Travail (du dimanche) et liberté
Médiapart – 23 nov 2008 – Par Gérard Voinnet
Je suis allé faire un tour sur le site de l’UMP. J’y ai trouvé un espace de dialogue appelé « controverses ». Parmi les thèmes proposés figure celui du travail du dimanche. J’y ai posté le commentaire suivant :
Il est des notions que l’on invoque volontiers pour faire passer à peu près tout ce que l’on veut. L’humanitaire, le caritatif, en sont sans doute les exemples les plus démonstratifs. Sous l’alibi de verser une coquette somme d’argent à une association « humanitaire », on peut déverser des immondices sur les écrans de télé. Ici, c’est la notion de liberté qui est mise à contribution. Or, ce concept de liberté appelle au moins trois remarques.
En premier lieu, selon moi, l’existence d’une liberté ne se vérifie pas individuellement, au cas par cas, mais collectivement. Je m’explique : la liberté -individuelle – de décider de tuer ou non son voisin n’existe pas parce le meurtre est interdit par une décision collective. Ce qui légitime l’existence d’une liberté c’est la finalité de l’acte qu’elle autorise. Ce qui la légalise, dans notre pays, c’est que cette finalité est jugée conforme au pacte républicain.
En second lieu une liberté publique suppose qu’elle soit » exerçable » par tous. Quid de la liberté des salariés qui souhaiteraient travailler le dimanche dès lors que leur employeur ne le voudrait pas ? Nous touchons là à l’asymétrie, au déséquilibre des relations employeur-salariés. Le volontariat est un mythe dans la mesure où son exercice peut mettre en péril l’emploi même des salariés. Ceux qui pensent que le libre-arbitre des employés en situation de travail est une réalité n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise, et n’ont de surcroît jamais lu le code du travail. Le contrat de travail est un contrat d’assujettissement du salarié à son employeur en échange d’une rétribution. Je ne m’attarderai pas sur ceux dont le secteur d’activité interdit le travail du dimanche : pour qu’un enseignant puisse être volontaire pour faire cours le dimanche, il faudrait que les élèves soient d’accord pour y venir et leurs parents d’accord pour les y envoyer. Cela fait beaucoup de libertés !
Enfin, pour qu’une décision puisse être prise en toute liberté, il faut qu’elle soit éclairée. Les informations données pour permettre cet éclairage doivent être sincères. Un des principaux arguments des promoteurs du travail le dimanche tient dans l’exploitation d’un sondage d’opinion. Or, il s’agit d’un sondage parmi d’autres. Tous ne donnent pas le même résultat. Ensuite, on frôle la malhonnêteté lorsque l’on affirme que 67 % des sondés sont favorables au travail le dimanche. En réalité, 10% des sondés seraient d’accord pour travailler régulièrement le dimanche et 57% d’accord pour travailler » de temps en temps « , sans que cette notion de » de temps en temps » ne soit précisée (3 fois, 7 fois, 15 fois ? …. Rien n’est dit, or la fréquence pourrait bien avoir de l’importance). Pour que l’éclairage soit complet, il aurait peut-être fallu procéder à un sondage complémentaire : » Seriez-vous d’accord pour ne travailler que la semaine si vous étiez payés 25 % plus cher ( ou 15 ou 30, …) « . Nantis de tous ces éléments de réflexion, l’aspiration quasi frénétique à l’exercice d’une nouvelle » liberté » serait peut-être un peu freinée. En fin de compte, ce qui est souhaitée, plus que le droit de faire ce que l’on veut le dimanche, c’est peut-être d’avoir un pouvoir d’achat sensiblement amélioré.
Je conclurai en m’interrogeant sur la probité des responsables politiques qui veulent imposer cette mesure. Je conviens que cette forme d’accusation est lourde de sens. Cependant l’accumulation des arguments de mauvaise foi est telle que l’on est en droit de penser que l’enjeu est tout autre que celui dans lequel ils veulent instrumentaliser les simples citoyens. Outre ce que j’ai développé plus haut, je me demande comment un ménage qui dispose de 150 euros à dépenser pour la semaine pourrait en dépenser 200 parce les magasins seraient ouverts le dimanche. Mesdames et Messieurs les responsables, malgré vos capacités d’illusionnistes, la gestion du budget d’une famille modeste ne tient pas de la magie.