La Vie, 5/11/08 par Constance Molle-Proudhon
Sarkozy veut mettre les Français au travail le dimanche. Pas question, répondent syndicalistes, salariés et évêques.
« Pourquoi empêcher celui qui le veut de travailler le dimanche ? » Cette question, c’est Nicolas Sarkozy qui l’a posée lors d’un discours à Rethel (Ardennes), le 28 octobre. Le débat, ouvert depuis plusieurs années, n’a jamais été aussi polémique. L’UMP a en effet déposé il y a plusieurs mois une proposition de loi visant à déréguler le travail du dimanche, et le chef de l’État a accéléré le mouvement en demandant que le texte soit examiné en urgence au Parlement, probablement avant la fin de l’année. Pourquoi une décision aussi brutale, à l’instar de celle concernant la possibilité de travailler jusqu’à 70 ans, en pleine crise économique et financière ? À un moment où le président de la République demande plus de régulation dans l’économie mondiale, il souhaite, au contraire, déréguler le Code du travail !
Cette annonce arrive peu après la publication dans Le Journal du dimanche du 12 octobre d’un sondage Ifop particulièrement contesté : 67 % des Français seraient prêts à travailler le jour du Seigneur, chiffre qui a suscité de nombreuses critiques, aussi bien chez les syndicats que dans les médias et sur Internet. En réalité, seules 17 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles accepteraient de travailler régulièrement le dimanche, les autres 50 % ayant répondu « oui, de temps en temps ». De plus, la question était précédée d’une phrase qui orientait la réponse : « Travailler le dimanche est payé davantage qu’en semaine. Si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous ? » Avec ce présupposé, il est même étonnant que si peu de gens aient répondu oui…
Aujourd’hui, le Code du travail stipule qu’un employeur ne peut pas faire travailler un salarié plus de six jours par semaine. Il précise que « le jour de repos hebdomadaire doit être donné le dimanche ». Certaines entreprises sont malgré tout autorisées à faire travailler leurs employés par roulement quand on considère que leurs activités sont nécessaires (hôpitaux, restaurants, journaux…), sans compensation financière d’ailleurs. Ainsi que les magasins d’ameublement, qui ont obtenu l’ouverture dominicale régulière en décembre 2007. Des dérogations existent aussi dans certaines zones touristiques et pour les commerces de détail non alimentaires, à raison de cinq dimanches d’ouverture par an. La nouvelle proposition de loi prévoit la création de zones d’affluence touristique dans lesquelles les commerces et les services au public obtiendraient, à titre expérimental, des dérogations pour une durée de cinq ans. Le travail se ferait sur la base du volontariat.
Mais les salariés auront-ils vraiment le choix ? Non, car « un contrat de travail est un contrat de subordination », rappelle Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la CFTC. Il sera très délicat, voire impossible, de vérifier que les employés ne subissent aucune pression. Les syndicats sont unanimes là-dessus, notamment la CGT, très en pointe dans les manifestations. De même, « la généralisation du travail dominical conduira à le considérer comme un jour normal, même au niveau de la rémunération », estime Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de FO. Surtout, Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, considère qu’il est « indécent » de vouloir faire travailler les gens le dimanche et de les pousser à consommer dans cette période de crise. « Différents rapports montrent l’absence d’impact économique de cette mesure sur la croissance et le pouvoir d’achat. La logique gouvernementale est complètement déconnectée de la réalité. » L’ouverture dominicale des magasins risque au contraire de pousser les Français au crédit à la consommation, donc au surendettement.
