Ouvrir le dimanche, un plus pour l’économie ?
Deux économistes, tous deux dûment diplômés, s’expriment sur le repos dominical. Ils sont d’avis contraire sur l’impact économique de la suppression du repos dominical.
Une chose est sûre : M l’expert qui parle doctement de l’amélioration du bien-être des consommateurs n’a jamais mis les pieds à la Patte d’Oie d’Herblay un dimanche, on ne peut pas mettre un pied devant l’autre.
Deux articles publiés dans Le Monde économie, Déc 2007
CONTRE LE REPOS DOMINICAL : GILLES SAINT PAUL
Gilles Saint-Paul est professeur à l’Ecole d’économie de Toulouse depuis 2000. Il est membre du Conseil d’analyse économique depuis 2006. Il signe Innovation and Inequality (Princeton University Press, à paraître). Il a un site Internet, mais la qualité de ce site laisse plutôt supposer que M St Paul est fâché avec les nouvelles technos… |
Pour relancer l’économie, le gouvernement envisage de généraliser l’ouverture des commerces le dimanche. Est-ce une bonne piste ?
Oui. Elle permettrait de satisfaire ceux qui aimeraient faire leurs courses le dimanche et ceux qui voudraient travailler ce jour-là. Cela créerait des transactions qui ne pouvaient avoir lieu avant, et donc de l’activité.
Des économistes estiment que les achats du dimanche ne seraient que le résultat d’un transfert de ceux réalisés en semaine…
Si le dimanche, les consommateurs sont moins stressés, peut-être achèteront-ils plus parce que cela leur demandera moins de temps pour choisir, pour payer, etc.
L’augmentation de la consommation ne dépendrait donc pas que de l’accroissement du revenu ?
Tout le monde n’a pas un budget contraint et le taux d’épargne en France est assez élevé. Cette mesure aura un effet positif sur l’économie mais il est difficile de prévoir son ampleur.
Pourquoi les consommateurs ne piochent-ils pas déjà dans cette épargne ?
En cas d’ouverture le dimanche, certains ne modifieront pas leur comportement d’épargne. D’autres, qui travaillent toute la semaine et ne veulent pas faire de courses le samedi parce que les magasins sont bondés, ont des achats en attente, qui diminueront si les magasins sont ouverts le dimanche. Une étude de deux chercheurs américains, publiée en 2004, a montré que les restrictions à l’ouverture des commerces de détail aux Etats-Unis ont fait perdre, en moyenne, 2,5 % de l’emploi dans ce secteur.
Au final, l’ouverture du dimanche aura plusieurs effets : plus de ventes, des achats étalés sur l’ensemble de la semaine, et une croissance de l’emploi dans le secteur due à la baisse de productivité qui reflète l’existence de creux de fréquentation à certains horaires. Cela dit, le coût du travail étant relativement plus élevé en France qu’aux Etats-Unis, les entreprises feront en sorte que les effectifs présents soient très ajustés à l’affluence. L’augmentation des emplois sera donc moindre qu’outre-Atlantique. L’ouverture du dimanche sera aussi créatrice de bien-être puisque les magasins seront moins bondés. Un plus guère mesurable, pas visible dans les statistiques sur l’activité économique mais néanmoins appréciable.
Si le coût du travail augmente, si la productivité diminue même faiblement, les prix ne risquent-ils pas de grimper ?
Une légère hausse des prix peut survenir. C’est un peu la contre-partie à cette commodité de pouvoir accéder aux commerces le dimanche. De la même manière que l’épicier de quartier ouvert tard le soir, pratique des prix plus élevés. Si les magasins peuvent ouvrir le dimanche, les gens pressés feront leurs courses ce jour-là et paieront plus cher. Ceux qui ne sont pas pressés achèteront en semaine dans des commerces de hard-discount, qui ne seront peut-être pas ouverts le dimanche.
Et que feront ceux qui sont pressés et ont peu de moyens ?
Pour eux, la situation ne sera pas pire qu’actuellement, là où les magasins ne sont pas ouverts le dimanche.
Cela dit, il ne semble pas que des études aient été menées depuis celle de 1993, pour le Conseil économique et social…
Les études sont rares, en effet, sur ce sujet. Et aucune en France depuis 1993. Mais beaucoup d’économistes s’accordent à dire que l’Hexagone présente un gros déficit d’emplois dans le commerce de détail par rapport à d’autres pays qui, eux, sont déréglementés, notamment sur le plan des horaires d’ouverture et de la localisation des grandes surfaces. Il n’est pas certain que la pierre d’achoppement la plus importante porte sur l’ouverture le dimanche. On ne peut que le spéculer.
