« Les gens grognent »
J-C Mailly interviewé par JJ Bourdin
La rédaction – Bourdin & Co – RMC, le 19/12/2007
J-C M : Mais nous ne sommes pas d’accord. Dans l’ameublement on était en train de négocier un protocole d’accord et on en était presque arrivé à la fin de cette négociation. Ce qu’a fait le Sénat fait qu’il n’y a pas eu d’accord, puisque maintenant les ameublements vont pouvoir ouvrir tous les dimanches, ça veut dire qu’il y avait une négociation qui était en cours avec une grande enseigne et elle est tombée à l’eau cette négociation puisqu’il y a eu cet amendement parlementaire.
J-J B : Vous allez perdre un peu d’argent dans
J-C M : Non. On ne peut pas être hors la loi. C’est une négociation qui prévoyait de limiter les jours d’ouverture le dimanche donc elle est vraiment tombée à l’eau. Ce que je veux dire c’est qu’il faut bien comprendre qu’on va vers un système qui banalise le travail le dimanche.
J-J B : Mais ceux qui ont envie de travailler le dimanche ou qui en ont besoin ? Pourquoi ça vous gêne autant le travail le dimanche ?
J-C M : Pour deux raisons : parce que la volonté première c’est de le banaliser, demain ce sera comme en Italie, ça veut dire que le travail le dimanche est banalisé et qu’il est payé comme un autre jour. Aujourd’hui il est payé plus parce qu’il est dérogatoire mais le jour où c’est banalisé, ceux qui travailleront le dimanche seront payés comme un autre jour. Deuxième élément dans cette affaire, ce n’est pas simplement le commerce : vous aurez des centres commerciaux où vous aurez le commerce, ou vous aurez l’assurance, la banque…Tout le monde ouvrira le dimanche. Troisième élément : est-ce qu’au-delà du travail il y a aussi un problème de société, est ce qu’on doit pas essayer de conserver une journée où on peut se retrouver les uns et les autres, comme on veut, dans la vie privée. Si tout le monde travaille tous les jours c’est un phénomène de désocialisation d’une certaine manière. Et je dis aussi que le Gouvernement est contradictoire : ils nous disent que c’est bien parce que les enfants n’auront plus école le samedi matin et qu’ils pourront voir leurs parents, mais si les parents on veut, dans la vie privée. Si tout le monde travaille tous les jours c’est un phénomène de désocialisation d’une certaine manière. Et je dis aussi que le Gouvernement est contradictoire : ils nous disent que c’est bien parce que les enfants n’auront plus école le samedi matin et qu’ils pourront voir leurs parents, mais si les parents travaillent le dimanche, où est l’intérêt ?
« Les gens grognent »
J-C M : Oui, parce que ça fait maintenant plusieurs mois que les organisations de fonctionnaires réclament une ouverture de négociation avec le Gouvernement.
J-J B : Sur les salaires ?
J-C M : Oui sur les salaires mais il y a d’autres thèmes, en l’occurrence sur les salaires. Il a fallu attendre le 17 décembre, quasiment la fin de l’année pour avoir une première réunion et tout le monde est sorti déçu de cette réunion puisqu’il n’y a rien qui est mis sur la table par le Gouvernement. A partir de là, les fédérations de fonctionnaires ont donc décidé de faire grève.
J-J B : Mais à quoi ça sert vos grèves ? On se demande à quoi elles servent puisque le Gouvernement continu, Nicolas Sarkozy veut réformer, il veut imposer ses choix…
J-C M : Ça veut dire, quand il y a une grève et qu’elle est suivie, qu’il y a un mécontentement. Ce n’est pas forcément une journée de grève qui débloque une situation, mais l’accumulation de mécontentements.
J-J B : Vous sentez qu’il y a accumulation de mécontentements ?
J-C M : Oui, mais je ne suis pas en train de vous dire que tout va exploser, mais je sens qu’il y a un vrai mécontentement, notamment sur la question du pouvoir d’achat, et pas simplement dans la fonction publique d’ailleurs. C’est aussi valable dans le privé. Les gens grognent. A partir du moment où le Président de
J-J B : Fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière, est ce que l’Etat va payer les heures supplémentaires, est ce qu’il va appliquer la loi ?
