Déplafonnement des heures supplémentaires, fin des RTT et des jours fériés, disparition du repos compensateur, possibilité de travailler jusqu’à 70 ans… Depuis deux ans, la liste des reculs sociaux, présentés comme des avancées du modernisme, ne cesse de croître. Mais elle pourrait encore s’allonger avec la fin annoncée du repos dominical des salariés. Plus de deux siècles de luttes sociales sont ainsi effacés en quelques traits de plume.
Loin de la prudence demandée à deux reprises par le Conseil économique et social (CES) sur ce sujet en 2007, le gouvernement matraque une nouvelle fois le code du travail, officiellement au nom de la croissance contre la crise. En réalité, depuis des années la majorité souhaite supprimer le repos dominical. Cette proposition de loi révèle la vision mercantile inquiétante de la droite. Il s’agit d’une triple erreur : économique, politique et sociétale.
Une erreur économique tout d’abord. L’augmentation attendue de 30 % du chiffre d’affaires des commerces est mensongère. Elle repose sur quelques cas d’entreprises hors-la-loi qui ouvrent le dimanche, avec la complicité et les encouragements du gouvernement. Un comble en matière de civisme ! Mais qui peut croire qu’une ouverture généralisée des commerces conduirait à une augmentation globale du chiffre d’affaires du commerce français ?
Les Français ne dépenseront pas le dimanche l’argent qui leur manque la semaine. Au mieux, les achats dominicaux se substitueront aux achats de la semaine, sans gain pour l’économie comme le montre le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) dans un rapport commandé par Bercy et publié en novembre 2008.
Loin des créations d’emplois annoncées, c’est plutôt une destruction d’emplois qui nous attend, et particulièrement ceux du commerce de proximité. L’ensemble des organisations patronales de l’artisanat et du commerce de proximité l’a compris. Il en va de la survie de leurs entreprises. A chiffre d’affaires égal, les artisans et les commerçants de proximité emploient trois fois plus de personnel que la grande distribution.
Autre souci pour le gouvernement : les études économiques montrent que l’ouverture dominicale augmente les prix. Ouvrir un dimanche coûte trois fois plus cher qu’ouvrir un jour de semaine : charges salariales, frais de communication, charges de fournisseurs augmentées par les prestations dominicales. L’ouverture des commerces le dimanche entraînera donc un surcoût des prix chiffré à 5 % minimum, même pour ceux qui achètent en semaine.
Une erreur politique ensuite. Le gouvernement décrète que les Français veulent cette réforme. Ils attendraient l’ouverture dominicale. C’est faux. Dans les sondages, les Français expriment des avis très partagés. Parfois favorables en tant que consommateurs, ils sont bien plus réservés en tant que salariés…Manifestement, l’apport du travail dominical est contesté par ceux qui le subissent. Les pauvres devront travailler toujours plus pour vivre, tandis que les autres pourront choisir de jouir de leur temps libre. Mettre en avant la liberté et le volontariat du personnel traduit une réelle méconnaissance de l’inégalité de la relation employeur salarié, accrue en cette période de crise et de hausse du chômage. Il faut le rappeler : le contrat de travail est un contrat de subordination. Le salarié ne s’embauche pas, ne se licencie pas, ne se distribue pas des primes et ne s’accorde pas des jours de RTT. La majorité des salariés de la grande distribution est composée de mères de famille, employées à temps partiel pour un salaire net mensuel de 750 euros. Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire non pour venir travailler le dimanche ? Si le gouvernement veut augmenter le pouvoir d’achat de ses concitoyens, c’est par la revalorisation des salaires qu’il devra le faire, et non par des primes aléatoires !
Mais ce texte ne se heurte pas seulement à l’ensemble de la gauche, aux organisations syndicales, aux associations familiales et aux responsables des cultes. Il trouve aussi des opposants dans la majorité, et non des moindres. L’actuelle ministre de l’Economie, Christine Lagarde, avait elle-même émis des réserves à ce sujet, signalant qu’elle trouverait «dommage que le dimanche devienne un jour comme les autres». Cette opposition massive vient de la prise de conscience que cette réforme est aussi et enfin, une erreur sociétale. La loi de 1906 a fait société. Elle a permis à la France de développer un modèle envié de qualité de vie. Nicolas Sarkozy a décidé de la détruire avec sa «politique de civilisation». Une extension de l’ouverture dominicale des commerces entraînerait des modifications substantielles dans l’organisation du fonctionnement de la société. Nombre d’autres professions et notamment les services publics, les services à la personne (ouverture de crèches pour garder les enfants…), les services de logistique, de technique ou de maintenance seront touchés. L’ensemble des corps de métiers serait touché et c’est toute l’organisation de la société qui serait à revoir. Demain, le dimanche sera un jour de travail banal. Pourquoi le payer plus alors ? Au lendemain du Grenelle de l’environnement, c’est aussi un recul formidable auquel nous assistons. Les grandes surfaces sont parmi les activités les plus énergivores, les plus polluantes : éclairages puissants entièrement artificiels, chauffages ou climatisations de volumes immenses, vastes rayons de réfrigération ouverts ou souvent manipulés. Il n’est fait aucune étude sur l’impact environnemental de la loi. Cette conception de la vie est une véritable menace pour la sphère familiale, amicale, culturelle, sportive, spirituelle ou associative.
Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la civilisation du loisir. La citoyenneté ne se résume pas à l’acte de consommation. Quelle vie privée, quelle vie de famille sans jour de repos hebdomadaire commun, alors que justement nos sociétés souffrent déjà d’une déstructuration des liens sociaux ?
Au «travailler plus, pour gagner plus» qui a montré son injustice depuis deux ans, les députés de toute la gauche (socialistes, radicaux de gauche, communistes et verts) opposent le «travailler mieux, pour gagner mieux» du prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz.
Nous défendrons avec la plus grande énergie notre conception de la société et de la vie, lors du débat au Parlement.
Liste des signataires : Patricia Adam, Marie-Hélène Amiable, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Claude Bartolone, Delphine Batho, Chantal Berthelot, Gisèle Biémouret, Martine Billard, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Danielle Bousquet, Jean-Pierre Brard, François Brottes, Marie-George Buffet, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Jacques Candelier, Martine Carrillon-Couvreur, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Jean-Michel Clément, Gilles Cocquempot, Yves Cochet, Catherine Coutelle, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Bernard Derosier, François de Rugy, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Odette Duriez, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Henri Emmanuelli, Corinne ERHEL, Martine Faure, Hervé Feron, Valérie Fourneyron, Jacqueline Fraysse, Jean-Louis Gagnaire, Catherine Génisson, André Gérin, Jean-Patrick Gille, Joël Giraud, Daniel Goldberg, Marc Goua, Pierre Gosnat, Maxime Gremetz, |