Certains experts estiment que cette mesure conduira à des destructions d’emplois dans le petit commerce. Qu’en pensez-vous ?
Ces magasins pourront, eux aussi, ouvrir le dimanche. Avec des employés que l’on connaît bien, on peut s’arranger, leur demander de faire des heures supplémentaires.
Un sondage indique que 75 % des salariés interrogés ne souhaitent pas travailler le dimanche…
Je me méfie des sondages. Tout dépend de la formulation de la question. En tout cas, selon moi, dans un pays qui compte deux millions de chômeurs et beaucoup d’étudiants qui souvent manquent de moyens, des gens sont prêts à travailler le dimanche, même à des salaires non majorés.
Pour le repos dominical : Mathieu Plane
Un article du MONDE ECONOMIE | 10.12.07 |
Mathieu Plane est économiste depuis 2000 à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), où il participe aux ouvrages de la collection « Repères » (La Découverte). Depuis 2004, il enseigne l’économie à l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées. Il a notamment écrit « Finances publiques 2008 : la France différente », dans la Lettre de l’OFCE (décembre 2007). |
Le gouvernement envisage d’autoriser l’ouverture dominicale des commerces de détail. Selon vous, cette mesure doperait-elle l’économie ?
Non. A court terme, la généralisation de l’ouverture des magasins le dimanche détruira de l’emploi, et aura un effet nul, voire négatif sur la croissance. A plus long terme, on pourrait observer un effet légèrement positif sur la croissance mais un effet nul pour l’emploi.
Pourquoi êtes-vous si pessimiste ?
La consommation des ménages dépend de leur revenu. Ouvrir le dimanche ne changera rien à la consommation parce qu’il n’y aura pas de surplus de revenu. Cela ne modifiera pas non plus l
es comportements d’épargne : sans augmentation des revenus, vous consommez la même quantité, éventuellement en différant vos achats à un autre jour.
Moins stressés qu’en semaine, certains consommateurs ne pourraient-ils pas craquer plus facilement, le dimanche, sur un achat non prévu ?
L’achat d’impulsion pourrait être favorisé. Mais ces dépenses se substitueront à d’autres qui, elles, étaient prévues : une sortie, un dîner au restaurant, etc. On constate ce phénomène avec l’e-commerce, qui a gagné des parts de marché sur le commerce traditionnel, mais sans modifier le comportement d’épargne des ménages, alors que l’e-commerce est accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
Pour ouvrir le dimanche, les commerces vont devoir recruter…
En réalité, les grandes surfaces, dotées d’effectifs nombreux, pourront plus facilement fonctionner le dimanche, grâce à la rotation de leur personnel, que les petits commerces qui ont peu de salariés. Ces derniers n’ouvriront donc pas ce jour-là. Comme la consommation n’augmentera pas mais qu’en revanche cette ouverture provoquera un surcoût notamment salarial, celui-ci devra être compensé par une hausse du chiffre d’affaires. Ce qui obligera les grandes surfaces à gagner des parts de marché sur le petit commerce. Résultat : dans les grandes surfaces, la hausse du chiffre d’affaires va permettre de créer des emplois, mais en détruira chez les petits commerçants. La productivité y étant deux fois plus faible que dans les grandes surfaces, on observera plus de destructions d’emplois que de créations. Soit, au final, une diminution nette d’emplois, à court terme.
Pourquoi pensez-vous qu’à plus long terme, ce sera moins négatif ?
Cette reconfiguration va conduire, à plus long terme, à une hausse globale de la productivité dans le commerce en général, associée, théoriquement, à des salaires meilleurs pour les employés travaillant le dimanche – qui vont donc consommer plus – et à une baisse des prix. Au total, ces éléments peuvent augmenter le pouvoir d’achat et donc la consommation et l’activité, ce qui viendra compenser les négatifs des destructions d’emplois.
