Michel Fauquier est professeur agrégé d’histoire, et a écrit plusieurs ouvrages (Aux sources de l’Europe, La vie religieuse dans les cités grecques aux VIème, Vème et IVème siècles, Itinéraire d’un jeune résistant français 1942-1945) Il vient de publier, chez Tempora, une « Lettre ouverte du dernier des chrétiens au premier des Français » |
Votre livre est écrit en tant que chrétien, mais cette question doit-elle être abordée uniquement sous l’angle religieux ?
La tentation, dans une société sécularisée – et une classe politique qui l’est peut-être encore plus – est de ne s’adresser à elle que sur le mode politique. C’est pourquoi il me paraissait utile et même urgent, de montrer l’articulation parfaitement harmonieuse entre les fondements religieux du repos dominical et ses implications sociales, économiques et politiques, qu’il faut évidemment prendre en compte. Loin d’être un argument de plus, réservé aux seuls chrétiens, le sens religieux du dimanche éclaire tous les autres sens en révélant que ce qui est en jeu c’est le bonheur de l’homme, ce qui est précisément la motivation divine des commandements, dont celui du repos dominical.
L’ouverture des magasins le dimanche n’est qu’un épisode dans la longue série de disparitions des liens sociaux … est-on déjà dans un monde où seul l’utile et l’économique comptent ?
L’économique ne voit que son intérêt, qui pourrait le lui reprocher ? Laissé à lui-même, l’économique ne fera qu’aligner des chiffres… mais si les hommes peuvent se compter, ils ne sont pas des chiffres. C’est pourquoi, en théorie, le politique devrait imposer sa loi à l’économique, il ne peut pas se contenter de « gérer la crise » comme on dit vulgairement, mais a pour tâche principale de mettre en œuvre les décisions donnant à chaque citoyen le moyen de faire son bonheur. Celui qui « gère la crise » court après, celui qui vise le bonheur de l’humanité regarde plus loin, en espérant qu’il regardera aussi plus haut et qu’ainsi chacun élargira sa vision au champ infini du Salut. La question de l’ouverture dominicale des magasins peut devenir une formidable occasion pour le politique de reprendre la main sur l’économique. Généraliser l’ouverture des magasins le dimanche serait le signe que l’économique continuerait de prendre le dessus sur le politique, réduit à n’être plus que son pantin, et alors, l’homme deviendra un chiffre.
On lit les sondages les plus contradictoires sur le sujet …les français sont-ils pour ou contre ?
Le politique n’indiquant plus la route à la cité, les citoyens sont évidemment déboussolés et laissés à la dictature de leurs besoins immédiats. Il n’y avait pas besoin de dépenser d’argent pour faire des sondages sur cette question, comme sur bien d’autres: dans un monde réduit à son horizon matériel, mon besoin immédiat est matériel. Je souhaite que mon croissant soit chaud le dimanche et que je puisse le déguster après avoir un peu traîné au lit, et je suis donc favorable à ce que les commerces soient ouverts à n’importe quelle heure du dimanche… le boulanger est éventuellement d’accord avec son client qui arrondit son chiffre d’affaire (du moins le boulanger le croit-il)… le mitron l’est nettement moins qui ne voit plus aucun de ses amis! Résultat, un sondage qui indique qu’il y a plutôt une majorité de gens favorables (surtout les clients, par nature plus nombreux) à l’ouverture dominicale des magasins… jusqu’à ce qu’on inverse la question et que l’on demande aux clients s’ils accepteraient de travailler le dimanche: mais alors, quand pourrais-je prendre mon croissant chaud le dimanche en trainant au lit, si je travaille le dimanche? Et là le sondage s’inverse… car mon besoin immédiat a changé! L’économique ramène l’homme à ses pulsions, le politique responsabilise la société: la aussi, le choix est clair.
Le gouvernement met en avant la liberté individuelle et le temps libre déjà offert par les 35h … n’a-t-on pas déjà « trop » de temps libre ?
En mettant en avant la notion de liberté individuelle, les politiques qui usent de cet argument court et éculé, semblent oublier que la société n’est pas un conglomérat d’individus, mais un tissu et un tissu fragile. Dans ce tissu, mes choix engagent ceux des autres, et c’est ainsi que la « liberté » du client, du patron et de l’employé ne concordent pas… la première asservissant les deux autres qui s’asservissent d’ailleurs mutuellement, multipliant à l’infini les causes d’affrontements sociaux qui sont gros de conséquences dans un pays qui a quand même déjà connu trois révolutions… toutes les trois arrivées dans un contexte qui n’étaient pas nécessairement si lourd que le contexte actuel, quoiqu’on en dise. Quant aux trente-cinq heures qui auraient libéré plus de temps libre – ce qui me semble être une approche très mathématique des choses – j’avais cru comprendre que le gouvernement avait déjà tout mis en œuvre pour les faire disparaître dans les faits: je vois donc mal comment cet argument pourrait être utilisé par ce même gouvernement !
Au fond, qu’est-ce qui motive cette volonté de faire passer cette réforme ?
J’avoue ne pas très bien comprendre l’intérêt du gouvernement dans cette affaire, tellement les coûts social et électoral de l’opération seraient lourds pour une société déjà si fragilisée et une majorité politique qui devient si impopulaire: faudrait-il comprendre que nos députés et sénateurs seraient devenus suicidaires et voudraient achever de perdre un vote chrétien qui a déjà commencé à les déserter depuis plusieurs années du fait de leur manque de courage? Faudrait-il comprendre que les mêmes députés et sénateurs croiraient que seuls les chrétiens leur feraient payer une telle folie? Faudrait-il comprendre que le Président ne se préoccupe pas des conséquences électorales de sa volonté d’imposer par tous les moyens une mesure dont son propre camp politique ne saisit ni l’urgence ni l’intérêt ? Faut-il imaginer enfin un groupe de pression habile et puissant qui imposerait ses lois au pouvoir, sans se préoccuper des conséquences qu’il serait seul à payer ? Tout cela est possible, mais je préfère ne pas y croire, et s’il y a une question à laquelle je n’ai pas de réponse, c’est bien celle-là: pourquoi le pouvoir s’obstine-t-il à vouloir défendre un projet de loi inefficace économiquement, socialement dévastateur et politiquement coûteux ? Par contre, si cette question se pose, c’est manifestement parce qu’il y a un grave déficit dans la formation intellectuelle de nos élites : il y a un véritable défi à relever dans ce domaine. Des Instituts comme l’Institut Albert-le-Grand y contribuent… encore faudrait-il que ses efforts fussent toujours encouragés par les pouvoirs publics !
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Michel FAUQUIER
Khâgne de la Perverie (NANTES)
Institut Albert-le-Grand (Les-PONTS-de-Cé/ANGERS)