Comment le gouvernement a-t-il réussi ce tour de force de faire voter un amendement au repos dominical qui porte sur les relations du travail sans respecter aucune des obligations que la Loi qu’il a fait voter lui impose ?
En effet, depuis la loi sur le dialogue social, elle-même issue de la crise du CPE, le gouvernement avait légiféré en s’obligeant, pour toute réforme du code du travail, à entreprendre préalablement un dialogue avec les partenaires sociaux.
Il s’agissait d’un gage de bonne foi donné par le gouvernement, au moins en apparence…
Maître Lecourt démonte ici (sur le lien Lire la suite) la mécanique subtile par lequel le gouvernement réalise le tour de passe-passe consistant à détourner la loi qu’il a lui même voté, au profit d’un amendement commandé par les enseignes immobilières.
LOI no 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social
(Extrait inséré au Code du Travail)
« TITRE PRÉLIMINAIRE
« DIALOGUE SOCIAL
« CHAPITRE UNIQUE
« Procédures de concertation, de consultation et d’information
« Art. L. 101-1. − Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation.
« A cet effet, le Gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.
« Lorsqu’elles font connaître leur intention d’engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu’elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.
« Le présent article n’est pas applicable en cas d’urgence. Lorsque le Gouvernement décide de mettre en oeuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations mentionnées ci-dessus en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence. »
Comment le gouvernement a-t-il réussi ce tour de force de faire voter un amendement au repos dominical qui porte sur les relations du travail sans respecter aucune des obligations que la Loi qu’il a fait voter lui impose ?
C’est pourtant une Loi votée en ce début d’année, le 31 janvier 2007, sur le constat des échecs de différentes réformes (celle du CPE et celle des 35 heures sont données à titre d’exemple : une dans chaque camp pour ne fâcher personne).
Elle était destinée à rassurer les organisations syndicales sur les manières de conduire la Réforme en France. Il s’agit d’un gage de bonne foi qui leur a été donné permettant de privilégier le dialogue social sur le coup de force. L’exposé des motifs est précis. Ne plus perdre de temps en voulant en gagner, privilégier la concertation…
Ce texte est donc clair : dans le futur, les organisations syndicales, tant patronales que de salariés, seront obligatoirement consultées avant d’engager une réforme. Le champ visé est large : les relations individuelles et collectives. Un texte moderne.
Il doit s’appliquer au repos dominical. Il a donc été placé à l’agenda social et le thème doit figurer dans la conférence sociale qui s’ouvre le 19 décembre prochain. Les partenaires sociaux devraient donc fixer les dates de négociation dans un agenda social chargé
Pourquoi la colère exprimée par les partenaires sociaux ?
Comment le gouvernement a t-il fait pour faire voter par le sénat un texte qui ne respecte pas la procédure de dialogue social imposée par la Loi.
Le gouvernement a utilisé une recette simple et efficace, le détournement de pouvoir et l’artifice.
Le nouveau texte sur le dialogue social prévoit en réalité deux catégories d’exceptions qui montrent les limites de la Loi.
La première résulte du texte. La seconde est plus pateline. Le gouvernement a utilisé la combinaison des deux pour parvenir à un résultat commandé par les enseignes de l’ameublement.
1 – l’urgence
Cette première exception est simple et se comprend parfaitement : il s’agit de l’urgence :
Le texte prévoit une procédure pour faire face à l’urgence dans son dernier alinéa.
Lorsqu’il serait nécessaire d’aller vite, le Gouvernement retrouve la possibilité de se saisir de la situation pour demander au Parlement de légiférer immédiatement.
L’urgence est donc une exception entendue strictement. Les débats parlementaires sont éclairants sur ce point. Ils ont entendu les réticences syndicales de faire de cette exception la règle
L’Assemblée Nationale a cependant prévu au minimum une forme de garantie : la notification aux partenaires sociaux de cette intention et de faire connaître les motifs de celle-ci
Voici l’extrait du rapport de Madame le Sénateur Procaccia (p.18) lorsqu’elle a présenté le projet de Loi au Sénat après le vote par l’Assemblée Nationale.
