Epidemaïs contre Mgr Descubes
Le Figaro publie un très intéressante interview.
Face à face, Luc Chatel et Monseigneur Descubes. D’un côté le pro de la « com », et de l’autre un rappel paisible de vérités éternelles.
Le professionnalisme de Luc Chatel en matière de communication n’est plus à démontrer. A chaque intervention, c’est un sans-faute. Mais lorsque Luc Chatel parle, il faut prendre le temps de l’analyse pour discerner l’emploi de ces techniques de communication, et décrypter le véritable sens de son discours.
Ci-dessous, en bleu, notre décryptage des techniques employées par Luc Chatel. Tout y passe, un vrai beau travail de premier de la classe !
Le Figaro, 24/10/2008 – Propos recueillis par Patrice de Meritens
« Notre vie n’est pas faite seulement pour produire et consommer », affirme Mgr Descubes. « Le rôle des pouvoirs publics n’est pas d’imposer, mais de donner la liberté », répond le ministre Luc Chatel.
Le Figaro Magazine La discussion du projet de loi sur le travail du dimanche est prévue à l’Assemblée nationale pour la fin de l’année. Est-ce une urgence, en ces temps de crise ?
Luc Chatel La situation financière et économique sur laquelle se mobilise le gouvernement ne justifie en rien que nous renoncions aux réformes. Nicolas Sarkozy a fait du travail l’un des thèmes de sa campagne présidentielle. Le travail du dimanche fait partie de ses engagements. Nous avons oeuvré durant presque un an avec le groupe UMP de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle nous avançons sur ce dossier avec Xavier Bertrand.
La technique : ne pas répondre aux questions, mais placer ses réponses.
Ici, Luc Chatel ne répond pas à la question posée, se bornant à rappeler que le travail du dimanche était une proposition de N. Sarkozy, mais n’expliquant pas en quoi l’action entreprise contre le dimanche se justifie dans le contexte de la crise actuelle.
Monseigneur Descubes Redonner toute sa valeur au travail est important, mais en faire l’unique préoccupation ne peut qu’être mutilant pour l’homme et dangereux pour la société. Nous nous trouvons au coeur d’un débat symbole : gommer le caractère particulier du dimanche, sous prétexte de libéralisme, retire à l’homme un repère objectif et inscrit dans le temps, celui de sa dimension spirituelle.
Luc Chatel Soyons clair : le principe du repos dominical est inscrit dans la loi depuis 1906 et il y restera. Il est assorti de 180 dérogations au droit du travail. C’est ainsi que 3 millions de personnes travaillent tous les dimanches et 7 millions, occasionnellement. La volonté du gouvernement n’est donc pas de contraindre les Français, mais de leur donner la liberté de choix. Je pense aussi bien aux commerçants, pour qui ce jour est approprié à leurs activités, qu’aux familles : certains achats raisonnés se font plus aisément durant ces heures de liberté.
La technique : l’affirmation forte de généralités suscitant l’adhésion générale. Cela permet de masquer les corollaires, qui eux sont susceptibles de ne pas susciter d’adhésion générale.
Ici, Luc Chatel pose virilement que « le principe est inscrit dans la loi et y restera ». C’est la partie de poids fort de son discours, sur laquelle il attire l’attention. Cela permet de faire oublier que l’objet de la proposition Mallié est justement de vider le principe de sa substance.
Mgr Descubes Pour autant, notre vie n’est pas faite seulement pour produire et consommer. L’argent et le luxe s’affichant comme les vraies conditions du bonheur, faut-il s’étonner que croissent l’envie et le ressentiment chez ceux qui en sont privés ?
Luc Chatel Je ne suis pas un partisan de la société de consommation à tout-va : le travail est d’abord un lien social entre les hommes. Lorsqu’il est correctement aménagé, il est aussi facteur d’accomplissement. J’ai été très frappé par le témoignage d’une femme, dimanche dernier, à Thiais, où j’ai rencontré un certain nombre de salariés. Une jeune femme m’a dit qu’elle préférait travailler le dimanche pour être davantage auprès de ses quatre enfants en semaine. Il s’agissait d’un choix consenti par rapport à l’éducation.
La technique : l’utilisation de l’exemple aberrant. L’exemple aberrant est un exemple, véridique ou pas, qui s’écarte complètement des standards. Il vise esssentiellement à déstabiliser l’adversaire, en lui faisant prendre en compte un cas qui n’arrive jamais dans la réalité.
