J Thouvenel (CFTC) : équilibrer bien commun et pulsion individuelle

Oui à la liberté du repos dominical !

Un article du Figaro 30 avril 2008
Par Joseph Thouvenel – Avec l’aimable autorisation de l’auteur

Par Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint du syndicat CFTC.

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Le repos dominical est ce temps dans la semaine où la vie économique est mise entre parenthèses pour favoriser la vie familiale, associative, personnelle de tous et, pour ceux qui le souhaitent, spirituelle. Ce temps, qui est traditionnellement en Occident, celui du dimanche, est régulièrement attaqué par les partisans du matérialisme marchand, cette forme contemporaine d’adoration du veau d’or.

Ce que la CFTC et beaucoup d’autres défendent avec le repos dominical, ce n’est pas un simple et nécessaire temps de repos, c’est une civilisation au sens premier du terme, c’est-à-dire faire passer une collectivité à un état social plus évolué, plus humain.

Déjà au XVIIe siècle, certains beaux esprits prônaient le travail sept jours sur sept afin, disaient-ils, «d’enrichir la société». Aujourd’hui, on voudrait nous faire croire que la France irait mieux si l’on pouvait pousser le Caddie tous les jours.

En 1906, la chambre laïque de la séparation de l’Église et de l’État fixa dans la loi le principe du repos dominical. Principe non figé, puisque, en un peu plus d’un siècle, nombre d’exceptions de bon sens sont venues confirmer la règle.

Aujourd’hui, l’enjeu c’est l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, les partisans de la déréglementation s’appuyant principalement sur l’idée de liberté et du fait accompli. Il n’y a pas de véritable liberté sans la diversité, or la généralisation de l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, c’est la destruction du commerce de proximité, les grandes surfaces «cannibalisant» les parts de marché.

Adieu les marchés traditionnels du dimanche matin quand la grande distribution pourra ouvrir le jour du Seigneur. Adieu aussi la diversité des sources d’approvisionnement ; l’exemple de l’édition devrait nous alerter : au fur et à mesure que disparaissent nos libraires de quartier, les maisons d’édition indépendantes s’éteignent. L’artisan ou le petit commerçant peuvent-ils ouvrir sans interruption, sept jours sur sept ? N’ont-ils pas droit, eux aussi, à une vie de famille, à une vraie vie sociale ? Comment peuvent-ils résister à la formidable pression marketing des grandes surfaces ? Comme cette publicité diffusée en décembre, dans le Val-d’Oise, promettant moins 50 % sur les jouets achetés le dimanche et uniquement le dimanche dans les magasins Leclerc.

Qu’en sera-t-il de la libre concurrence, quand il n’y aura plus de concurrence ? Faudra-t-il un nouvel impôt pour payer les minibus qui devront amener les personnes âgées faire leurs emplettes dans les centres commerciaux, quand nos centres-villes, nos bourgs et nos villages seront complètement désertifiés ? Socialement, comme le déclarait Renaud Dutreil quand il était ministre des PME, l’ouverture des commerces le dimanche entraînerait «la destruction de centaines de milliers d’emplois», destruction non compensée par des créations de postes dans la grande distribution.

Quant à la liberté de choix du salarié, elle est imaginaire. Le demandeur d’emploi a-t-il le choix si on lui propose un contrat de travail avec une clause stipulant, qu’à la demande, il devra travailler le dimanche ? Le salarié du commerce a-t-il le choix quand il sait que son refus aura pour conséquence de mettre en péril son emploi ou de se retrouver le plus mal placé pour la prise de congés et les augmentations de salaire ?

Le gros des troupes de la grande distribution est constitué de mères de famille, employées à temps partiel (salaire net moyen mensuel : 750 €). Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire oui ou non pour travailler le dimanche ? Il est à noter que ceux qui ont légalement le droit de travailler le dimanche, et les moyens financiers de l’exercer, font très largement le choix du repos dominical. Combien de cabinets médicaux sont ouverts le septième jour ?

Enfin, le fait que de grandes enseignes ouvrent illégalement depuis des années démontrerait que cela est «une évolution sociétale inéluctable». Mais c’est la volonté, le courage ou la lâcheté des hommes qui fait la société et non un hypothétique sens de l’histoire. Quant à cette légitimation de la violation de la loi, elle est moralement irrecevable. Le grand groupe qui ne respecte pas la règle républicaine au prétexte que cela permet de faire du chiffre n’est pas plus justifiable que le pickpocket qui, lui, vole aussi pour faire du chiffre.

Les sondages indiquent qu’un grand nombre de nos concitoyens seraient favorables à l’ouverture des commerces le dimanche. Mais, outre que personne ne s’oppose à l’achat du croissant le dimanche matin avant de faire son marché, la vraie question est : voulez-vous personnellement travailler le dimanche ? Et là, une écrasante majorité répond non ! Doit-on souhaiter aux autres ce que l’on ne désire pas pour soi-même ?

L’équilibre entre bien commun et pulsion individuelle mérite que l’on refrène des mécanismes économiques aveugles ou des désirs de consommation immédiats, pour laisser s’épanouir la vie familiale, les liens sociaux et la vie spirituelle. Le respect du repos dominical permet de briser l’enchaînement qui réduit l’homme à sa dimension matérielle. Voulons-nous préserver cette liberté essentielle ?

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