« Plusieurs organisations se sont inquiétées de possibles dérives dans l’utilisation de la dérogation ouverte par le texte en cas d’urgence, qui permet de ne pas appliquer la procédure préalable de concertation. L’Assemblée nationale a tenu compte de leurs observations et a adopté, lors de l’examen du texte en première lecture, un amendement imposant au Gouvernement de motiver et de faire connaître aux partenaires sociaux sa décision de recourir à l’urgence. »
Je rappelle que Madame P
rocaccia figure parmi les orateurs dans le débat sur l’amendement « ameublement » et qu’elle a pourtant voté l’amendement présenté par sa collègue, preuve qu’elle sait de quoi elle parle, quand elle a validé ce recours à l’urgence…
La difficulté, c’est qu’il ne semble pas que le gouvernement ait justifié de cette urgence.
Il faut avouer qu’elle est un peu difficile à entendre puisqu’il s’agit de la fermeture d’enseignes qui violent la Loi en vigueur et à qui il a été demandé de la respecter par des moyens on ne peut plus légaux, une amende civile (astreinte).
Il pourrait donc y avoir un débat sur l’urgence et il est assez certain que le gouvernement risque de le perdre. Les Sénateurs de l’opposition ont insisté sur ce point en déclarant que le Parlement n’avait pas pour rôle de légaliser des pratiques illicites…
Tout le monde l’a compris.
Des intérêts particuliers de quelques enseignes non dépourvues de moyens, dans tous les sens du terme, ne sauraient suffire à satisfaire à cette condition.
Peut-on cependant, sur le constat de l’absence d’urgence, en faire le reproche au gouvernement ? D’un point de vue moral sans doute. D’un point de vue juridique, ce sera possible mais plus dur, du fait de la deuxième exception qui ne ressort pas du texte.
2 – Le gouvernement s’est fixé des limites, pas les parlementaires :
Le seul souci procédural que nous pourrions avoir avant de faire un reproche au gouvernement sur la violation de la Loi du 31 janvier 2007, c’est que l’amendement est déposé par une Sénatrice, Madame Isabelle Debré, rejointe par ses joyeux camarades du groupe parlementaire UMP du Sénat.
C’est officiellement une proposition de cette dernière, ce que l’on appelle une initiative parlementaire. Elle ne participe donc pas à proprement parler du gouvernement.
Je cite de nouveau le rapport de Madame Procaccia sur la Loi du 31 janvier 2007 (p.24)
« Par ailleurs, la procédure de concertation ne s’applique qu’aux projets envisagés par le Gouvernement et ne concerne donc pas les réformes engagées par les parlementaires : une proposition de loi ou un amendement pourront toujours être déposés sans délai. »
Pour autant personne ne saurait être dupe de cette mascarade, certainement pas les médias qui ont interrogé l’entourage de Luc Châtel qui disait qu’il s’agissait d’un amendement pour parer au plus pressé. Cet amendement a été déposé le 10 mais était annoncé dans le JDD de la semaine précédente.
C’est donc clairement une commande du gouvernement mais celui-ci n’apparaît plus sur le papier puisqu’il s’agit d’un amendement parlementaire échappant à ce texte.
Voilà comment, en un tour de passe-passe que l’on pourrait qualifier de détournement de procédure, le gouvernement pense s’être mis à l’abri, d’un strict point de vue juridique, de la critique.
Cela permet à Monsieur Châtel une intervention en séance pour soutenir cet amendement parlementaire qu’il a pourtant initié.
A l’abri, il ne l’est pas.
Il y a beaucoup de traces laissées par cette manœuvre. Les sénateurs de l’opposition ne s’y sont pas trompés dans leurs interventions dont on sait pourtant qu’elles sont feutrées au Sénat.
S’est-il mis à l’abri de la critique morale ? Je ne le pense pas davantage. Personne ne saurait être dupe de ce qui vient de se passer et la presse s’est largement fait l’écho de ce qu’il a reçu les délégations des grandes enseignes de l’ameublement.
Ce qui est navrant, c’est qu’il est difficile dans ces conditions de faire confiance aux parlementaires pour avoir un débat de fond sur une telle question qui engage la société dans des choix profonds et difficilement réversibles.
Le Parlement doit défendre l’intérêt général sur les intérêts particuliers car il engage la société.
Je ne veux pas être polémique sur l’issue du débat. J’espère qu’il sera simplement honnête et respectueux comme le sont les débats devant les tribunaux où chacun des acteurs respecte les règles qui lui sont imposées avant de laisser au juge la possibilité de rendre son arbitrage.
Il reste à voir si la Commission Mixte Paritaire qui se réunira jeudi prochain parviendra à éviter ce détournement de procédure et si elle viendra marquer du sceau de la Loi, la violation de l’objectif de celle votée début 2007 et des comportements illicites des enseignes concernées.
Maître Vincent Lecourt