J-C M : Je n’en sais rien pour le moment. Si par exemple vous prenez l’hôpital public, où il y a plusieurs millions d’heures supplémentaires stockées, il dit qu’il va les payer mais je me demande comment il va faire puisqu’il parait qu’il n’y a plus d’argent. Donc les hospitaliers, toutes catégories confondues, ont tous accumulé des heures supplémentaires et si le Gouvernement veut les payer, il faut qu’il nous explique comment il va le faire et sur combien de temps.
J-J B : Regardons aussi ce que veulent les salariés. Prenons l’exemple de Continental, les pneus à Sarreguemines, 1300 salariés qui ont voté et la majorité ont décidé de travailler 40 heures en échange de paiements de jours de RTT et de paiements d’heures supp
lémentaires.
J-C M : Moi je pose la question de savoir est ce qu’ils ont le choix ? Qu’est ce qui s’est passé dans l’entreprise ? Si vous dites à quelqu’un, dans une région qui est déjà durement touchée par le chômage, ou vous acceptez ça ou on délocalise voire dans deux ans on n’existe plus. Dans ce cas là je n’appelle pas ça un choix, j’appelle ça essayer de sauver ma peau, essayer de sauver mon boulot. Parce que je n’ai pas le détail, mais si j’ai bien compris, ils vont travailler 40 heures donc 14% de plus, ça fait 14% d’augmentation de la durée du travail et ils vont être payés 6% de plus. Donc je dis qu’ils n’ont pas le choix, ce n’est pas un choix qui leur est offert, c’est de dire ça ou la porte, d’une certaine manière. Continental ce n’est pas la petite PME du coin qui a effectivement de grosses difficultés et qui peut fermer, c’est un groupe. Continental explique que par les délocalisations il y a du coût du travail ailleurs qui est beaucoup plus faible donc il faut que vous vous adaptiez, il faut que vous baissiez la tête, ça revient à ça, il y a eu ce problème là déjà dans d’autres entreprises.
J-J B : Il y a des salariés qui ont envie de travailler plus ?
J-C M : Non, ils ont surtout envie de gagner plus. Quand vous êtes étranglé financièrement, il y a une sorte de chantage à l’emploi dans ce dossier.
J-J B : Aujourd’hui, en France, il y a vraiment un chantage à l’emploi ?
J-C M : Dans le cas présent oui. Pour l’exemple Continental oui. C’est si vous n’acceptez pas cet effort de sacrifice, c’est votre emploi qui est menacé. Si vous perdez votre emploi Continental vous n’êtes pas sûr d’en retrouver.
J-J B : Le paiement des RTT, vous y êtes favorable ou pas ?
J-C M : A condition que ce paiement soit encadré parce que là aussi c’est toujours pareil. Sur pas mal de dossiers le Gouvernement avance masqué. Sur les jours de RTT, il faut les encadrer. Les jours de RTT sont des jours qui permettent de respirer. Si demain, parce qu’ils ne gagnent pas assez, ils font payer leurs jours de RTT, c’est la santé au travail qui à un moment donné va être compromise.
J-J B : Est-ce que vous êtes favorable à l’idée de prolonger la possibilité de monétiser ces jours de RTT jusqu’en juin 2008 comme le proposent des députés UMP ?
J-C M : On ne peu pas traiter de la question du pouvoir d’achat uniquement avec un slogan qui est de dire ou vous travaillez plus ou vous attendez que les prix baissent. On ne peut pas évacuer le débat sur l’augmentation des salaires.
J-J B : Aujourd’hui l’Etat se défausse et ne veut pas aborder selon vous le problème de l’augmentation des salaires ?
J-C M : Bien sûr. La logique c’est de contraindre les gens à travailler plus longtemps, y compris d’ailleurs avec le projet de remettre en cause la durée légale du travail, en leur disant que comme ça ils gagneront un peu plus. Mais poser la question de la négociation salariale…Pourquoi par exemple le Gouvernement ne décide pas d’un coup de pouce au SMIC au 1er janvier.
J-J B : Vous le demandez ce coup de pouce ?
J-C M : Bien sûr que nous le demandons mais pour l’instant je vous accorde que nous n’avons pas de succès.
