Le Monde, 26/11/08 – SCOOP TRAVAIL-DIMANCHE.COM !
Le travail le dimanche, une mauvaise idée
C’est sans doute l’ironie de l’histoire. La liberté d’entreprendre et l’économie de marché triomphent partout et dans le même temps le profit voulu pour lui-même, recherché par tous les moyens et déconnecté de l’économie réelle, montre, dans la gigantesque crise que nous traversons, toute la puissance de sa nocivité.
Ceci doit nous conduire au plan national à ne pas prendre le risque de laisser au seul marché le soin de réguler l’activité.
De ce point de vue, la proposition de loi en débat sur le travail dominical accroît dangereusement quatre risques qu’il faut traiter au fond :
- la régulation des commerces par le seul marché ;
- la compétition entre les territoires ;
- la dichotomie entre le consommateur et le citoyen ;
- l’inégalité entre les salariés.
1/ On veut limiter l’ouverture dominicale à certaines zones géographiques, des « groupements urbains d’un million d’habitants ». Si la volonté de ne pas soumettre l’ensemble des territoires à cette autorisation est louable, il faut en craindre les effets. Que deviendront, dans quelques mois, les commerces concurrents qui, situés du mauvais côté de la frontière, verront partir leurs clients du week-end vers « la zone » ? Et les commerces de proximité qui ont besoin d’un flux de passants pour vivre ? Ils seront à l’évidence appauvris, et viendront saisir les pouvoirs publics en leur demandant la possibilité d’ouvrir à leur tour tous les dimanches. Alors, le marché aura eu raison des pseudo-frontières administratives, comme c’est d’ailleurs le cas partout. Et nous aurons abouti – tour de force – à un résultat dont visiblement personne (en tous les cas nous l’espérons) ne souhaite l’avènement : la généralisation sans restriction du travail dominical.
2/ Cette compétition entre les commerces affectera évidemment les territoires. Il est à craindre que le phénomène de « pompe aspirante » soit accentué, quand tout le monde en constate déjà la nuisance pour nos commerces de centre-ville. La logique pure de marché prévalant ainsi entre les territoires produira les mêmes effets qu’à l’habitude : une concentration accrue du commerce dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, et donc en un petit nombre de lieux. C’est en effet une des conséquences fréquentes de la liberté du marché exagérément livrée à elle-même : elle conduit presque toujours à des situations d’oligopole dont le bien-fondé social et économique n’est démontré nulle part. Remarquons, d’ailleurs, que les représentants des artisans, du commerce de proximité et des petites et moyennes entreprises sont majoritairement opposés à la perspective d’un élargissement du travail dominical : et on les comprend, car ils n’auraient pas les moyens de lutter contre cette concurrence déloyale.
3/ Les sondages produisent des résultats partagés à souhait, et leurs commentaires sont parfois lourdement déviés. D’abord, la majorité de l’opinion n’est pas orientée aussi clairement en faveur de l’ouverture dominicale qu’on veut bien le dire. Et puis, ceux qui accueillent volontiers cette perspective lorsqu’ils sont dans la posture des consommateurs deviennent subitement très réservés lorsqu’ils peuvent être concernés comme travailleurs. Pour ainsi dire, on veut bien avoir des services et des commerces à portée de la main, sauf s’il faut se lever de bonne heure le dimanche matin pour que cela fonctionne… On se demande bien comment l’encouragement d’une telle schizophrénie pourrait nous procurer une croissance importante et durable : à moins de considérer que la richesse se réduit à sa seule expression quantitative et monétaire, ce qui est proprement indéfendable. Et à supposer d’avoir démontré que l’extension de l’ouverture dominicale crée effectivement des emplois, ce qui n’est pas fait : rappelons que l’ensemble des études montrent qu’un emploi créé dans la grande distribution en détruit trois dans le commerce de détail.
4/ Il est dit que les salariés concernés par ce projet seraient protégés par le volontariat, de sorte qu’ils ne pourraient encourir aucune sanction pour avoir refusé de travailler le dimanche. Il ne manquerait plus que ça ! Mais tout de même, qui pourra reprocher à un chef d’entreprise d’organiser la progression de carrière, la répartition de la formation professionnelle, la responsabilité des projets structurants pour son entreprise, à ceux qui auront fait l’effort de se mobiliser régulièrement les dimanches plutôt qu’aux autres ? Personne, évidemment : ce seraient là de « saines » décisions de gestion. De sorte que l’instauration du travail dominical sans limitation dans certains secteurs produira à coup sûr deux catégories de salariés, du fait d’une discrimination exagérément positive liée à la bonne marche de l’activité. Et puis, chacun connaît les limites du volontariat : sans faire d’injustes procès d’intention aux chefs d’entreprise, il est peu probable que les salariés sollicités le dimanche puissent avoir d’autre choix que celui d’accepter. Parfois même, les parents isolés seront mis dans l’inextricable situation de devoir travailler le dimanche pour préserver leur métier et son évolution, avec la conséquence que l’on imagine sur la garde de leurs enfants : devront-ils dépenser la majeure partie de leur rémunération bonifiée (lorsqu’ils l’auront obtenue) pour rémunérer leur assistante maternelle ? Avouons qu’il est difficile d’entrevoir, dans les situations de ce genre, un réel progrès social
Certes, ces différents risques ne sont pas l’intention de l’auteur et des promoteurs de la proposition de loi en débat. Ils y sont cependant contenus en germe. Et il est tout de même très malvenu qu’un tel message soit, même implicitement, adressé aux français par les temps qui courent. Alors même que la crise mondiale devrait nous inviter à prendre le temps de réfléchir collectivement à ses causes et à ses conséquences, que l’absence de repères personnels et sociétaux est de plus en plus cruelle, il n’est pas acceptable de faire courir aux français ce risque de généralisation du travail dominical, qu’il soit proche ou lointain. Et, dans cette proposition de loi, ce risque est plus proche qu’on veut bien l’admettre. Pour cette raison, même s’il faut trouver les moyens de régler localement les situations aujourd’hui irrégulières, il n’est pas souhaitable qu’elle soit inscrite en l’état à l’ordre du jour de notre Assemblée.
Liste des députés soutenant le principe du repos du repos hebdomadaire partagé par tous.
Jean-Frédéric POISSON, Député des Yvelines – Marc LE FUR, Vice-président de l’Assemblée nationale, Député des Côtes d’Armor – Philippe MEUNIER, Député du Rhône – Thierry BENOIT, Député d’Ille et Vilaine – Véronique BESSE, Députée de la Vendée – Jean-Claude BOUCHET, D |
NDLR : les pressions exercées sur les députés par MM Sarkozy, Copé, et Bertrand étant extrèmement fortes, le nombre de députés varie presque d’heure en heure, certains se défilant, d’autres rejoignant le camp du service du pays. N’hésitez pas à envoyer un message de soutien à votre député, il faut beaucoup de courage pour refuser le conformisme. La liste des coordonnées des députés est sur ce lien.