Les parlementaires sont en ce moment victimes d’une curieuse épidémie. De manière particulièrement synchrone, il pleut des propositions de Loi sur le repos dominical. Chacun y va subitement de son idée. Chacun souhaite apporter ses lumières et ses convictions nouvelles ou anciennes.
Il faut dire que les enseignes se sont mobilisées et font un lobbying particulièrement actif. Elles ne s’en cachent d’ailleurs pas sur le département du Val d’Oise puisqu’elles ont adressé des courriers aux parlementaires, tenu une conférence de presse et, pour certaines, ont été reçues par Monsieur CHATEL et Madame LAGARDE.
Non que l’offensive des syndicats pour faire respecter la Loi soit récente. Simplement les résultats obtenus concernant les astreintes dissuasives commencent à poser des problèmes de plus en plus difficiles à surmonter, la Loi étant dépourvue de toute ambiguïté et les magistrats sans doute plus soucieux de la faire respecter que l’exécutif.
Il leur est donc devenu nécessaire d’obtenir la modification d’une Loi qui, autrement, ne leur posait pas la moindre difficulté.
La bafouer ne leur posait aucun problème de conscience…
Ce qui est moins normal, c’est que les arguments repris sont ceux développés par les grandes enseignes, au risque d’oublier les arguments des partisans du repos dominical, le rapport du Conseil Economique et Social qui n’est pourtant pas vieux, la totalité des sondages, les voix qui s’élèvent dans toutes les sphères de la société.
Un article à lire absolument.
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La proposition de loi 326
La dernière proposition de Loi en date porte le n°326 et elle a été déposée le 24 octobre 2007 par un petit groupe de parlementaires UMP.
Parmi eux figurent différents membres de la commission des Lois, le vice président de l’Assemblée Nationale. Ils demandent la libéralisation de la règle pour les entreprises commerciales de vente au détail.
L’exposé des motifs de cette Loi, c’est-à-dire les mobiles de ces parlementaires sont les suivants :
« À l’heure du commerce en ligne qui connaît un développement exponentiel et qui fonctionne en continu, et alors que 72 % des franciliens ont exprimé leur souhait de voir l’ouverture dominicale des commerces se généraliser, on peut se poser la question sur l’opportunité de maintenir en l’état des dispositions législatives datant de 1906.
Cette situation apparaît en totale contradiction avec les aspirations de nos concitoyens et l’évolution des modes de vie.
En instaurant la liberté du commerce le dimanche, c’est la liberté du consommateur qui serait, par la même occasion, défendue. Il n’est en effet pas logique de fermer les commerces au moment où les salariés disposent de temps pour faire tranquillement leurs achats en famille.
De surcroît, les commerces ouverts le dimanche réalisent entre un quart et un tiers de leur chiffre d’affaires sur cette journée, conduisant ainsi certains magasins à ouvrir en toute illégalité au risque d’avoir à payer une amende qui sera en tout état de cause compensée par cette augmentation du chiffre d’affaires.
Enfin, en termes d’emplois, on estime à 150 000 le nombre d’emplois qui pourraient être créés par une simple généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche. Beaucoup de nos concitoyens, notamment les étudiants, revendiquent le droit de travailler le dimanche en raison des avantages et contreparties financières liés à l’exercice d’une activité salariée ce jour.
Il est donc proposé d’introduire dans le code du travail une dérogation générale au principe de l’obligation du repos dominical en faveur des entreprises commerciales de vente au détail.
Un assouplissement de la législation ne doit cependant pas signifier régression sociale pour les salariés des entreprises qui ouvriraient le dimanche. Le travail dominical doit se faire sur la base du volontariat des salariés et dans le cadre d’un accord négocié entre l’employeur et le personnel. Une compensation en termes de salaires et de congés est donc prévue. »
Un condensé d’affirmations fausses ou infondées…
Voici des arguments lancés comme autant d’évidences qui sont plus du ressort d’une profession de Foi que d’une réalité avérée.
Première affirmation : 72% des franciliens ont demandé l’ouverture des commerces le dimanche. La source ? on ne la connaît pas…
Ce n’est pas la rue qui gouverne. C’est ce que le gouvernement ne cesse de répéter. Nous en avons une preuve supplémentaire. Il s’agirait plutôt des sondages.
