Le Monde, 13/11/08 – Patrick Roger
Le sujet pourrait être proposé aux épreuves de philosophie : « le travail du dimanche, un leurre ou une liberté ? » Nicolas Sarkozy y a répondu à l’oral de Rethel (Ardennes), le 28 octobre. « Pourquoi continuer d’empêcher celui qui le veut de travailler le dimanche ?, s’est demandé le président de la République, sous la forme rhétorique interrogative qu’il affectionne dans ce cas. C’est un jour de croissance en plus, c’est du pouvoir d’achat en plus. Il faut quand même penser aux familles qui ont le droit, les jours où elles ne travaillent pas, d’aller faire leurs courses dans des magasins qui sont ouverts et pas systématiquement fermés. » Et le chef de l’Etat, partisan de « libérer tout ceci », a invité les parlementaires à « se saisir sans tabou » de la proposition de loi déposée à cet effet au début du mois d’août par le député (UMP) des Bouches-du-Rhône Richard Mallié.
Dès le 4 novembre, le sujet était donc abordé lors de la réunion du groupe UMP de l’Assemblée nationale. Et suscitait de vives réserves. Pour de nombreux élus de la majorité, l’ouverture des commerces le dimanche n’apparaît pas comme la plus urgente des priorités. Certains, à l’instar de Christian Jacob (UMP, Seine-et-Marne), ont exprimé leur hostilité à une extension des dérogations qui préfigurerait une généralisation du travail dominical.
La proposition de loi rédigée par M. Mallié, prévoyant une « expérimentation sur cinq ans », leur semblait, à cet égard, rendre le processus quasiment inéluctable. « Le problème de l’expérimentation, admet le vice-président du groupe, Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes), c’est qu’à l’issue du délai soit on arrête, soit on généralise. »
Ni la majorité ni le chef du gouvernement ne semblent partager l’engouement du chef de l’Etat. Le « patron » des députés, Jean-François Copé, tente de gagner du temps. A l’issue de la réunion du 4 novembre, estimant que « personne n’est vraiment au clair » et qu’« il y a des avis très différents », il indiquait que le groupe allait devoir « travailler pour trouver une solution ». Interrogé dimanche sur Radio J, il se disait « pas certain qu’il y ait encore la place » pour voter une proposition de loi avant la fin de l’année. François Fillon, de son côté, interrogé par des lecteurs du Parisien, avoue que « c’est un sujet très controversé, y compris au sein de ma famille politique ».
GAIN LOIN D’ÊTRE ASSURÉ
M. Sarkozy n’a guère goûté ces tergiversations. Sans attendre la réunion du groupe de travail des députés UMP dont M. Copé avait annoncé la constitution, M. Mallié a redéposé le 12 novembre une nouvelle proposition de loi visant à « définir les dérogations au repos dominical ».
Luc Chatel, le secrétaire d’Etat chargé de la consommation, membre du « G7 » des ministres régulièrement réunis autour du président de la République, s’en félicitait par anticipation dans Libération du 10 novembre : « Un compromis a été trouvé, c’est un pas important et Nicolas Sarkozy y tient », indiquait M. Chatel. Enfin, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, laissait entendre, mercredi, que le texte pourrait être examiné « courant décembre » à l’Assemblée, tout en reconnaissant qu’il ne pourrait pas être définitivement adopté avant la fin de l’année.
Si le chef de l’Etat semble déterminé à passer outre les résistances de sa majorité, ses arguments sont loin de faire l’unanimité. « Un jour de croissance en plus » ? Pour la plupart des experts économiques, l’ouverture des commerces le dimanche n’entraînerait qu’un déplacement de l’activité commerciale. Les achats effectués ce jour-là ne le seraient plus en semaine et les grandes chaînes ou les magasins de grande taille pouvant rester ouverts sept jours sur sept en seraient les seuls bénéficiaires, au détriment des commerces de proximité.
« Plus de pouvoir d’achat » ? Le gain pour les consommateurs est loin d’être assuré. Quant aux salariés, l’extension du travail dominical risque de se traduire par de nouvelles contraintes, rendant illusoire la liberté de choix. Pour le directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), Robert Rochefort, « aucun économiste ne peut dire qu’on a besoin d’ouvrir partout le dimanche ».
Il admet cependant que le doublement de la rémunération, dans ce cas, serait « une façon de ne pas banaliser le travail dominical ». La question ne se pose cependant pas qu’en termes de pouvoir d’achat. C’est aussi celui du choix de vie, de la possibilité de consacrer son temps libre à autre chose que la consommation.