Ici, Luc Chatel parle d’une maman qui déclarerait vouloir travailler le dimanche par souci de ses enfants, cas plutôt improbable, et en tous cas non-représentatif
Luc Chatel reprend aussi la technique de la généralité, en affirmant que l’aménagement du travail est source d’accomplissement, ce qui permet de masquer que la proposition Mallié a pour objet de déréguler le rythme sociétal du dimanche.
Mgr Descubes Mais cette libéralisation permettra-t-elle au dimanche de demeurer le temps de référence du repos ? Là est la question. Il est important pour une société que le temps, au même titre que l’espace, soit structuré.
Luc Chatel Il faut aussi considérer la mutation des modes de vie. La société a fortement évolué avec le travail des femmes, les familles monoparentales, les couples séparés… Il n’est pas question de revenir sur le principe du repos hebdomadaire du dimanche. Le rôle des pouvoirs publics n’est pas d’imposer un choix, mais de donner la liberté.
La technique : l’affirmation forte de généralités suscitant l’adhésion générale. Cela permet de masquer les corollaires, qui eux sont susceptibles de ne pas susciter d’adhésion générale (déjà utilisée plus haut)
Ici, Luc Chatel affirme qu’il veut donner la liberté, ce qui permet de masquer que la proposition Mallié ne comporte aucune garantie pour les salariés, que ce soit en terme de liberté de choix, de réversibilité, ou de rémunération.
Mgr Descubes Laquelle ne saurait se résumer à une simple accumulation des libertés individuelles. Le dimanche correspond à ce moment où l’on peut véritablement se retrouver pour vivre autre chose en famille, avec des amis, au sein d’associations… Et voilà que l’on veut y faire glisser ce qui peut se faire le samedi. Lorsque j’étais enfant, nous allions au collège ou au lycée jusqu’au samedi soir. Peu à peu, cette journée a été libérée. On dispose donc désormais de deux jours. L’un des deux ne peut-il être réservé à autre chose qu’aux biens matériels ? Il est normal que le législateur mette de l’ordre dans la société dont il a la charge, mais il est très délicat de s’attaquer à ce qui a une valeur symbolique. Défendre la liberté personnelle et individuelle peut conduire à faire fausse route. Jusqu’à quel point, d’ailleurs, les conventions collectives seront-elles efficaces ? Si le dimanche devient un jour ouvrable comme les autres, on est en droit de penser que des pressions s’exerceront sur le personnel, en particulier dans les conditions d’emb
auche, et que les avantages salariaux consentis disparaîtront progressivement, à moins que l’on ait recours à des emplois à temps partiel continuant à renforcer les situations de précarité de bien des familles.
Luc Chatel Je vous rejoins sur cette préoccupation : le principe du droit de refus de travailler le dimanche doit être gravé dans la loi. Les enquêtes d’opinion indiquent que deux Français sur trois sont prêts à travailler le dimanche, à certaines conditions : le droit de refus, la rémunération supplémentaire et la récupération de temps de repos. Et un Français sur deux approuve le principe de l’ouverture des magasins. Cela correspond à la différence des modes de vie selon les régions. Il n’est pas question de bousculer les traditions : plus géographique que sectoriel, notre objectif est de répondre à une demande conjointe d’entreprises, de salariés et de consommateurs. La législation actuelle est ubuesque, aboutissant à des distorsions de concurrence et à des incertitudes juridiques pour les salariés comme pour les employeurs qui veulent travailler le dimanche. A Thiais, la semaine dernière, il y avait dans la même zone commerciale des magasins qui ouvraient légalement parce qu’ils avaient une dérogation, d’autres qui ouvraient illégalement en payant une astreinte, et des magasins qui auraient aimé ouvrir mais qui, faute de pouvoir payer l’astreinte, demeuraient fermés. Il faut sortir de cette absurdité !
La technique : l’utilisation de références truquées ou de chiffres falsifiés, ayant l’apparence de l’impartialité.
Ici, Luc Chatel fait référence au sondage grossièrement truqué, publié par le JDD le 12/10 (« deux français sur trois sont prêts à travailler le dimanche »). Nous ne reviendrons pas sur l’énormité de cette manipulation.
La technique : trouver une légitimité extérieure. Cela permet de diminuer sa responsabilité propre auprès des personnes dont l’adhésion n’est pas obtenue.
