Cédric Mathiot (Libération) : revue des études et sondages sur le dimanche

Le travail du dimanche, ce grand bazar d’études et de sondages

Libération, Cédric Mathiot, 27/11/08

Les Français sont-ils favorables au travail dominical ? Ce dernier crée-t-il des emplois? Plus, ou moins, qu’il en détruit ? Depuis le début de la polémique qui divise la majorité, on a entendu tout et son contraire. Opposants et partisans ont brandi avec plus ou moins de bonne foi des études plus ou moins sérieuses, éclairantes et contradictoires. Revue de détail, alors que les députés de la majorité tentent aujourd’hui de se mettre d’accord sur le sujet.

Premier débat : les Français sont-ils favorables à l’ouverture des magasins le dimanche ?

Il n’y a qu’à se pencher pour ramasser une étude sur le sujet et Xavier Bertrand ne s’est pas gêné. Le ministre du Travail s’est emparé d’une enquête Ifop publiée le 12 octobre dans le JDD qui concluait que 67% des Français «voulaient» travailler le dimanche. Le ministre du Travail y a vu la preuve que les mentalités «évoluaient».

La ficelle a été jugée un peu grosse par une bonne partie de la presse, mais aussi par les soixante députés de droite (UMP et nouveau centre) qui sont partis en croisade contre le travail dominical. Dans une tribune publiée le 27 novembre dans Le Monde, lesdits parlementaires envoient bouler le ministre du Travail et son sondage : «Les sondages produisent des résultats partagés à souhait, et leurs commentaires sont parfois déviés. La majorité de l’opinion n’est pas orientée aussi clairement en faveur de l’ouverture dominicale qu’on veut bien le dire

De fait, on trouve de tout dans les sondages. Il suffit de savoir lequel piocher. Une enquête BVA  d’octobre 2008, réalisée deux semaines après celle de l’Ifop (mais cette fois pour le syndicat FO), arrive à une conclusion diamétralement opposée : 68% des Français répondent par la négative à la question : «Vous, personnellement, seriez-vous d’accord pour travailler régulièrement le dimanche?»

Ou comment la formulation de la question peut retourner totalement un résultat.

La dernière étude en date, celle du Credoc (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie), publiée fin novembre, donne elle encore un autre chiffre : à la question «seriez-vous prêts en tant que salarié à travailler régulièrement le dimanche», les sondés disent non à 60,8%.

Et l’enquête du Credoc suffit à elle seule à démontrer les limites de l’art du sondage. Car on y trouve des choses fort paradoxales :

– 52,5% des sondés se disent favorables à autoriser tous les commerces à ouvrir le dimanche s’ils le souhaitent.

– 79% des mêmes sondés pensent que l’ouverture dominicale aurait des conséquences négatives pour les salariés du commerce, notamment sur le plan de leur vie de famille

– 75% des «enquêtés» affirment enfin que le temps d’ouverture des commerces est déjà suffisant pour pouvoir faire face à ses besoins d’achat.

Deuxième débat : l’ouverture des magasins le dimanche permet-elle d’augmenter la croissance, en augmentant la consommation?

C’est un argument fort des partisans du travail dominical : il va doper la croissance : parce qu’il offre du pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés concernés, mais surtout parce que l’extension des horaires d’ouverture des magasins va permettre aux Français d’acheter davantage. Là encore, on a tout entendu.

Xavier Bertrand affirmait ainsi dans une interview aux Echos le 19 novembre : «Le chiffre d’affaires réalisé le dimanche est en plus des autres jours de la semaine, pas à la place

Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône, partisan de la première heure du travail le dimanche, et auteur de la proposition de loi sur le sujet, a même une théorie : certains achats se font prioritairement – voire exclusivement – le dimanche. C’est même écrit dans l’exposé des motifs de la proposition de loi qui sera examinée par les parlementaires d’ici la fin du mois : «Le dimanche permet d’effectuer des achats en famille, pour la décoration d’intérieur, le bricolage ou l’électroménager. Ces achats exceptionnels, et de réflexion, sont spécifiques au dimanche. En effet, les commerces, qui ouvrent actuellement le dimanche, réalisent souvent plus du tiers de leur chiffre d’affaire sur cette journée. Sachant que la majorité des achats du dimanche sont exclusifs à cette journée, c’est un levier important pour notre économie

Dans une vidéo en ligne sur son site Internet, il va jusqu’à chiffrer le pourcentage d’achats faits le dimanche qui ne pourraient être reportés en semaine. Il explique : «Nous savons pertinemment que cela (l’extension du travail dominical, ndlr) intéresse des commerces comme l’ameublement, le bricolage, l’équipement de la maison, qui sont des commerces qui, eux, auront un plus. Car nous savons qu’il y a 60% de ces achats, qui sont des achats anormaux, qui ne se feront pas un autre jour. Parce que ce sont des achats qui se font de manière réfléchie, en famille. Il faut être tranquille, cela se fait le dimanche. Six achats sur dix ne se reporteraient pas en semaine

D’où Mallié tient-il cette statistique comportementale?

Questionné par Libération, le député nous a renvoyé à une étude réalisée fin 2005 à Plan de Campagne, la zone pionière du travail le dimanche dans les Bouches-du-Rhône. L’étude établit clairement que Plan de Campagne souffrirait d’une fermeture dominicale des magasins… mais ne démontre pas que les clients du dimanche refuseraient de faire leur achat ailleurs et un autre jour.

