Sarkozy pour la « liberté (sic) de travailler le dimanche »
« Vous n’aurez pas nos dimanches ! » (JJ Goldmann)
Gérard Filoche, en dépit d’opinions personnelles marquées, est un expert reconnu y compris par Renaud Dutreil (Rencontre-Débat de Taissy entre Renaud Dutreil, les représentants des partis politiques, et 150 syndicalistes, le 30 janvier 2007)
Après avoir rétabli le travail de nuit et du dimanche pour les apprentis de quinze ans, Sarkozy veut supprimer un droit au « repos dominical » des salariés qui date de 1906 !
C’était le 13 juillet 1906 : après un siècle de débat, l’Assemblée nationale, à l’unanimité, votait le principe du repos dominical pour les travailleurs. Ce fut un accord national, entre toutes les composantes de la société. Le Code du travail affirma qu’il était « interdit d’occuper plus de six jours par semaine un même salarié ». (art. L 221-2 du Code du travail).
Un système de dérogation fut construit. Avec le temps, il a évolué et la loi Giraud de 1994 a fait passer, déjà, le nombre de trois dimanches autorisés d’ouverture, à cinq dimanches. Des dérogations ont été rendues possibles pour « les zones touristiques d’affluence exceptionnelles ou d’animation culturelle permanente dans les établissements qui mettent à la disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs, d’ordre sportif, récréatif ou culturel. » C’est déjà large et trop vague ! Tout Paris et la « Nationale 7 » pourraient figurer dans cette définition.
Le système actuel combine déjà un principe et une large souplesse
Le principe est le « repos hebdomadaire doit être donné le dimanche » (L 221-5) pour les salariés. La souplesse, c’est un système de dérogation pour les métiers « à feux continus » et cinq dimanches d’ouverture par an au choix pour les magasins. (L 221 – 7 et suivants) Le Code du travail permet de donner le repos par roulement un autre jour que le dimanche, dans une liste impressionnante de métiers, pour la fabrication de produits alimentaires, les hôtels, restaurants et débit de boisson, les débits de tabac, les magasins de leurs naturelles, les hôpitaux, asiles, maisons de retraite, dispensaires, maisons de santé, pharmacies, établissement de bains, journaux informations, spectacles, musées, expositions, entreprises de location de chaises, de moyens de locomotion, d’éclairage, de distribution d’eau, et de force motrice, entreprises de transport, de communication. Ainsi 5 % des salariés travaillent régulièrement, déjà, le dimanche. 20% travaillent occasionnellement.
On comprend que dans la santé, les transports, les industries à feux continus, les animations culturelles, des dérogations s’imposent. D’ailleurs, des centaines de milliers de salariés concernés en souffrent : ils ont du mal à bénéficier d’un « roulement » qui leur permette de rencontrer leur famille, leurs amis, de participer à la vie citoyenne, sportive, culturelle, politique, qui est concentré lors des week-end.
Alors pourquoi étendre cette pénibilité à des millions de salariés, en plus, ceux pour lesquels l’activité ne l’exige pas ?
Pourquoi vendre des vêtements, des chaussures, des meubles, et autres produits non urgents, le dimanche alors qu’ils peuvent parfaitement être vendu dans la semaine. Pourquoi diminuer la qualité de vie de millions de salariés du commerce, et autres, alors que cela ne s’impose pas pour eux ? S’il y avait une vraie durée réelle du travail proche de la durée légale de 35 h pour tous et toutes, il serait possible de faire ces courses le vendredi après-midi, non ? Pourquoi déréglementer davantage la vie collective dans une société qui connaît déjà des crises, des ruptures, des liens distendus, des explosions dans ses banlieues, dans sa majorité populaire pauvre ? Car qui travaillera le dimanche dans les magasins, sinon une majorité écrasante de femmes et de jeunes précaires à bas salaires ? Qui « fera les courses », sinon « les autres » selon la chanson de Malik ?
Ce ne sont pas les 7 millions de travailleurs pauvres qui achèteront, mais une partie d’entre eux, sûrement, qui seront obligés de travailler ce jour-là !
Volontaires, les salariés ?
Certains sondages disent que « les Français sont favorables à l’ouverture des magasins le dimanche », d’ailleurs, de justesse, à 53 %. Mais les mêmes sondages, lorsqu’ils interrogent les mêmes Français, pour leur demander s’ils veulent travailler le dimanche, constatent que 85 % d’entre eux y sont défavorables.
