Nous publions ici un article paru sur le blog Dalloz, dont nous ne partageons pas l’entièreté de la conclusion, mais néammoins intéressant.
Projets de levée de l’interdiction du travail le dimanche : prenons garde aux effets pervers
Notre code du travail pose actuellement un double principe, datant d’une loi de 1906, en matière de repos hebdomadaire. D’une part, il est interdit d’occuper plus de six jours par semaine un même salarié (art. L. 221-2 c. trav.) et, d’autre part, le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche (art. L. 221-5 c. trav.). La première de ces règles, instituée dans un souci d’assurer la protection de la santé du salarié, n’est plus sérieusement contestée depuis longtemps, mais il en va tout autrement de la seconde qui suscite de nos jours une véritable controverse.
La règle du repos dominical reposait à l’origine sur un assez large consensus car elle respectait à la fois la tradition religieuse et le souci du plus grand nombre de salariés d’être en repos le même jour que les autres. Par ailleurs, la loi a toujours admis les dérogations indispensables aux besoins vitaux de la population (notamment, dérogations de plein droit pour les établissements reconnus dans l’impossibilité d’interrompre leurs travaux, les industries traitant de matières rapidement périssables et les commerces alimentaires) même si ces dérogations peuvent être remises en cause par la faculté donnée aux préfets d’ordonner la fermeture de tous les établissements d’une région ou d’une profession (pour assurer l’égalité entre les commerçants employant des salariés et ceux travaillant seul).
Les dérogations à l’interdiction d’employer des salariés le dimanche sont devenues de plus en plus larges au fil du temps : les préfets peuvent autoriser le travail le dimanche, non seulement dans les établissements où le repos du personnel ce jour-là serait préjudiciable au public ou à l’établissement, mais aussi dans les commerces des zones touristiques et les maires peuvent autoriser les commerces de leur localité à déroger au repos dominical jusqu’à cinq dimanches par an.
Néanmoins ces dérogations ne satisfont plus aujourd’hui de nombreuses entreprises commerciales qui, autorisées ou non, ouvrent régulièrement leurs portes le dimanche, prétendant répondre ainsi à la demande de leur clientèle (et même de leurs salariés). Les tribunaux, administratif et judiciaires, ne se montrent pas prêts à entériner ces pratiques qui s’étendent cependant, avec le consentement de certains salariés, obtenu grâce à une majoration de leur salaire. Il est vrai que les poursuites judiciaires ne sont pas si fréquentes en cas de violation de repos hebdomadaire et que la sanction encourue (amende pénale de 1500 € par salarié concerné) n’est pas très dissuasive au regard des bénéfices obtenus.
Dans ce contexte, viennent d’être déposées sur le bureau du parlement deux propositions de loi visant à favoriser, l’une l’ouverture des commerces le dimanche (proposition « Bodin » déposée le 24 oct. 2007), l’autre le travail dominical dans le commerce (proposition « Maillé » déposée le 2 Août 2007). La première proposition consiste dans l’autorisation généralisée d’ouverture le dimanche pour toute entreprise commerciale de vente au détail, sous la seule réserve de la conclusion d’un accord collectif prévoyant l’attribution à chaque salarié volontaire pour travailler le dimanche d’un repos compensateur et d’une majoration de salaire. L’autre proposition vise à autoriser, dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants, le remplacement du repos hebdomadaire par un autre jour que le dimanche, sur la base du volontariat des salariés, lorsqu’un accord collectif a été conclu sur un site déterminé, prévoyant un repos compensateur pour les salariés.
Ces deux propositions sont motivées par deux arguments essentiels. Le premier est la demande des consommateurs qui serait attestée par plusieurs chiffres (les magasins ouverts le dimanche réalisent à cette occasion 30 % de leur chiffre d’affaires et les sondages établissent qu’une large majorité de Français est favorable à l’ouverture des commerces le dimanche). Le second est l’effet positif sur l’emploi : selon certaines estimations, la généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche pourrait permettre la création de 150 000 emplois. Que penser de ces arguments ? Celui relatif à la création d’emplois est des plus discutable. Toutes les études économiques sérieuses réalisées sur la question concluent à un nombre de créations d’emplois en réalité très marginal (même le rapport Artus-Cahuc-Zylberberg sur les relations entre la réglementation du temps de travail, les revenus et l’emploi, publié en mars 2007, conclu à la prudence sur ce point) et l’expérience nous à appris à ne pas prendre les promesses ou prévisions patronales en matière d’embauche pour argent comptant.
L’argument relatif à la défense des libertés est plus sérieux, même si derrière la défense des libertés des consommateurs on aperçoit clairement celle de la liberté de certains commerçants de pouvoir recourir à toute nouvelle technique de vente permettant d’accroître les bénéfices de leur entreprise. Il est exact, en effet, que les modes de vie ont considérablement évolué en quelques décennies et que nombre de Français, notamment en agglomération, même s’ils ne sont pas nécessairement majoritaires, sont désireux de pouvoir faire leurs courses le dimanche.
Cependant, le législateur doit-il automatiquement suivre cette évolution et lever toutes les barrières juridiques au travail des salariés du commerce le dimanche ? Une réponse positive nous parait loin d’être évidente en raison de nombreux problèmes que soulève cette levée d’interdiction.
D’abord, un pourcentage important de salariés, et aussi de petits commerçants, n’est pas prêt à travailler le dimanche (V. étude de la CGPME in Liaisons sociales, bref social du 22 déc. 2006) et la levée de l’interdiction risque de remettre en cause de façon accélérée l’équilibre entre les diverses formes de commerce. Surtout, il faut être conscient que l’éclatement du pôle de stabilité que constitue le rassemblement des jours de repos des salariés sur un même jour de la semaine, entraînera nécessairement des bouleversements difficiles à mesurer sur les modes de vie et sur l’organisation même de la société. Comme le soulignait le conseil économique et social dans un avis, rendu sur la question le 28 février 2007, « la question posée est celle du modèle de société auquel nous aspirons » ; il nous semble plus judicieux, plutôt que de jouer aux apprentis sorciers, d’opérer un simple toilettage du dispositif juridique sur le repos dominical, devenu aujourd’hui, il est vrai, extrêmement complexe, qui serait axé sur les quatre propositions formulées par l’avis précité du CES : supprimer la faculté pour les préfets de prendre des arrêtés de fermeture des commerces d’une profession ; prolongation jusqu’à 13 heures de l’ouverture dominicale des commerces de détail alimentaire ; conférer un caractère collectif à l’autorisation d’ouverture des commerces en zones touristiques (au lieu de l’autorisation établissement par établissement) ; transformer en dérogations de plein droit la dérogation des cinq dimanches.
L’histoire des relations sociales (même récente) nous apprend que mieux vaut souvent procéder à des réformes réfléchies et mesurées qu’à une révolution aux effets mal maîtrisables.
Marc Véricel<
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Professeur à l’Université de Saint-Etienne (CERCRID)