Le repos dominical n'a pas cent ans.

Texte extrait de L’avènement des loisirs (1850-1960) d’Alain Corbin. Copyright Editions Flammarion.
480 pages. Prix : 9,76 € / 64 FF

Le repos dominical n’a pas cent ans! Ses défenseurs étaient de deux bords, l’Eglise et les réformateurs sociaux soucieux de l’hygiène publique.

Entre le début des années 1860 et 1906, date de la loi qui institue en France le repos hebdomadaire, celui-ci – bien souvent sous forme de repos dominical – est revendiqué de plus en plus fermement. Il s’accorde aux nouvelles conceptions de la fatigue et à l’attention grandissante portée à la dignité du travailleur. Les acteurs de ce combat viennent de divers horizons. En France, notamment, le clergé catholique lutte avec acharnement, depuis l’aube du premier Empire, en faveur du respect du jour du Seigneur. Avant même 1880, date de l’abrogation d’une loi de 1814 qui imposait – théoriquement – de cesser le travail ce jour-là, une série d’œuvres catholiques s’étaient donné pour objectif le respect du repos dominical. Dans les milieux protestants, la lutte n’était pas moins active. C’est de Suisse, plus précisément des milieux formés par ceux que l’on a baptisés entrepreneurs moraux, qu’est venue l’impulsion. Au sein de la Confédération helvétique foisonnent les sociétés formées dans ce but. A Genève, Lausanne, Berne, Bâle, Saint-Gall et Vevey, mais aussi à Londres, à Rotterdam, à Copenhague, à Paris, des associations protestantes entament très tôt le combat.Les hommes politiques apparaissent plus timides. En France toutefois, plusieurs réformateurs sociaux ont engagé la lutte sur ce terrain aussi. Paul Leroy-Beaulieu, Jules Simon, le républicain, côtoient, dans ce mouvement composite, Frédéric Le Play, le défenseur de la famille traditionnelle, et le sénateur Bérenger, le «père-la-pudeur», infatigable pourfendeur de toutes les formes d’immoralité. Parmi les militants les plus actifs, on relève, ce qui ne surprend pas, des employés de commerce et certains ouvriers des branches les plus directement concernées. Au sein du mouvement ouvrier et chez les penseurs socialistes, l’attitude est plus mitigée, en France tout au moins. La revendication des «trois-huit» tend ici à focaliser l’attention. Les raisons de la réticence sont multiples. Certains craignent que le repos dominical n’entraîne une diminution de salaire. D’autres y voient une entrave à la liberté du travail. L’obligation de cesser ses activités le dimanche semble à beaucoup une mesure inscrite dans le processus de disciplinarisation de la main-d’œuvre. Ce qui suffit à inquiéter. En France, elle paraît devoir renforcer l’emprise cléricale, crainte majeure des militants républicains soucieux de promouvoir la laïcisation de la société.

Il est toutefois des exceptions à cette réticence. Auguste Comte, qui distingue repos et oisiveté, Pierre Joseph Proudhon, Pierre Leroux, naguère, le syndicaliste Camille Beausoleil, qui consacre au sujet un rapport détaillé en 1898, et Jean Jaurès ont réclamé et justifié le repos hebdomadaire – sinon dominical. Le livre du second, intitulé De la célébration du dimanche considérée sous les rapports de l’hygiène publique, de la morale, des relations de famille et de cité, constitue un ouvrage de référence en ces milieux.

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