J-J B : Et vous demandez quoi comme coup de pouce ?
J-C M : Un petit coup de pouce, je ne veux même pas chiffrer.
J-J B : Mais les salaires qui sont au-dessus, juste au-dessus du SMIC ?
J-C M : Ca suppose qu’on négocie l’ensemble des grilles. Il y a un débat qui va être intéressant, qu’on ne va pas trancher aujourd’hui et nous le demandons : c’est conditionner les exonérations de cotisations sociales à la question salariale. Ça ne sera pas trancher tout de suite.
J-J B : Le Gouvernement s’y est engagé ?
J-C M : Mais il y a beaucoup de choses qui sont renvoyés en avril, qui ne sont pas traitées aujourd’hui.
J-J B : Vous avez rendez-vous à l’Elysée ?
J-C M : Oui.
J-J B : Une conférence sociale c’est quoi, c’est pour examiner le calendrier social de 2008 c’est ça ?
J-C M : Oui un calendrier. Il peut toujours y avoir des nouveaux sujets qui viennent sur la table.
J-J B : Qu’est ce que vous allez dire ?
J-C M : Le Président de
J-J B : Temps de travail, rémunération, allégement de charge, négociation salariale, travail dominical…
J-C M : Travail dominical ce n’est pas dans la lettre. Mais j’en parlerai puisqu’on y est opposé. J’ajouterais aussi le pouvoir d’achat, le service public également et après on va faire la distinction entre ce qui relève de la négociation et ce qui relève de la consultation avec les pouvoirs publics. Par exemple sur la négociation il y a trois thèmes pour nous : il y a la négociation en cours sur le marché du travail, la négociation sur la représentativité et le dialogue social de financement et la négociation sur la formation professionnelle. Le reste ça relève des discussions avec les pouvoirs publics.
J-J B : Parce qu’on a l’impression que vous avez rendez-vous en permanence avec le patronat, avec le Gouvernement, avec le Premier Ministre et même avec le Président de
J-C M : Qu’il y ait des contacts c’est très bien, personne ne s’en plaint. L’important c’est quand les contacts débouchent positivement par rapport à ce qu’on souhaite. Ce n’est pas parce qu’on se voit que ça marche bien.
J-J B : Ou en êtes vous sur le contrat de travail ?
J-C M : La négociation avec le patronat coince pour le moment, notamment sur l’histoire du contrat de travail. Il faut savoir ce qu’on veut. Nous sommes pragmatiques, nous disons qu’il faut sécuriser le salarié et l’employeur et réduire les délais quand c’est du licenciement de caractère personnel et individuel. Nous avons fait des propositions que nous avons mises sur la table : on a proposé un licenciement transactionnel homologué.
J-J B : Ça veut dire quoi ça ?
J-C M : Ça veut dire que si un salarié et un employeur veulent se séparer, c’est un licenciement, mais tout de suite à la clé, il y a une transaction. S’ils sont d’accord, ils se mettent d’accord sur la transaction, une fois qu’ils se sont mis d’accord, on fait homologuer cette transaction par les Prud’Hommes. Ça peut aller très vite. Je considère avec ça que l’on a fait un grand pas. Mais apparemment le patronat ne veut plus de juge. C’est un objet juridique non identifié si je puis dire, où il n’y a plus de recours au juge, ce n’est pas du licenciement c’est une autre formule, qui serait très destructrice de droit pour les salariés. Ce n’est pas simplement de sécuriser l’employeur, il faut aussi sécuriser le salarié. Une négociation c’est un équilibre, et pour le moment ça coince la dessus.
J-J B : Est-ce qu’il faut donne
r plus de flexibilité à l’employeur ?
J-C M : Il y en a de la flexibilité dans les entreprises. C’est pouvoir, si un salarié et un employeur veulent se séparer, régler ce problème de manière sécurisée, pour l’un comme pour l’autre et le régler rapidement.
J-J B : Et ça coince la dessus ?
J-C M : Oui parce qu’ils ne veulent pas entendre parler pour le moment de licenciement, on a l’impression que c’est devenu un gros mot. Mais ça peut être un licenciement transactionnel et c’est ce que nous proposons et je considère que c’est une avancée.
