Matérialisme, versus repos dominical (Permanence)

Contre le matérialisme, préserver le repos dominical !

Revue Permanence, Décembre 2008

Législation • Malgré le report de la proposition de loi UMP sur le travail dominical, il convient de rester vigilant…

Si la CFTC «se réclame et s’inspire de la morale sociale chrétienne»1, elle est un syndicat laïque, nulle­ment lié par les préceptes du catéchis­me de l’église catholique. Ne pas être lié ne veut pas dire être opposé ou in­différent, quand ce catéchisme affirme que le dimanche «jour du seigneur est le jour de l’assemblée liturgique par excellen­ce, le jour de la famille chrétienne, le jour de la joie et du repos du travail»2. La concep­tion du dimanche défendu par la CFTC est en harmonie avec celle de l’église.

Pour nous le repos dominical est ce temps dans la semaine où la vie écono­mique est mise entre parenthèses pour favoriser la vie familiale, associative, personnelle, religieuse. Ce temps, qui est traditionnellement, en Occident, ce­lui du dimanche, est régulièrement at­taqué par les partisans du matérialisme marchand, cette forme contemporaine d’adoration du veau d’or. Ce que la CFTC et beaucoup d’autres défendent avec le repos dominical, ce n’est pas un simple et nécessaire temps de repos, c’est une civilisation au sens premier du terme, c’est-à-dire faire pas­ser une collectivité à un état social plus évolué, plus humain.

Déjà au XVIIe siècle, certains beaux es­prits prônaient le travail sept jours sur sept afin, disaient-ils, «d’enrichir la socié­té». La révolution leur donna raison en abolissant le repos dominical, réduisant par la même l’homme à un rôle d’ani­mal économique. Au XXIe siècle leurs héritiers voudraient nous faire croire que la France irait mieux si l’on pouvait pousser le caddie tous les jours.

En 1906, la chambre laïque de la sépa­ration de l’Eglise et de l’Etat fixa dans la loi le principedu repos dominical. Principe non figé, puisqu’en un peu plus d’un siècle, nombre d’exceptions de bon sens sont venues confirmer la règle.

Aujourd’hui, l’enjeu c’est l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, les partisans de la déréglementation s’ap­puyant principalement sur l’idée de li­berté et du fait accompli.

Pour la CFTC, il n’y a pas de véritable liberté sans la diversité, or la générali­sation de l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, c’est la destruction du commerce de proximité, les gran­des surfaces «cannibalisant» les parts de marché.

Adieu les marchés traditionnels du dimanche matin quand la grande dis­tribution pourra ouvrir le jour du Sei­gneur. Adieu aussi la diversité des sour­ces d’approvisionnement; l’exemple de l’édition devrait nous alerter : au fur et à mesure que disparaissent nos libraires de quartier, les maisons d’édition indé­pendantes s’éteignent.

L’artisan ou le petit commerçant peu­vent-ils ouvrir sans interruption, sept jours sur sept ? N’ont-ils pas droit, eux aussi, à une vie de famille, à une vraie vie sociale ? Comment peuvent-ils résis­ter à la formidable pression marketing des grandes surfaces ? Comme cette publicité diffusée dans le Val d’Oise, promettant moins 50% sur les jouets achetés le dimanche – et uniquement le dimanche – dans les magasins Leclerc. Qu’en sera-t-il de la libre concur­rence, quand il n’y aura plus de concurrence ?

Faudra-t-il un nouvel impôt pour payer les minibus qui devront amener les per­sonnes âgées faire leurs emplettes dans les centres commerciaux, quand nos centres-villes, nos bourgs et nos villages seront complètement désertifiés ?

Socialement, comme le déclarait Renaud Dutreil quand il était Ministre des PME, l’ouverture des commerces le di­manche entraînerait «la destruction de centaines de milliers d’emplois», destruc­tion non compensée par des créations de postes dans la grande distribution.

Quant à la liberté de choix du salarié, elle est imaginaire. Le demandeur d’em­ploi a-t-il le choix si on lui propose un contrat de travail avec une clause stipu­lant qu’à la demande, il devra travailler le dimanche ? Le salarié du commerce a-t-il le choix quand il sait que son refus aura pour conséquence de mettre en péril son emploi ou de se retrouver le plus mal placé pour la prise de congés et les augmentations de salaire ?

Le gros des troupes de la grande dis­tribution est constitué de mères de fa­mille, employées à temps partiel (salai­re net moyen mensuel : 750 €). Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire oui ou non pour travailler le dimanche ?

Il est à noter que ceux qui ont légale­ment le droit de travailler le dimanche et des moyens financiers qui les auto­risent à exercer librement ce droit, font très largement le choix du repos domi­nical. Combien de cabinets médicaux sont ouverts le 7° jour, en dehors des périodes de garde obligatoire ?

Enfin, le fait que de grandes enseignes ouvrent illégalement depuis des années, démontrerait que cela est «une évolution sociétaie inéluctable». Mais c’est la volon­té, le courage ou la lâcheté des hommes qui fait la société et non un hypothéti­que sens de l’histoire. Quant à cette légi­timation de la violation de la loi, elle est irrecevable. Le grand groupe qui ne res­pecte pas la règle commune au prétexte que cela permet de faire du chiffre, n’est pas plus justifiable que le pickpocket qui, lui, vole aussi pour faire du chiffre.

Des sondages indiquent qu’un grand nombre de nos concitoyens serait favo­rable à l’ouverture de commerces le di­manche. Mais, outre que personne ne s’oppose à l’achat du croissant le diman­che matin avant de faire son marché, la vraie question est «voulez-vous person­nellement travailler le dimanche ?» et là, une écrasante majorité répond non ! Doit-on souhaiter aux autres ce que l’on ne désire pas pour soi-même?

L’équilibre entre bien commun et pul­sion individuelle mérite que l’on ré­frène des mécanismes économiques aveugles ou des désirs de consomma­tion immédiate, pour laisser s’épanouir la vie familiale, les liens sociaux et la vie spirituelle. Le respect du repos domini­cal permet de briser l’enchaînement qui réduit l’homme à sa dimension maté­rielle. Voulons-nous préserver cette li­berté essentielle ?

Joseph Thouvenel

(1) Article 1 des statuts de la Confédéra tion Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC).
(2) § 1193 du Catéchisme de l’Eglise Catholique.

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