Travailler le dimanche ?
Une belle promenade parisienne et dominicale dans le quartier du Marais. Rue des Francs-Bourgeois, rue des Rosiers, place des Vosges. Des bobos en promenade, des étrangers en goguette, des provinciaux en visite. Des poussettes, des vélos, des Vélib’, des patins et des rollers. Des familles détendues, des amoureux enlacés, des moments de partage. Les délices du brunch à midi, le plaisir de lécher les vitrines des magasins fermés, le croisement malencontreux avec un excrément canin (mais du pied gauche).
Et voilà nos nouveaux pourfendeurs du capitalisme débridé qui réouvrent le débat de l’ouverture des magasins le dimanche. Bertrand, Chatel & Co nous expliquent que le travail le dimanche, c’est de la croissance, du pouvoir d’achat et du bonheur pour tous.
Si le fait d’ouvrir les Auchan et les Carrefour le dimanche doit générer de la croissance, cela signifie qu’aujourd‘hui, alors que les Hypers font relâche le jour du Seigneur, des billets de 100 euros et des Cartes bleues hurlent au fond de nos portefeuilles. « On veut sortir le dimanche nous aussi ! », « Y en a marre que ce soient seulement les pièces qui servent à l’Eglise ! », « Ouvrez-nous nos temples à nous ! », « Pas de repos pour les biftons ! ».
Si ouvrir un 7e jour génère du chiffre d’affaires en plus, cela veut dire que les Français économisent trop, alors qu’ils devraient « acheter plus pour dépenser plus ».
Je ne lis pourtant pas beaucoup d’arguments économiques pour étayer cette théorie gouvernementale. Une chose est de dire que les consommateurs peuvent trouver plus commode de faire leurs courses le dimanche plutôt que les autres jours, autre chose, plus hasardeuse, est d’affirmer que, ce faisant, ils dépenseront plus qu’en les faisant le samedi.
Par ailleurs, est-il tellement ringard de dire qu’il est bon qu’il y ait dans la semaine un jour différent, qui permette de faire autre chose, à un autre rythme, dans un autre contexte ?
Est-ce un hasard si de nombreuses civilisations considèrent le 7e jour comme « à part », que ce soit un vendredi, un samedi ou un dimanche ?
Les religions, qui ne sont souvent que des palimpsestes qui se nourrissent de croyances ou de pratiques sociales primitives, ont souvent décrété que ce 7e jour serait consacré au repos et à la spiritualité. Reposer le corps pour retrouver l’esprit. S’extraire des voies urbaines pour retrouver sa voie intérieure. Le 7e jour, c’est donc le jour du Temple, de la Synagogue ou de l’Eglise, mais nous savons bien aussi que c’est le jour du match de foot du petit, le jour du déjeuner avec grand-mère, le jour du jogging dans les sous-bois, le jour de lustrage du monospace familial, le jour de Michel Drucker.
Ouvrir les magasins le dimanche, c’est banaliser cette journée particulière, c’est remettre sur les rocades des milliers de voitures en quête d’un parking d’hypermarché, c’est remplir les métros de consommateurs résignés et de travailleurs harassés et c’est boucher nos rues piétonnes de processions pro-capitalistiques.
Et que des étudiants puissent ainsi arrondir leurs fins de mois en tenant la caisse de ces bouclards n’est pas un argument : les bénéfices macroéconomiques ne sont pas la somme de bénéfices micro-individuels. Les jobs dominicaux des étudiants sont « payés » par la précarité imposée aux caissières des jours ouvrables.
Mais peut-être n’ai-je pas les bonnes données, les bonnes informations ? Alors, que le gouvernement m’explique et me démontre !…