long du débat public sur ce texte porte à la fois sur le fond et la forme.
Sur la forme, l’initiative de mes deux collègues est inopportune et intempestive. En effet, le texte que je porte au Sénat concerne le tourisme, premier secteur économique de la France. J’aurais apprécié que ce sujet important – attendu par les professionnels du secteur – ne soit pas parasité par un amendement idéologique, d’autant plus que le travail dominical a démontré qu’il était loin de faire l’unanimité dans le camp de la majorité. Nicolas Sarkozy a tenté en sans succès de réunir ses troupes derrière cette promesse de campagne en décembre dernier : le gouvernement a dû reculer devant l’hostilité de sa propre majorité. Dès lors, on ne saurait faire l’économie d’un réel débat et on ne peut accepter en l’état qu’une telle mesure soit votée à la sauvette au détour d’un texte.
Sur le fond, l’extension du travail dominical est une véritable tromperie économique et une grave erreur sociétale.
Tromperie économique, en premier lieu, car l’ensemble des études concernant le sujet prouvent que non seulement le travail le dimanche ne crée pas de richesses supplémentaires, contrairement aux affirmations répétées de Xavier Bertrand, et qu’il en détruit par distorsion de concurrence. D’une part, il convient de voir que cette mesure n’occasionne guère de dépense supplémentaire de la part des ménages. En effet, le plus souvent on assiste à des transferts de dépenses -ce qu’on aurait acheté un samedi ou un vendredi, on l’achète le dimanche- et non à une hausse de celles-ci. On tente donc de biaiser les chiffres. Pire, non seulement l’économie ne sera pas relancée par cette mesure mais l’emploi sera davantage menacé. Diverses études montrent en effet qu’un emploi crée dans la grande distribution aboutit à la destruction de trois emplois dans le commerce de proximité. Or, le vote de cette disposition contre-productive au niveau national serait un privilège de plus accordé aux seuls intérêts de la grande distribution, au détriment des commerces de centres-villes qui auront bien du mal à s’aligner.
D’un point de vue social, cette mesure représente aussi et surtout, après les heures supplémentaires, une nouvelle dérégulation du marché du travail préjudiciable à la vie familiale et sociale, qui reviendrait, in fine, à faire de l’exception la règle. Ainsi si par exemple une mère de famille se trouve contrainte de travailler le dimanche, il faudra également que des crèches et des centres aérés puissent être ouverts. Ainsi, par capillarité, une grande partie des secteurs économiques serait concernée et non les seuls secteurs initialement visés.
Pire, le dimanche est traditionnellement le moment où se retrouve la famille pour échanger, discuter de la semaine; le moment où les parents peuvent s’occuper plus facilement de leurs enfants. Si l’on obère cette possibilité en banalisant le travail le dimanche, on contribue à fragiliser encore davantage la sphère familiale ce qui aura d’importantes conséquences sociétales. On reproche déjà ici ou là aux parents d’être absents ou démissionnaires, qu’en sera-t-il quand ils auront perdu le dernier jour où ils peuvent encore s’occuper de leurs enfants.
Il est vrai que cette mesure touchera avant tout des femmes travaillant à temps partiel subi, dont les horaires de travail sont déjà chaotiques. Il s’agira par exemple des caissières. On constate même que dans bien des cas, nous sommes devant des familles monoparentales. En d’autres termes, comprenons le bien, on fragilise davantage des gens déjà fragilisés. C’est socialement condamnable.
J’ajouterai aussi que le travail dominical engendrerait de nouveaux coûts (déplacements, chauffage, etc.) qui seraient en contradiction avec nos engagements environnementaux.
A l’évidence, des dérogations existent déjà pour permettre dans les zones touristiques des aménagements à la règle. A mon sens, essayer de banaliser le travail dominical est une mesure qui coûtera plus socialement, économiquement et sociétalement qu’elle ne rapportera.»