Si nous suivions cette logique. Plus de 90% des français veulent réduire significativement les impôts. Faut-il donc les baisser ou doit-on faire primer le bien commun ?
C’est le travail des parlementaires que de le définir. C’est aussi ce qu’on appelle le courage politique tant vanté par les réformateurs.
Deuxième affirmation : la législation daterait de 1906.
La dernière modification des dispositions du Code du Travail sur le repos hebdomadaire date de 2002. La création du référé dominical date de 2000.
En réalité ce texte est le fruit d’une lente maturation de la Loi parvenue à un point d’équilibre entre les droits des salariés, ceux des consommateurs et ceux des employeurs. Comme la Loi sur la presse de 1881, le Code civil de Napoléon…
Troisième affirmation : la totale contradiction avec les modes de vie
Pour que le débat soit loyal, il aurait fallu ajouter à la première affirmation que 75% des français ne veulent pas travailler régulièrement le dimanche et que 88% veulent préserver ce jour comme journée de repos commun.
Le sondage BVA n’a pas été connu de ces parlementaires qui n’ont pas dû avoir toutes les données en main avant de déposer leur proposition. Il vaudrait mieux quand même qu’ils puissent faire le tour de la question avant d’en débattre.
Quatrième affirmation : La liberté du consommateur
Le choix est sociétal : le consommateur peut actuellement faire ses courses 6 jours sur 7 et par internet à toutes les heures du jour et de la nuit. Le commerce par internet profite d’ailleurs plus particulièrement aux grandes enseignes du secteur qui disposent de leurs sites.
L’année prochaine, le Ministre de l’Education Nationale a annoncé que les écoles primaires n’auront plus de cours le samedi, mesure qui
sera étendue ensuite aux collèges. L’objectif est de permettre aux familles de se réunir.
Elles pourront de ce fait faire leurs courses ensemble sans qu’il soit besoin de demander aux salariés une flexibilité supplémentaire qui n’apportera rien, puisque le budget des familles n’est pas extensible, jusqu’à démonstration du contraire qui tarde à venir.
Permettre aux familles de se retrouver le dimanche autour d’autres valeurs que celle de la consommation poserait t’il une difficulté ? Le consommateur prime t’il sur le salarié ?
Cinquième affirmation : L’amende encourue est inutile puisqu’elle est inférieure au profit réalisée et sera payée.
Continuez à violer la Loi, cela finira par payer. C’est le message que cette proposition semble vouloir faire passer. A quoi bon les poursuivre et leur infliger des amendes alors qu’ils continuent à violer la Loi.
C’est paradoxal au regard de la personnalité des signataires dont certains sont particulièrement connus pour défendre habituellement des principes d’intolérance à l’égard de la délinquance.
Ils vont donc probablement légaliser sous peu la consommation de cannabis, puisque la consommation ne cesse d’augmenter.
Il faut encore ajouter qu’il suffirait que l’Etat insiste pour qu’il soit fait utilisation de « l’arme » dont il a doté les inspecteurs du travail dans le courant de l’année 2000, le référé dominical, pour que ces pratiques cessent. Cela s’appelle de la volonté politique, c’est-à-dire le souci de faire appliquer la Loi une fois qu’elle est votée.
C’est encore mieux que les radars sur les autoroutes. Les astreintes sont liquidées au profit du Trésor Public. De quoi renflouer les caisses de la Nation.
La plus importante astreinte en Val d’Oise date de ce matin*. Elle s’élève à 150.000 Euros par dimanche ouvert en infraction pour l’établissement IKEA de FRANCONVILLE.
Sixième affirmation : 150.000 emplois créés
La source des parlementaires n’a pas été précisée et c’est bien dommage. Renaud Dutreil, en un temps pas si éloigné, précisait qu’il y aurait une destruction massive des emplois dans le seul petit commerce, évalué à 100.000 – des emplois qualifiés et de qualité. Il faudrait y ajouter les secteurs culturels qui verront encore leur fréquentation chuter et qui seront contraints de licencier.
Comment, en ouvrant 8 à 10 heures supplémentaires, arrivez-vous à créer 150.000 Emplois ?.
S’agira t’il de créer de petits emplois à temps partiels de quelques heures que les étudiants et les précaires seuls occuperont ?