Les syndicats, l’opposition, mais aussi les 60 députés de la majorité entrés en rébellion disent tout à fait le contraire de Bertrand et Mallié. Pour eux, la travail dominical ne suscitera aucun frémissement de la consommation. Et c’est au tour des députés de dégainer des études. Dans une première tribune publiée dans le Figaro, le 21 novembre, il écrivaient: «Plusieurs études, dont celle du Conseil économique et social (CES), répondent que l’acte d’achat ne serait que transféré de la semaine au dimanche.»

Le CES affirme effectivement, dans une étude datant de février 2007, que «la consommation dépend du pouvoir d’achat et que l’effet d’entraînement provoqué par l’ouverture du dimanche ne serait qu’un déplacement dans le temps d’une dépense qui ne varie pas, sauf à solliciter davantage l’épargne ou le crédit, et ne serait qu’un transfert entre commerce ouverts ou fermés».

Dans sa récente étude, Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE, va dans le même sens, et s’appuie sur l’exemple allemand pour monter que l’extension des horaires d’ouverture en 2003 (qui s’est traduite par un relatif assouplissement du travail le dimanche, ndlr) n’a pas dopé la consommation ni rien changé à l’épargne des Allemands.

Le Credoc, dans son étude, nuance un petit peu ce manque d’enthousiasme. Si l’ouverture des commerces alimentaires serait nulle en terme de consommation, l’ouverture dominicale des magasins de commerce non-alimentaire s’accompagnerait elle d’un léger «effet d’offre». En clair, les Français achèteraient un peu plus. Et iraient pour ce faire puiser (un peu) dans leur bas de laine. Le Credoc envisage ainsi une réduction d’un demi-point du taux d’épargne.

Troisième débat : le travail dominical crée-t-il des emplois, en détruit-il ? En crée-t-il plus ou moins qu’il en détruit?

S’il peut créer des emplois, le travail du dimanche en détruira encore davantage. C’est l’argument des 60 députés, qui citent force études dans les deux tribunes qu’ils ont publiées.

Dans le Figaro, le 21 novembre :«Il est dit qu’ouvrir les magasins le dimanche, c’est créer 30.000 emplois. Mais les 30.000 emplois créés ne seraient que transférés de la semaine au week-end. D’autres études montrent qu’à consommation égale, un emploi du dimanche supprimera trois emplois de la semaine.»

Dans le Monde, le 27 novembre : «Toutes les études montrent qu’un emploi créé dans la grande distribution en détruit trois dans le commerce de détail

En dépit de deux requêtes auprès des deux signataires principaux des textes (Jean-Frédéric Poisson, député de Yvelines, et Marc Le Fur, député des Côtes d’Armor), Libération n’a pas obtenu de références précises sur la provenance de ces données.

Le fait est qu’il y a eu extrêmement peu d’études sur l’impact macroéconomique et social du travail dominical. Et que certaines ne se risquent pas à chiffrer l’éventuel effet sur l’emploi.

Ainsi, l’étude du CES de février 2007 botte en touche : «Il faut souligner la difficulté d’un exercice qui fait intervenir des paramètres multiples tels que l’effet d’offre, la cannibalisation entre commerces, l’effet marge et la réaction de l’amont.» Elle renvoie à une étude vieille de quinze ans, qui n’est guère plus affirmative: «Une étude réalisée en 1993 pour la ministère du Travail, de l’emploi et de la formation professionnelle par le BIPE et la banque de France aboutit à des scenarii contradictoires, positifs ou négatifs. Nous ne disposons malheureusement pas d’études plus récentes

La deuxième étude du CES, datée de fin 2007, s’abstient elle aussi de toute conclusion :

«En matière de conséquence en terme de création ou de destruction de l’emploi, des chiffres sont avancés et peu étayés : il est donc difficile d’en tirer des conclusions.»

Une étude du Conseil d’analyse économique (Temps de travail, revenu et emploi), remise à Dominique de Villepin, alors Premier ministre en mars 2007, se mouille davantage. Ses trois auteurs s’appuient sur des études empiriques faites à partir de cas à l’étranger (Canada, Etats-Unis et Pays-Bas) et écrivent : «Force est de constater que toutes ces études mettent en évidence un effet positif et significatif de l’extension des horaires d’ouverture des commerces sur l’emploi, compris entre 3 et 5% de l’emploi du secteur

Mais c’est la simulation réalisée la semaine dernière par le Credoc qui se veut la plus précise. Elle aboutit à des résultats mitigés :

Pour ce qui est du commerce alimentaire, l’ouverture des magasins le dimanche détruirait plus d’emplois qu’elle n’en créerait : si 40% des hypermarchés ouvraient, les 10300 embauches potentielles générées seraient inférieures aux 16800 pertes d’emplois dans les commerces non concernés et «cannibalisés». Dans le cas d’une ouverture de 100% des hyper, le déficit d’emplois serait de 15500 (24300 embauches potentielles mais 39800 destructions).

En revanche, pour le commerce non-alimentaire, en retenant l’hypothèse d’une ouverture de 20% des magasins, le Credoc estime que l’ouverture dominicale pourrait aboutir à la création de 14 800 emplois. Plus de 17.000 emplois seraient créés dans les magasins concernés par l’ouverture, auxquels s’ajouteraient par effets induits (hausse de la consommation) 20.000 nouveaux emplois. Ces créations, bien que contrebalancées par la destruction de 22600 emplois dans le petit commerce, aboutirait à un solde positif de 14.800 emplois crées.

Le Credoc note que les variations nettes d’emplois (à la baisse, comme à la hausse) sont «d’une amplitude très limitée au regard de la masse d’emplois dans le commerce de détail (1,8 million de personnes) et des marges d’erreurs dans la définition des paramètres de l’étude».

En attendant la prochaine.

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