Sarkozy nous dit que ce serait sur la « base du volontariat » des salariés. Foutaise absolue, il ment et il le sait : il n’existe pas de « liberté », de volontariat en droit du travail, tous les salariés sont subordonnés juridiquement, et c’est l’employeur, seul, qui décide de qui travaille ou ne travaille pas le dimanche… C’est ainsi que déjà des milliers de vendeuses sont obligées de travailler le dimanche contre leur gré…
D’autres ne sont embauchés que pour le dimanche. L’accord des salariés ne figure pourtant pas au nombre des dérogations à la règle du repos dominical énumérées par le Code du travail et ne saurait constituer un fait justificatif.
Gagner plus ?
On nous dit que le travail du dimanche ferait « l’objet de contre-parties » sous-entendu d’un meilleur salaire, pour « ceux qui veulent gagner plus ». En vérité, rien n’est clair : le Code du travail évoque « une majoration de salaire pour ce jour de travail exceptionnel, égal à la valeur d’un trentième de son traitement mensuel ou à la valeur d’une journée de travail si l’intéressé est payé à la journée » pour les « cinq » dimanches d’ouverture autorisés par arrêté du maire ou du Préfet… Mais de telles majorations ne sont nullement assurées ni par le Code, ni par des conventions collectives pour l’immense majorité des salariés concernés dans toutes les branches tous les dimanches d’ouverture.
L’emploi en pâtirait ?
Les associations de petits commerçants sont toutes contre l’ouverture du dimanche, et elles ont raison : car seules les grandes surfaces ont intérêt à cette ouverture, et les petits commerces n’ont pas les reins assez solides pour ouvrir tous les dimanches.
Des études et projections ont été faites en
cas d’ouverture généralisée le dimanche et elles montrent que ce serait au minimum la disparition de 30 000 emplois. Dans un premier temps, quantité de petits commerces périraient, les grandes surfaces embaucheraient le dimanche, puis il y aurait une régulation : il y aurait une suppression d’emplois en cours de semaine. En effet, le pouvoir d’achat n’est pas extensible et les achats qui seraient faits le dimanche ne le seraient pas un autre jour. Cela déplacerait tout au plus les jours de consommation, mais pas le volume.
Se prévaloir de la fraude ?
Des magasins prétendent qu’en ouvrant le dimanche, ils vendent davantage : mais c’est parce qu’ils sont en infraction et violent justement les règles de la concurrence, ils sont mal venus de se vanter de leur propre turpitude pour remettre en cause la loi qu’ils foulent aux pieds.
Il a un certain aplomb de la part de l’Ump qui dit : « on ne peut enrayer le mouvement d’ouverture », justifiant ainsi les contrevenants récidivistes au Code du travail. Déjà des juges se refusent à appliquer la loi et à sanctionner conformément aux procédures de référé engagées par l’inspection du travail (d’après la loi Aubry du 19 janvier 2000 qui avait permis une meilleure répression des ouvertures illégales du dimanche).
Pourquoi remplacer la civilisation du loisir par celle du caddie ?
On nous dit aussi qu’il y a dorénavant des achats et une concurrence par internet : mais c’est absurde d’utiliser cet argument pour faire travailler des salariés dans des magasins le dimanche, au contraire.
Sur le fond, rien n’oblige à infliger à quelques millions de salariés et à leurs familles un travail du dimanche qui n’est pas indispensable économiquement, ni socialement. Pourquoi risquer de fragiliser davantage les liens familiaux menacés dans nos banlieues ? Pourquoi tuer le moment de repos commun social qui existe ? Une société a besoin de temps commun, de moment de rencontre collectif, le dimanche reste une rare occasion de cohésion possible sans stress productif ni marchandising. Il est un temps irremplaçable pour la vie citoyenne, associative, culturelle, sportive, voire religieuse.
Il n’y a rien de « moderne » à supprimer cela pour de prétendus « nouveaux rythmes de vie » : ce serait un recul géant, une forme de vandalisme social aggravé.
Le repos hebdomadaire doit être protégé et étendu :
La gauche devrait même faire entrer le principe de deux jours de repos consécutifs, en tant que règle d’ordre public social, pour toutes et tous, dans le Code du travail. Le progrès, c’est la semaine de cinq jours, pas la semaine de sept jours : elle serait à coup sûr créatrice d’emploi, moteur d’embauche.
Alors pourquoi cette offensive de Sarkozy, de l’Ump soutenue par le Medef, par les libéraux, pour l’ouverture des magasins du dimanche ? Parce qu’elle participerait d’une déréglementation générale des horaires hebdomadaires, permettant plus facilement de remettre en cause toutes les durées légales.
Gérard Filoche