J-J B : Laurence Parisot parle de séparation à l’amiable…
J-C M : On est dans le code du travail, on n’est pas dans le code civil. S’il y a un code du travail c’est pour rétablir et garantir certains droits. Donc on est d’accord pour que les choses se passent plus rapidement, qu’elles se passent le plus simplement possible mais avec des garanties. On a donc proposé un système : s’ils l’acceptent tant mieux et sinon tant pis.
J-J B : Les petites retraites : j’entends beaucoup les « petits retraités » se plaindre et nous dire qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils ne peuvent plus vivre avec 700 ou 800 euros par mois. Qu’est ce que vous demandez au Gouvernement ?
J-C M : On demande qu’il y ait une revalorisation des retraites plus fortes que prévue.
J-J B : 1,1% au 1er janvier…
J-C M : Oui mais parce qu’ils considèrent que l’année dernière les retraités ont eu 0,5 de trop perçu par rapport à un indice prévisionnel. Donc là ils disent qu’ils vont leur reprendre 0,5. L’indice officiel de prévision de l’inflation en 2008 pour le Gouvernement c’est 1,6 donc en leur reprenant 0,5, ils leur restera 1,1. Mais ça ne marche pas et on soutient bien entendu les retraités, et le minimum c’est quand même qu’ils aient une revalorisation des retraites au minimum de l’indice prévisionnel, c’est-à-dire 1,6. Pour le moment le Gouvernement reste braqué sur 1,1.
J-J B : La aussi vous aller en parler ?
J-C M : On va le dire cet après midi mais je l’ai déjà dit d’ailleurs, à la fois au Président de
J-J B : Une dernière question sur le travail le dimanche : Laurence Parisot est favorable à l’ouverture des grandes surfaces huit ou dix dimanches de plus par an, ce qui porterait à quinze le nombre annuel d’ouvertures autorisées. J’ai vu que les magasins d’ameublements vont pouvoir ouvrir le dimanche. Ça y est, la brèche est ouverte là vraiment et totalement…
J-C M : Mais nous ne sommes pas d’accord. Dans l’ameublement on était en train de négocier un protocole d’accord et on en était presque arrivé à la fin de cette négociation. Ce qu’a fait le Sénat fait qu’il n’y a pas eu d’accord, puisque maintenant les ameublements vont pouvoir ouvrir tous les dimanches, ça veut dire qu’il y avait une négociation qui était en cours avec une grande enseigne et elle est tombée à l’eau cette négociation puisqu’il y a eu cet amendement parlementaire.
J-J B : Vous allez perdre un peu d’argent dans
J-C M : Non. On ne peut pas être hors la loi. C’est une négociation qui prévoyait de limiter les jours d’ouverture le dimanche donc elle est vraiment tombée à l’eau. Ce que je veux dire c’est qu’il faut bien comprendre qu’on va vers un système qui banalise le travail le dimanche.
J-J B : Mais ceux qui ont envie de travailler le dimanche ou qui en ont besoin ? Pourquoi ça vous gêne autant le travail le dimanche ?
J-C M : Pour deux raisons : parce que la volonté première c’est de le banaliser, demain ce sera comme en Italie, ça veut dire que le travail le dimanche est banalisé et qu’il est payé comme un autre jour. Aujourd’hui il est payé plus parce qu’il est dérogatoire mais le jour où c’est banalisé, ceux qui travailleront le dimanche seront payés comme un autre jour. Deuxième élément dans cette affaire, ce n’est pas simplement le commerce : vous aurez des centres commerciaux où vous aurez le commerce, ou vous aurez l’assurance, la banque…Tout le monde ouvrira le dimanche. Troisième élément : est-ce qu’au-delà du travail il y a aussi un problème de société, est ce qu’on doit pas essayer de conserver une journée où on peut se retrouver les uns et les autres, comme on veut, dans la vie privée. Si tout le monde travaille tous les jours c’est un phénomène de désocialisation d’une certaine manière. Et je dis aussi que le Gouvernement est contradictoire : ils nous disent que c’est bien parce que les enfants n’auront plus école le samedi matin et qu’ils pourront voir leurs parents, mais si les parents travaillent le dimanche, où est l’intérêt ?