Banalisation du travail le dimanche

Article paru dans Témoignages le mardi 15 janvier 2008 (page 6)

Le risque de déstabiliser la vie familiale et le lien social

Toujours plus de flexibilité pour l’emploi, en tentant de nous prouver qu’elle peut s’accompagner de sécurité pour le salarié. C’est la grande idée que le gouvernement veut faire passer dans l’opinion, et même contre elle. La preuve, avec le travail dominical qui risque de ne plus être une exception, à commencer par les magasins de meubles. Dans un rapport récent, le Conseil économique et social insiste : le dimanche est pour les Français le jour privilégié du lien social.

ACHETER ses meubles le dimanche, c’est désormais admis. Comme si les Français en avait vraiment besoin, la Sénatrice Isabelle Debré a proposé le mois dernier un amendement au projet de loi sur la consommation. Les magasins d’ameublement qui ouvraient le dimanche ne seront plus hors la loi. Une dérogation de plus que les syndicats ne voient pas d’un bon oeil. C’est pour eux tout simplement une banalisation du travail le dimanche, une marche forcée pour les salariés, loin de la liberté de choix évoqué par le gouvernement. La CGT-FO insiste sur le fait que les ménages sont confrontés aux limites d’un pouvoir d’achat qui régresse. « Et c’est bien par défaut d’augmentations légitimes et régulières pour faire face aux dépenses de consommation incontournables que les salariés se soumettent au travail du dimanche. Sous cet angle, le volontariat n’existe pas ! », affirme Mme Pungier, dans le récent rapport du Conseil économique et social sur le travail dominical. Le cas des salariés de Conforama en grève en est une triste illustration. La CFTC dénonce pour sa part « l’efficacité des lobbies de l’ameublement » qui a su imposer l’amendement sénatorial au projet de loi adopté dans la nuit du 13 au 14 décembre et qui autorise les « établissements de commerce de détail d’ameublement » à ouvrir le dimanche. Une décision confirmée par les députés de l’UMP.

Seulement 26% des Français favorables

Alors que cet amendement était voté, le Conseil Economique et Social (CES) se prononçait contre toute nouvelle dérogation au repos dominical. Une étude menée par la commission temporaire du CES sur les mutations de la société et les activités dominicales venait justifier cette prise de position. Le dimanche, affirme le rapport du CES, « constitue un repère symbolique qu’il convient de ne pas banaliser, tant il constitue un point d’ancrage stable pour la vie familiale et le lien social. » Le CES arrive à cette conclusion au terme d’une analyse très poussée. Des sociologues, des associations de consommateurs, des politiques, et des économistes y ont participé.

Le rapport du CES reprend une enquête de l’INSEE de 2005, laquelle précise que 30% des Français déclarent travailler le dimanche, de façon occasionnelle ou habituelle. « Sur 24,9 millions de personnes ayant un emploi, 7,4 millions déclarent travailler occasionnellement ou habituellement ce jour », dans les secteurs de la restauration, les hôpitaux, les musées, l’agriculture, ou encore les grandes surfaces, la sécurité. Faut-il pour autant en déduire que les salariés sont prêts à travailler le dimanche ? Un sondage de l’IFOP montre que seulement 26% des Français le désirent. Le passage aux 35 heures, pour ceux qui travaillent, n’a pas véritablement modifié le rapport au temps.

Le travail structure toujours autant la journée et la semaine, selon le rapport, surtout si l’on tient compte du temps de transports. Et en réalité, les salariés travaillent bien plus que 35 heures par semaine : « la législation sur les 35 heures conditionne, depuis les années 2000, l’équilibre des temps individuels et collectifs de notre société. On constate malgré tout que la durée hebdomadaire réellement travaillée par les salariés employés à temps plein, a finalement peu évolué pour se situer en 2006 à une moyenne de 41 heures 18 », souligne l’étude. Soit seulement 4 heures en moins qu’en 1974.

Un temps libre réservé au lien social

Le dimanche reste un jour réservé à la famille et aux amis. C’est la première occupation des Français, 56% d’entre eux d’après une enquête réalisée par Le Pèlerin. « Il est intéressant de constater que 50 % des personnes regardaient la télévision le dimanche en 1990, contre 41 % en mars 2006. S’occuper des enfants, aller au marché, faire des courses, ces activités restent aux mêmes rangs. La seule activité dont la place ait vraiment évolué est “s’occuper des enfants”, passée du rang 8 au rang 5. »

Le CES constate ainsi que si le dimanche n’est plus majoritairement un jour sacré, religieux, il est devenu un jour pour se ressourcer et rencontrer les autres. « Il autorise une variété d’usages, de rencontres, d’activités : des plus individuelles aux plus collectives dans lesquelles peuvent se combiner le “recentrement” (se reposer, se retrouver…), le partage (échanger, renforcer le lien familial, amical…), l’ouverture (sortir, se divertir…) mais aussi, pourquoi pas, le “rattrapage” (de certaines… tâches). » Que l’on soit jeune, retraité, père ou mère de famille, le dimanche représente la vie privée par opposition au reste de la semaine. Et ajoute le CES, « le choix d’activités dominicales travaillées est conditionné pour certains à la suffisance ou non des revenus. »

Un caddie à la place des loisirs

La société exprime cependant une demande constante pour plus de loisirs le dimanche, d’activités culturelles, sportives, de services. Ce qui est favorable au développement d’une économie du temps libre. La question est de pouvoir répondre à ces attentes sans pour autant contraindre des salariés. Mais à la place, on pousse les individus à la consommation, et on veut faire des centres commerciaux des lieux exclusifs de la vie sociale. « N’y a-t-il rien d’autre à offrir à ceux qui veulent découvrir le monde que de se résigner à pousser un caddie ? » interroge la CGT. Plus on cède à davantage d’offre d’activités, plus on génère de contraintes pour les salariés concernés et leur famille, plus on détricote le lien social. D’autant qu’il n’y a pas d’économistes sérieux pour affirmer qu’un élargissement de l’ouverture des commerces le dimanche aurait des répercussions positives sur le solde du nombre d’emplois ».

Si le CES est contre toute nouvelle dérogation de droit, comme vient de le faire le sénat pour l’ameublement, en revanche, il est favorable à 8 ouvertures dominicales (au lieu de 5) par an pour les commerces, notamment pendant les fêtes. A condition que ce soit sur la base du volontariat des salariés, à concilier, on ne sait pas trop comment, avec la mutation de la société de consommation en société de surconsommation.

Edith Poulbassia

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