Lellouche vs Thouvenel (CFTC), le retour

Les commerces doivent-ils ouvrir le dimanche ?

On prend les mêmes et on recommence ? En effet, ce sont à nouveau Lellouche et Thouvenel qui sont mis en présence. Le matérialisme de l'un contre le sens social de l'autre. Mais cette fois, la confrontation est plus longue, Valeurs Actuelles n'est pas Voici !

Et l'on a tout loisir d'admirer le sens dialectique de Lellouche, avocat de métier, sa mauvaise foi parfaitement maîtrisée, ses fauses interrogations, tout cela sur fond d'émoluments confortables.

En face, Thouvenel signe une des plus belles réponses à l'ultralibéralisme des louches Lellouche et autres consuméristes forcenés. Exposant que cette question du repos dominical n'est pas seulement une question de temps de repos, mais un véritable choix de société. Refusant le diktat des grandes chaines de distribution. Fustigeant l'hypocrisie qui consiste à présenter comme « fait de société » l'absence de volonté des gouvernements successsifs. S'il fallait élire un nouveau pape, je voterais Thouvenel !

Un article publié par Valeurs Actuelles, 15 Décembre 2006

CONTRE LE DIMANCHE

Pierre Lellouche,
député et conseiller de Paris (UMP)

« Battue en brèche pas de nombreuses exceptions, cette interdiction est en décalage avec l'évolution de la société »

 

Depuis bientôt dix ans, je me heurte sur cette question aux conservatismes de tous bords et à des résistances idéologiques que je ne comprends pas. Car l'interdiction de principe inscrite au code du travail, mais battue en brèche par un maquis de dérogations diverses, apparaît aujourd'hui en décalage complet avec l'évolution de la société.

J'ai déposé, le 6 juillet dernier, une proposition de loi visant à permettre l'ouverture des commerces le dimanche. Trouvant son origine dans une loi de 1906, adoptée alors sur la base de considérations d'ordre religieux, entrée depuis dans l'usage, l'interdiction de travailler le dimanche apparaît aujourd'hui en décalage flagrant avec les besoins de l'économie ainsi qu'avec l'évolution des mentalités. Un sondage Ipsos d'avril 2006 montre ainsi que 75 % des Franciliens sont favorables à l'ouverture des magasins le dimanche.

Mais l'interdiction actuelle fait également fi de la volonté des salariés eux-mêmes. Nombreux sont ceux qui, pourtant, pour des raisons diverses, voudraient travailler le dimanche (qu'ils soient célibataires, au chômage ou simplement désireux de gagner plus). Or il s'agit, en l'état actuel de notre droit, d'une obligation d'ordre public (voir l'arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 1989). Le fondement idéologique en étant une vision de « lutte des classes », où l'employeur aurait pour seul but d'exploiter les salariés placés sous son autorité ! L'employeur et sa famille peuvent ainsi exploiter un commerce le dimanche, mais il leur est interdit d'y faire travailler toute autre personne. Et l'employé qui voudrait travailler le dimanche se voit refuser ce droit, pourtant inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme annexée à notre Constitution.

Voici donc une interdiction qui repose sur une approche exclusivement « sociale », au détriment de toute rationalité économique. Les créations d'emplois induites par l'ouverture le dimanche ne sont pas prises en compte. Nombre de commerces qui réalisent entre 30 à 40 % de leur chiffre d'affaires le dimanche se voient contraints aujourd'hui par décision de justice d'arrêter leur activité. Enfin, une ville comme Paris est pénalisée par rapport à d'autres grandes villes touristiques ouvertes au commerce le dimanche. Les voyagistes japonais se sont organisés pour conduire leurs clients à Londres le dimanche plutôt que de rester à Paris devant des boutiques closes.