Ici, Luc Chatel dit que son action ne serait qu’une réponse à « une demande conjointe d’entreprises, de salariés et de consommateurs » (Nous le croyons bien volontiers quand il nous dit que « certaines entreprises » lui ont demandé ces modifications, regrettant qu’il ne nous en cite pas la liste !) Mais il ne parle pas de ceux, largement majoritaires, qui lui ont demandent de ne pas effectuer ces modifications.
La technique : provoquer des désordres, et protester de ces désordres pour faire admettre les mesures que l’on souhaite (il s’agit là davantage d’une technique révolutionnaire que d’une technique de communication à proprement parler)
Ici, Luc Chatel trouve « absurdes » les différentes situations des magasins de Thiais. Or désordre a été causé pour une part sciemment, étant le résultat d’une part du laxisme disciplinaire à l’encontre des enseignes ouvrant illégalement, et d’autre part du soutien apporté en personne, par deux ministres de la République, à des délinquants comdamnés par les lois de cette même République (Visite de X Bertrand et L Chatel à Thiais). Luc Chatel porte une part personnelle du désordre qu’il n’a pas de mal à fustiger ensuite.
Mgr Descubes C’est votre responsabilité… Pour autant, vouloir transférer au dimanche ce que l’on pourrait faire le reste de la semaine me laisse sur la réserve. D’autre part, même s’il n’y a pas de lien obligatoire entre la célébration du jour du Seigneur et le repos du dimanche, l’histoire en a montré la cohérence. Le président de la République a rappelé l’importance de retrouver nos racines. En y portant atteinte, je me demande si ce n’est pas une part de notre identité culturelle que l’on met en danger. Quelle sera l’action de l’Eglise ? Nous respectons bien évidemment la séparation des pouvoirs. Il revient au gouvernement et au législateur d’organiser la société, mais il est important pour nous de faire valoir d’autres raisons que celles de la seule réalité économique. Et nous espérons que l’on en tiendra compte.
Luc Chatel Je comprends que le lien entre la pratique du culte et le repos soit une vraie question pour l’Eglise.
La technique : déconsidérer l’adversaire en faisant croire qu’il travaille pour ses intérêts propres et non pour l’intérêt général.
Ici, Luc Chatel insinue que Mgr Descubes ne défend le repos dominical que pour favoriser l’assistance au culte. C’est assez bas.
Mgr Descubes Pas une question, mais, j’y insiste, il y a une profonde cohérence entre la célébration du jour du Seigneur, où nous rappelons la résurrection du Christ, et le repos nécessaire que l’on trouve inscrit, dès les premières pages de la Bible, dans le récit de la création du monde !
Luc Chatel Non seulement l’Eglise s’est adaptée au monde moderne en déconnectant la messe du repos, mais on trouve les fondements de cette disposition d’esprit dans les Evangiles. Saint Marc rapporte qu’un jour de sabbat, alors qu’ils traversaient des moissons, les disciples du Christ se mirent à glaner des épis. Les Pharisiens dirent à Jésus : « Voyez ! Pourquoi font-ils, le jour du sabbat, ce qui n’est pas permis ? » Et Il leur dit : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat… »
La technique : utiliser à son profit des citations célèbres ou des références universelles.
Ici, Luc Chatel dit que le Christ lui même n’était pas favorable au repos du 7°jour, en utilisant une citation de Saint Marc, qu’il n’hésite pas à tronquer, et à utiliser en contradiction formelle avec la tradition juive de l’époque, et l’enseignement général du Christ.
Mgr Descubes « … Si bien que le Fils de l’homme est maître même du sabbat » ! Jésus a effectivement voulu dire que la personne humaine doit être au centre de nos préoccupations, tant dans son travail que dans sa dimension sociale et spirituelle.
Luc Chatel Eh bien, là nous nous retrouvons ! Si nous proposons cette réforme, c’est aussi pour replacer l’homme au centre du débat. Lui donner cette liberté, sans qu’elle nuise à la collectivité. Voilà notre état d’esprit.
La technique : l’affirmation forte de généralités suscitant l’adhésion générale. Cela permet de masquer les corollaires, qui eux sont susceptibles de ne pas susciter d’adhésion générale (déjà utilisée plus haut)
Ici, Luc Chatel affirme qu’il veut donner la liberté sans nuire à la collectivité, alors qu’il ne prévoit aucun dispositif pour garantir la liberté, et que le dommage causé à la collectivité, lui, sera bien réel.
Mgr Descubes J’en prends acte, mais je trouve cette liberté trop orientée vers le seul travail et l’économie.