Alors finalement, l’ouverture dominicale n’est pas une si mauvaise mesure…
A long terme, effectivement, mais il faudra gérer cette nouvelle répartition de l’emploi dans le secteur ainsi que la fermeture de petits commerces. Cette mesure s’avère par ailleurs inégalitaire socialement. Elle favorisera les personnes jeunes, mobiles, résidant dans des grandes villes, qui pourront plus facilement accéder à une zone commerciale ouverte le dimanche que les habitants des petites communes, des espaces ruraux, ou les personnes âgées guère mobiles qui risquent de ne plus pouvoir profiter de leurs commerces de proximité. Toute la population n’a pas le même intérêt dans cette affaire. Selon un sondage IFOP de 2006, 56 % des personnes interrogées ont une opinion favorable sur l’ouverture le dimanche ; ce taux grimpait à 75 % chez les Franciliens. Je note par ailleurs que 75 % des salariés interrogés disaient ne pas vouloir travailler le dimanche.
Combien de personnes travaillent déjà le dimanche, grâce à diverses dérogations ?
En 2004, l’Insee indiquait que 3,4 millions des personnes déclaraient travailler habituellement le dimanche. C’est beaucoup. Entre ceux qui travaillent déjà le dimanche et ceux qui ne désirent pas le faire, les marges de manoeuvre sont très faibles. Ou alors des incitations très fortes en termes de salaires ou de jours de récupération devront être proposées.
Existe-t-il des études récentes sur l’impact économique de l’ouverture dominicale des commerces ?
Aucune n’a été réalisée depuis celle de 1993, pour le Conseil économique et social, qui ne tranchait pas sur les effets, ceux-ci dépendant du scénario retenu.
Propos recueillis par Francine Aizicovici
A la gauche de Gizmo, Mathieu Plane. A sa droite, Gilles Saint-Paul. Lequel a obtenu le prix Yrjö Jahnsson 2007 du meilleur économiste de moins de 45 ans ? Du meilleur pilier de bar ?
Pour répondre à Alexandre (et un peu à Markss dans la cbox), la question n’est pas de savoir qui a tort ou raison, mais la qualité de l’argumentation économique. La pauvreté des arguments économiques avancés par Gilles Saint-Paul est confondante.
« Si le dimanche, les consommateurs sont moins stressés, peut-être achèteront-ils plus parce que cela leur demandera moins de temps pour choisir, pour payer, etc. » Pourquoi les consommateurs seraient-ils moins stressés le dimanche ? Achète-t-on plus parce qu’on a plus de temps pour choisir ? GSP s’appuie-t-il sur des études de psychologie pour étayer son argument sur la relation entre temps, stress et consommation ?
« D’autres, qui travaillent toute la semaine et ne veulent pas faire de courses le samedi parce que les magasins sont bondés, ont des achats en attente, qui diminueront si les magasins sont ouverts le dimanche ». Pourquoi les magasins ne deviendraient-ils pas bondés le dimanche, si les consommateurs effectivement stressés en semaine reportent leurs achats le dimanche ?
« Une légère hausse des prix peut survenir. C’est un peu la contrepartie à cette commodité de pouvoir accéder aux commerces le dimanche. De la même manière que l’épicier de quartier ouvert tard le soir, pratique des prix plus élevés. Si les magasins peuvent ouvrir le dimanche, les gens pressés feront leurs courses ce jour-là et paieront plus cher. » Effectivement, on peut considérer que l’ouverture extensive de l’épicier de quartier se paie, pour le service rendu, sous la forme d’une augmentation des prix. Mais cette augmentation est indifférenciée quel que soit le jour où on fait ses achats. GSP suppose-t-il que les acheteurs du dimanche paieront plus cher que les autres jours ?
« Ces magasins [les petits commerces] pourront, eux aussi, ouvrir le dimanche. Avec des employés que l’on connaît bien, on peut s’arranger, leur demander de faire des heures supplémentaires. » Parce que l’on ne connaît pas ses employés dans la grande distribution ? Parce que la protection des travailleurs est moins garantie dans les petits commerces ? On pourrait d’ailleurs renverser l’argument : parce que j’ai des liens plus personnels avec mes employés, je peux avoir des réticences à leur imposer l’ouverture le dimanche, surtout si je sais que je n’ai pas les moyens de les rémunérer plus.
« En tout cas, selon moi, dans un pays qui compte deux millions de chômeurs et beaucoup d’étudiants qui souvent manquent de moyens, des gens sont prêts à travailler le dimanche, même à des salaires non majorés ». Parce qu’il vaut mieux que des chômeurs acceptent de travailler à des salaires non majorés le dimanche ? Parce qu’il vaut mieux que les étudiants travaillent le dimanche, plutôt que leurs études soient financées par des bourses décentes ?
Désolée, Gizmo préfère l’argumentation de Mathieu Plane, plus économique, plus étayée et plus nuancée. Mais elle a sûrement tort.