Bernard Reynes écrit au CAD

Bernard Reynes, député des Bouches du Rhones, collègue de Richard Mallié, nous transmet de nouvelles réflexions sur le travail du dimanche.

Si nous n’en partageons pas totalement les conclusions, nous les publions avec grand plaisir : M. Reynes a le mérite de proposer une vraie réflexion.

Réflexions sur la proposition de loi relative au travail dominical

La proposition de loi visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires, déposée par notre collègue Richard Mallié, Député des Bouches-du-Rhône, sera examinée par les parlementaires dès le mois de décembre.

Les dispositions qu’elle contient ont orienté mes réactions et mes réflexions autour de cette question majeure : quel choix de société proposons-nous, celle du citoyen ou celle du consommateur ?

 

En tant que Député, je me dois d’être porteur d’une vision de l’intérêt général, d’une conception généraliste de l’esprit de la loi, car celle-ci est faîte pour tous, et non de façon fragmentaire !

 

La proposition de loi sur le travail dominical est particulièrement révélatrice de cette dichotomie entre le global et le sectoriel et donc de la difficulté de notre rôle de parlementaire,à concilier notre ancrage local et notre mission au niveau national. Mais il en va de notre crédibilité et de notre responsabilité !

 

Ainsi, toute proposition de loi doit trouver ses fondements dans l’observation du réel, dans ses différentes composantes et dimensions, d’une part, et dans la nécessité d’apporter une réponse à un besoin, à une situation, à une problématique, d’autre part.

 

Dans ma précédente lettre ouverte sur « le travail dominical, une fausse bonne idée », j’avais tenté de poser un préalable général en mettant en exergue les enjeux économiques, sociétaux et sociaux

 

Or, la proposition de loi relative au travail dominical semble s’inscrire dans une logique inverse, puisque sa genèse repose sur le traitement d’une problématique locale particulière. C’est ainsi que pour replacer l’activité dominicale de vastes zones commerciales dans la légalité, le législateur peut être tenté par une démarche dont la cohérence est incertaine, ce qui est inéluctable quand on veut faire d’un cas particulier un cas d’espèce.

 

Ces principes étant énoncés, venons-en à la proposition de loi elle-même : l’esprit qui doit l’animer est par nécessité d’inscrire dans un cadre réglementaire ce qui est aujourd’hui illégal, mais en aucun cas de « forcer le trait » en l’étendant à d’autres secteurs.

 

C’est ainsi que je serais d’accord sur l’autorisation du travail le dimanche, dans les zones touristiques, élargie à tous les commerces de détail, voire même en développant une conception plus ouverte de ces zones permettant d’apporter des réponses réglementaires à l’existant, et notamment Plan-de-Campagne

Je partagerais également la proposition d’étendre de 12h à 13h la possibilité d’ouvrir le dimanche pour tous les commerces de détail alimentaire, ce qui ne fait d’ailleurs qu’entériner une réalité.

 

Je suis en revanche en total désaccord avec la troisième disposition qui consiste à accorder une dérogation dans le cadre des Zones d’Attractivité Commerciale Exceptionnelle pour les unités urbaines de plus d’un million d’habitants !

 

Réserver la généralisation du travail dominical à ces zones urbaines me paraît inéquitable, voire dangereux, en terme d’aménagement du territoire, mais également en terme d’équilibre économique. En effet, si les agglomérations concernées par ces zones représentent au moins un million d’habitants, il faut bien avoir à l’esprit que l’impact de l’ouverture dominicale des commerces touchera des espaces bien plus vastes ; les zones de chalandise représentent parfois plus de 100km de rayon. Cette réalité ne sera pas sans conséquences sur les communes et les territoires limitrophes de ces grandes unités urbaines, qui verront inévitablement leurs centres villes dépérir !

 

Au-delà des nuisances occasionnées pour l’environnement avec la multiplication des déplacements individuels, c’est toute la vie sociale et culturelle qui va se polariser sur ces centres urbains, contribuant ainsi à la désertification de certains espaces et territoires, dont le sens du « vivre ensemble » et du lien social sera complètement délité !

 

D’un point de vue démocratique, le circuit décisionnel ne me paraît pas respectueux du principe de la représentation de nos concitoyens, puisqu’en effet, si le Conseil Municipal de l’agglomération prend l’initiative de la demande de l’ouverture dominicale, c’est au Président de la Communauté Urbaine que revient la décision finale, dans la mesure où il dispose d’un véritable droit de veto. Celui-ci devrait être à mon sens exercé par le Conseil Communautaire !

 

Enfin, si l’instauration d’un Droit de refus pourrait être considérée comme une avancée pour les employés qui ne souhaiteront pas travailler le dimanche sans s’exposer pour autant à une sanction, je m’interroge sur les garanties qui pourront leur être apportées en terme de déroulement de carrière. Nous devons bien évidemment nous attendre à l’émergence d’une nouvelle « discrimination positive » en faveur des salariés qui accepteront de travailler le dimanche.

 

Et comment expliquer aux salariés qu’ils auront intérêt à dire oui au travail dominical pour être mieux
rémunéré, alors que le problème essentiel dans ces structures est celui du niveau des salaires? De plus, comment vont coexister deux systèmes de rémunération, l’un antérieur à la loi moins avantageux, et l’autre plus favorable émanant de ces nouvelles dispositions législatives ?

N’est-ce pas la politique salariale globale sur ce secteur d’activités qu’il faut revoir, plutôt que de laisser miroiter à des millions d’employés une avancée sociale ?

 

Ne nous leurrons pas sur les véritables intentions de cette proposition de loi qui visent bien à légaliser des pratiques particulières locales, ce que l’on pourrait admettre, mais qui auraient aussi la tentation de se servir d’alibis, comme la situation financière fragile des étudiants, les difficultés des familles mono-parentales, de la baisse du pouvoir d’achat,… tout ceci afin de conférer une dimension généraliste à une logique sectorielle.

 

Ces questions méritent beaucoup plus qu’un prétexte, et bien une réflexion approfondie de notre part !

 

Bernard REYNES

Député des Bouches du Rhône

 

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