Il suffit de regarder les statistiques d’échec des étudiants qui travaillent pour constater que l’on va ajouter de la misère à la misère, puisque seuls les étudiants les plus pauvres sont contraints de travailler.
Au lieu de les aider, on va leur mettre un obstacle supplémentaire.
Septième affirmation : la revendication du travail du dimanche
Cette revendication de pouvoir travailler le dimanche est bien réelle chez certains salariés. Les commentaires postés sur ce site et d’autres forums le démontrent et il ne faut pas se le cacher.
Cependant, ce qui est en réalité revendiqué, c’est une rémunération digne et suffisante.
Ces salariés demandent à pouvoir gagner leur vie et payer leurs factures. Actuellement, cet objectif ne peut être atteint qu’en violant la Loi, tant les salaires sont bas alors que les résultats permettent une meilleure répartition des richesses.
Ce n’est donc pas travailler le dimanche en tant que tel qui est revendiqué, mais la nécessité de gagner suffisamment pour s’en sortir.
Huitième affirmation : il n’y a pas de régression sociale grâce au volontariat
Le volontariat vous sauvera. Si vous ne voulez pas travailler le dimanche, vous pourrez dire non et votre patron s’inclinera devant votre volonté de salarié.
Voilà sans doute le plus bel acte de Foi. Et si mon patron me dit que c’est çà ou la porte. Et s’il en fait une condition d’embauche – c’est déjà le cas. Et s’il me fait signer dans mon contrat que je suis volontaire pour travailler le dimanche. Et s’il m’impose un temps partiel qui ne me laisse pas d’autre choix.
Qui protègera les salariés ? Personne.
Il n’y a rien dans le texte de Loi proposé sur la mise en œuvre de telles garanties.
…Mais des oublis révélateurs.
J’ai peut être une idée à leur souffler.
Dans la proposition, la majoration est d’un trentième de mois de salaire.
Pourquoi ne pas proposer que la marge dégagée par l’enseigne soit entièrement redistribuée entre les travailleurs du dimanche ?
Si l’objectif affiché est bien réellement celui qui consiste à créer des emplois et à favoriser le consommateur, en sacrifiant le salarié, voilà une solution.
L’enseigne qui souhaitera ouvrir le fera ainsi de manière parfaitement bénévole, pour la beauté de la chose et par amour de son prochain. Le hic, c’est qu’il n’y aura plus beaucoup de candidats.
Quelques oublis également :
Déjà oublié le récent Grenelle de l’environnement : pourtant, le bilan énergétique et environnemental de cette mesure, c’est davantage de circulation, davantage de consommation énergétique, davantage de nuisances sonores, davantage de pollution…
Oubliée la gestion de l’aménagement du territoire : cela va accélérer la désertification des centres villes au profit de la périphérie des grandes villes, créer des embouteillages plus importants encore en banlieue, augmenter le coût des loyers commerciaux, accélérer les implantations dans des zones déjà complètement saturées,
Oublié le souci de briser les situations de rente des grandes enseignes puisque les petits commerçants ne pourront pas suivre cette mesure. Il suffit de se référer à la consultation réalisée par la CGPME…
Oubliées les familles : Qui va garder les enfants et s’en occuper quand les parents travailleront le samedi et le dimanche. Cela a échappé à l’enseignante, à l’inspectrice générale de l’éducation nationale et au membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales qui figurent parmi les signataires de cette proposition.
Oubliés les autres secteurs dont l’activité économique sera nécessaire : Qui va contrôler ses établissements le dimanche ? Qui va les livrer ? Qui va les surveiller ?
Oubliées les études qui disent que l’augmentation du PIB sera d’un maximum de 0,2% du PIB sera réduite à néant au
bout de deux ans et qui expliquent que le travail du dimanche n’a d’intérêt économique qu’à la condition que cela serve à fausser la concurrence. Elles font le constat, simple à comprendre, que l’extension des ouvertures le dimanche n’a pas pour effet d’augmenter le budget des ménages mais simplement d’étaler différemment les dépenses.
Nul doute que le débat sera de qualité à l’Assemblée Nationale…
Maitre Vincent Lecourt
* 9 novembre 2007 (NDLR)