Valérie Pécresse, député des Yvelines, organisait à Versailles ce vendredi 9 mars 2007, un débat sous le titre « Faut-il autoriser l’ouverture des magasins le dimanche ? ».
Elle avait réuni Robert Rochefort, patron du CREDOC, Jean-Patrick Grumberg, président d’Usines Center, Madame Courne, conseillère municipale de Versailles et Joseph Thouvenel, Secrétaire Général adjoint de la CFTC. Deux pour, deux contre, un arbitre, un débat équitable en apparence.
Sujet intéressant à plus d’un titre, mais qui pourrait surtout rester dans les annales comme un exemple type de confiscation de la démocratie par les lobbies politico-financiers. Démonstration.
Un article d’Agoravox (Thibault Mortier). Article original sur ce lien.
L’utilisation partisane des sondages.
Il fallait avoir un certain culot pour oser affirmer dans une réunion publique qu’il est nécessaire que les magasins soient ouverts le dimanche, puisque « 70% de l’opinion est favorable au travail du dimanche ». C’est pourtant ce que n’a pas hésité à faire M. Rochefort.
Or ce professionnel des pourcentages ne pouvait ignorer que le chiffre qu’il citait était issu d’un sondage (sondage IPSOS, Ile de France, 04/2006) commandité par … Usines Center, avec des questions biaisées et une population non représentative. C’est ce sondage qui avait été présenté par Pierre Lellouche, député UMP, pour appuyer sa proposition de loi visant à réduire le repos dominical, jolie manipulation qui avait d’ailleurs parfaitement réussi à l’époque (sept 2006), puisqu’il était parvenu à accréditer l’idée dans les médias, à l’aide de ces résultats tronqués, qu’une large majorité était pour la suppression du dimanche.
Rochefort ne pouvait ignorer non plus que la quasi-totalité des autres sondages sont en discordance avec le sondage d’Usines Center. Il ne pouvait ignorer que BVA (sondage salariés – 06/2006) donne 88% de français voulant préserver le dimanche comme jour de repos commun, ou les 18.000 internautes d’AOL dont 55% étaient contre l’ouverture. Il ne pouvait surtout pas ignorer les résultats du CSA (sondage national, 12/06), qui conclut à une majorité POUR le repos dominical.
Apparemment, la déontologie professionnelle n’est pas le souci premier de M. Rochefort…
Le mercantilisme débridé des grandes enseignes.
Jean-Patrick Grumberg a la voix douce – ainsi que l’embonpoint rassurant – d’un médecin de famille de province. Mais il a pourtant beaucoup embarrassé Madame Pécresse, et scandalisé la salle, en expliquant fièrement qu’il avait ouvert illégalement Usines Center pendant vingt ans.
Selon lui, en effet, il rendait service au public, « puisqu’il y avait des clients« , et il créait des emplois bien payés, « puisque les salariés du dimanche sont payés davantage que les autres jours« . On voit que selon son raisonnement, M. Grumberg ne verrait aucun inconvénient à la réouverture des arènes, puisqu’il y aurait certainement du public, et aussi des gladiateurs chèrement payés… Sur cette lancée, expliquant que « tout se passait sur la base du volontariat« , il a cru bon de préciser que « tout est clair au départ« , et que « pour être embauché à Usines Center, il faut être disposé à travailler le dimanche« . Notion du « volontariat » que beaucoup de salariés trouveront sans doute un peu particulière…
L’intervention de M. Grumberg, pour scandaleuse qu’elle fut, eut cependant le mérite de donner à la question du repos dominical sa véritable dimension : entre consumérisme effréné ou recherche d’une organisation du temps plus harmonieuse, il s’agit bien d’un véritable choix de société.
Un projet de loi qui ne sert que des intérêts privés, au mépris du citoyen.
Comme dans beaucoup de dossiers, le citoyens dit « d’en bas » est une fois de plus le grand absent du débat. Rappelons nous l’affaire du Lundi de Pentecôte, idée technocratique absurde refusée par 75% de la population, et imposée quand même pour le bon plaisir d’un pouvoir autiste.
Il se produit la même chose sur la question du travail du dimanche.