La précipitation du gouvernement sur ce dossier est pour le moins suspecte. « Cela montre bien qu’il sent que l’opinion publique est défavorable », souligne Joseph Thouvenel, de la CFTC. « Il est dommage que sur ce dossier, qui est un vrai choix de société, on ne prenne pas le temps de réfléchir en profondeur. » Car quels sont les enjeux de ce débat ? Le maintien d’une journée chômée commune à une grande partie de la population n’est-il pas nécessaire pour soutenir la convivialité et le lien social ? Pour le philosophe Patrick Viveret, la crise financière que traverse le monde est liée à une dérive de l’économie de marché, qui « attaque la substance même de la société. Tout est marchandisé, même le temps. Mais l’économie de marché ne doit pas oublier qu’elle est fondée sur l’économie du don. La mise en cause des temps sociaux comme le dimanche fait partie de cette dérive. Il faut donc tenter de reconquérir des espaces non marchands d’échange. Les gens, souvent dépossédés de leur propre vie, ont besoin de reprendre le pouvoir. »
Sauvegarder un temps de liberté, c’est aussi la raison pour laquelle l’Église catholique appelle à maintenir le repos dominical. « Nous avons besoin de nous couper de nos occupations quotidiennes et de vivre ensemble. Le dimanche permet cette vie sociale et associative », explique Jean-Charles Descubes, président du Conseil pour les questions familiales et sociales à la Conférence des évêques de France, qui a rédigé un document sur le sujet. Le corédacteur du document, Michel Guyard, évêque du Havre, renchérit : « Nous ne sommes pas que des consommateurs, nous avons parfois besoin de prendre du recul. L’économie ne doit pas régenter la vie des hommes. La crise actuelle devrait nous engager à repenser notre façon de vivre, de gagner et dépenser notre argent. Selon moi, ce texte est une réflexion à très courte vue et pas du tout un progrès humain. »
En ouvrant, mardi 4 novembre, l’assemblée plénière des évêques à Lourdes, André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence épiscopale, rappelait que le dimanche est le jour du Seigneur et le temps de la vie familiale : « Gagner plus doit-il devenir le principal objectif de l’existence ? » La proposition de loi « serait une mesure supplémentaire dans la déstructuration de notre vie collective. »
Mais combien pèse le progrès humain face aux lobbys commerciaux ? À l’origine de la proposition de loi, on trouve Richard Mallié, député UMP des Bouches-du-Rhône. Or, sur sa circonscription, se trouve l’immense zone commerciale de Plan-de-Campagne, ses 200 ha et ses 400 magasins. Là-bas, tout se fait dans le plus grand désordre et l’illégalité. Certaines enseignes bénéficient de dérogations, d’autres restent fermées faute d’en avoir, d’autres enfin ouvrent malgré l’interdiction et paient une astreinte régulière. De là à penser que le député a déposé cette proposition de loi pour régler enfin son problème local, il n’y a qu’un pas. « Le dossier est mené de manière très idéologique. Des ministres se sont même rendus dans des endroits en infraction ! », s’indigne Laurence Laigo, de la CFDT, qui fait allusion à la visite de Luc Chatel et Xavier Bertrand au centre commercial de Thiais (Val-de-Marne).
Même au sein de la majorité, certains parlementaires re
stent sceptiques face à cette volonté de remettre en cause un élément essentiel de la vie sociale française. C’est le cas du député UMP des Yvelines Jean-Frédéric Poisson. « Tout ce qui relève de la gratuité se passe le dimanche, il faut laisser la place à ces relations dans notre société, comme une pause dans l’économie. N’y a-t-il pas des créations de richesse qui coûtent plus cher qu’elles ne rapportent ? Je pense que si, parce qu’il y a un coût humain à tout ça. » Le député craint aussi l’apparition de déséquilibres territoriaux, entre les zones ouvertes et fermées le dimanche, et l’affaiblissement des commerces de proximité. Jean-Frédéric Poisson se dit même prêt à voter contre le texte. Reste à savoir si d’autres le suivront.
Pour aller plus loin :
www.travail-dimanche.com : nombreux articles sur le sujet & une pétition pour le maintien du repos dominical
http://www.repos-dominical.com/ : réalisé par des laïcs chrétiens se réclamant de Jean-Paul II, avec une pétition et une lettre destinée aux évêques
http://www.ledimanchesacre.com/ : créé par le diocèse d’Angers qui donne la position de l’Eglise
http://www.agoravox.fr/ : la parole est donnée aux salariés qui travaillent (sans plaisir) le dimanche.