Le problème posé à la grande distribution est assez simple : il s’agit, à moindre coût, d’augmenter ses parts de marché. Cette logique, précisons-le tout de suite, est dans l’ordre des choses et n’a rien de répréhensible. Le travail du dimanche représente pour cela une excellente opportunité, les structures des grandes enseignes leur permettant de fonctionner 7/7, ce que ne peuvent pas les établissements plus petits. Mais ce fonctionnement à un coût : si en général, les salariés de la grande distribution perçoivent des salaires très bas, les primes pour travail le dimanche sont en moyenne de 25 à 50%. C’est ainsi que certains experts (Askénazy) ont pu chiffrer l’effet inflationniste de l’ouverture dominicale entre 3 et 4%. Or la libéralisation totale de l’ouverture des commerces et services le dimanche poserait un problème aux grandes surfaces : elle obligerait, pour des raisons de concurrence, toutes les grandes enseignes à être ouvertes TOUS les dimanches. Mais les habitudes actuelles de consommation font que la fréquentation ne génèrerait pas suffisamment de marge pour que le retour sur coût soit véritablement intéressant. D’où la demande de la grande distribution : n’ouvrir qu’un nombre de dimanche limité. Cela permettrait une optimisation. L’Etat posant une règle interdisant une concurrence sauvage entre les crocodiles, ceux-ci pourraient grignoter à bon compte, au détriment du commerce traditionnel, les parts de marché qui les intéressent, spécialement aux périodes de consommation importante comme celles de fin d’année. En attendant que l’évolution des modes de consommation ne les conduisent à demander de nouveaux dimanche. Jérôme Bedier ne demande « que » le doublement des dimanches possibles, c’est à dire passer de 5 à 10. Michel-Edouard Leclerc est sur une ligne similaire. Jean-François Copé, aimablement, leur propose 15 dimanches. Habile. Cela lui permettra, sans doute, en revenant à 10, de dire qu’il a fait une « concession » aux tenants d’un autre choix de société ? |
Bédier : « Nous ne demandons pas l’ouverture généralisée des commerces le dimanche »
Le porte-parole de la grande distribution, Jérôme Bédier, appelle à la recherche d’un consensus sur le travail dominical
Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) (1)
La Croix. Le gouvernement a rouvert plus tôt que prévu le débat sur l’ouverture des commerces le dimanche. Étiez-vous demandeurs ?
Jérôme Bédier : Il était en effet nécessaire de relancer ce sujet, car il existe une demande, chez certains de nos clients, de faire leurs courses le dimanche. Nous ne prétendons pas que la consommation est l’alpha et l’oméga de l’existence, mais il faut offrir cette liberté à ceux qui le souhaitent. Le problème est que les discussions ont pris un tour caricatural, on est tombé dans le « tout ou rien ». Les enseignes de la distribution ne réclament pas une ouverture généralisée et systématique des commerces le dimanche. Nous souhaitons parvenir à un consensus avec l’ensemble des partenaires concernés, car nous sommes conscients que l’ouverture dominicale reste un sujet très sensible pour certains en France. Notre position tient compte de cette réalité, alors même que nos enseignes sont autorisées à ouvrir ce jour-là dans de nombreux pays étrangers (Espagne, Brésil…) et que cela se passe très bien.
Que pensez-vous du dernier texte proposé par l’UMP sur le sujet ?
La proposition de loi présentée par le député Richard Mallié est centrée sur les conditions dans lesquelles l’ouverture dominicale pourra être étendue à tous les commerces à Paris, Lille, Lyon et Marseille (lire La Croix du 21 novembre). Nous nous montrerons particulièrement attentifs à l’application de ce texte, pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence entre les différents magasins dans ces quatre agglomérations.
Pour le reste du pays, le projet actuel se contente de maintenir le système existant, c’est-à-dire la possibilité d’ouvrir cinq dimanches par an avec l’accord des autorités locales. Nous demandons que la loi aille plus loin, en évitant les discriminations. Aujourd’hui en effet, la situation varie selon qu’un magasin se trouve d’un côté de la rue ou de l’autre (comme c’est le cas aux Champs-Élysées), et d’un territoire à un autre. En outre, nous souhaitons que le nombre d’autorisations annuelles d’ouverture passe de cinq à dix dimanches et que les enseignes aient la possibilité de choisir les dates qui les intéressent. Ces demandes s’inscrivent dans l’esprit du rapport réalisé voilà un an sur cette question par le Conseil économique et social, et qui avait fait l’objet d’un consensus entre les partenaires sociaux. Si l’on avait retenu les suggestions de ce document, la question ne se poserait plus aujourd’hui.
Ouvrir le dimanche coûte plus cher à une grande surface qu’un jour de semaine. Ne serez-vous pas tentés de répercuter ces coûts supplémentaires sur le prix des produits ?
Dans le contexte actuel, il n’est pas envisageable de répercuter les coûts supplémentaires liés au travail dominical (majorations de salaires notamment), car les consommateurs sont extrêmement sensibles à leur pouvoir d’achat et à toute variation de prix. De fait, ouvrir son magasin le dimanche est un pari qui ne vaudra la peine que si les clients sont présents au rendez-vous et veulent utiliser la liberté qui leur est donnée. In fine, ce sont eux qui choisiront.
Recueilli par Marie DANCER
(1) La FCD représente les enseignes à prédominance alimentaire (Auchan, Carrefour, Casino, Cora, Système U…) et des enseignes spécialisées (Darty, Décathlon…)