Car en effet, qui veut supprimer le repos dominical ? Qui entend-on, dans ce dossier ? Qui agit ? Pour les plus voyants, ce sont Vuitton, Usines Center, Conforama, et quelques autres grandes enseignes ouvertes illégalement. En coulisse, ce sont MM Lellouche et Balkany, tous deux auteurs d’un projet de loi visant à supprimer le repos dominical, et tous deux membres de la commission Trilatérale, cet organisme ultra-libéral lié aux milieux financiers internationaux (Trilatérale, Bildeberg Group, Forum de Davos), ou Karoutchi. Avec des seconds couteaux, comme Rochefort.
Un peu facile, de commanditer un sondage sur un sujet qui n’intéresse que des intérêts privés, pour susciter un courant d’opinion artificiel, mais suffisant pour enclencher une modification législative. Curieux, les défenseurs de la liberté de travailler sept jours sur sept n’ont jamais réalisé de sondage sur les radars automatiques, par exemple !
Parce que pour ce qui est de la France « d’en bas », on n’a pas encore vu de défilés de manifestants construisant des barricades au quartier latin pour exiger l’abolition immédiate du repos dominical. On a pas vu de caillassage de bus dans les banlieues, pour exiger l’ouverture des bibliothèques le dimanche. Dans les bars, on n’entend pas Robert, rentrant du travail, causer sourdement avec son camarade Marcel, de l’ennui d’être obligés de se reposer le dimanche en famille. En revanche, on a vu beaucoup d’associations citoyennes se prononcer pour le repos dominical. Des associations de familles, aussi. Un parti politique « social », celui de M Bayrou. Dix fédérations patronales professionnelles, qui viennent de lancer une campagne nationale de soutien au repos dominical. Et la quasi-totalité des syndicats, dont Joseph Thouvenel était venu présenter le point de vue.
Ce dernier a rappelé, dans une intervention largement applaudie, que la question centrale reste de savoir s’il est bon ou pas, pour une société civilisée, que la vie économique soit mise entre parenthèse, au profit momentané d’autres activités. Et s’il est bon, pour cette société, de pouvoir disposer d’un jour de congé qui soit commun à l’ensemble du corps social. Ce n’est qu’une fois ces principes généraux posé, qu’il peut être nécessaire de légiférer, et éventuellement de prévoir les nécessaires exceptions qui, comme depuis longtemps, confirment la règle.
La stratégie de l’avancée par petits pas.
Autre grande constante des démocraties confisquées, la stratégie des petits pas. Rappelez vous, les parcmètres : au début, il ne devait y en avoir que dans des zones restreintes. Et vous y avez cru ?!! Les exemple sont tellement abondants que l’on se demande comment ce vieux truc de la politique à Papa peut encore fonctionner.
Et c’est là qu’intervient à nouveau Rochefort. Doctement, il vient expliquer, rassurant, qu’il ne faut pas, selon lui, revenir sur le principe du repos dominical, mais simplement « l’assouplir, l’adapter » à l’évolution des mode de vies, c’est
à dire faire passer de 5 à 10 le nombre de dimanche ouvrables par mois. Ben voyons. Et l’an prochain, nous passons à combien, Monsieur Rochefort ?
Chronique d’un autisme ordinaire.
Les auditeurs de ce débat, invités à prendre la parole, ont fait de très nombreuses interventions, très riches, abordant les questions de l’emploi, du rayonnement des industries de luxe, de la protection des commerces de proximité, des conditions de concurrence, de l’utilité sociale des différentes formes de distribution, etc.
Il revenait à Madame Pécresse de tirer la conclusion du débat, après ces échanges très fournis avec les débatteurs, et avec la salle.
Curieusement, le point qui semble l’avoir le plus marqué est que la loi actuelle sur le repos dominical comporte 186 exceptions, motif qui selon elle doit conduire à sa réforme immédiate (doit-on signaler à Madame Pécresse que si on réformait toutes les lois qui, en France, comportent plus de 186 exceptions, ou plus de trois pages, il ne resterait plus grand chose du code des impôts ?!).
Enarque, elle en logiquement a déduit qu’il fallait réformer la loi, en rappelant que le candidat Sarkozy était pour l’ouverture progressive des magasins le dimanche, et que donc…
Bref, elle projette de promouvoir, pour la loi actuelle ; une réforme que personne ne demande – sauf certaine lobbies de la grande distribution ou de l’ultra-libéralisme – , en adoptant pour cette réforme la position imposée par son chef de parti.
Comment s’étonner, ensuite, du désintérêt des citoyens pour la politique ?