Sur le plan juridique, la loi s'apparente à un véritable maquis de règles souvent contradictoires, souffrant de nombreuses exceptions, aussi variées que complexes et sujettes à interprétation. Sans prétendre à l'exhaustivité, on relèvera les dérogations dites de plein droit, en fonction des établissements concernés et des travaux qui y sont réalisés. Sont ainsi visés par le code du travail les hôpitaux, les hôtels ou les musées. D'autres dérogations sont envisageables en fonction, par exemple, de la nature périssable des denrées ou du caractère exceptionnel du surcroît de travail requis. Les commerces alimentaires de détail peuvent ainsi ouvrir le dimanche matin jusqu'à midi. S'y ajoutent les dérogations pour les zones touristiques ou culturelles, les autorisations préfectorales ainsi que les autorisations exceptionnelles accordées par le maire ou l'inspecteur du travail.

Beaucoup de ces dérogations ou autorisations ont, en réalité, des justifications aléatoires: tel quartier à Paris sera déclaré zone touristique, tel autre ne le sera pas; telle enseigne de l'avenue des Champs-Elysées sera autorisée à ouvrir, telle autre non, sans parler de ces entreprises du Marais, jusqu'alors « bénéficiaires » d'une autorisation implicite des services de la préfecture, qui sont aujourd'hui contraintes à la fermeture par décision de justice.

Sans remettre en cause l'usage du repos dominical, ma proposition vise donc à un double objectif: répondre aux attentes des consommateurs et de la société ; dynamiser la création d'emplois en redonnant tout son sens au droit au travail reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il ne s'agit pas de forcer les gens à travailler. Mais ceux qui accepteront recevront en contrepartie un supplément de rémunération exonéré de cotisations sociales pouvant aller jusqu'à 100 % de la rémunération d'une durée équivalente effectuée suivant l'horaire normal de l'entreprise.

En toute hypothèse, il faut se donner le temps de l'expérimentation et introduire un maximum de souplesse dans la mise en œuvre de la loi suivant les activités, les villes et les régions. Commençons, dans un premier temps, à augmenter le nombre de dimanches « ouverts » ( 13 ou 14 par an plutôt que les 5 actuels), ce qui nous rapprocherait du pragmatisme espagnol. Ainsi, nous accompagnerions plus efficacement et dans la concertation de tous l'évolution de notre société.

 

POUR LE REPOS DU DIMANCHE

JosephTHOUVENEL,
syndicaliste, secrétaire général adjoint à la CFTC

« Le respect du repos dominical permet de briser l'enchainement qui réduit l'homme a sa dimension matérielle »

Avant d'être un problème économique, le choix du repos dominical est d'abord un choix de société. Il nous paraît nécessaire d'avoir un temps dans la semaine où la vie économique est mise entre parenthèses pour favoriser la vie familiale, associative, personnelle de tous, et, pour ceux qui le souhaitent, spirituelle. Ce temps est traditionnellement, en Occident, celui du dimanche. C'est l'occasion de briser l'enchaînement qui réduit progressivement l'homme à sa seule dimension matérielle, lui offrant comme horizon du bonheur la gondole d'un supermarché la veille de Noël.

Ce que la CFTC et beaucoup d'autres défendent avec le repos dominical, ce n'est pas un simple et nécessaire temps de repos, c'est une civilisation au sens premier du terme, c'est-à-dire le fait de faire passer une collectivité à un état social plus évolué, plus humain.

Ce combat n'est pas nouveau. Déjà, au milieu du XVIII' siècle, quelques théoriciens des Lumières prônaient le travail sept jours sur sept afin, disaient-ils, d'enrichir la société. C'est la Chambre laïque de la séparation de l'Église et de l'État qui fixa en 1906 le principe du repos dominical toujours en vigueur de nos jours. En vigueur, mais non figé, puisque nombre d'exceptions de bon sens sont venues en un siècle confirmer la règle.

Aujourd'hui, le cœur du débat porte sur l'ouverture des grandes surfaces le dimanche, les partisans de la déréglementation s'appuyant principalement sur l'idée de liberté et du fait accompli. Il n'y a pas de véritable liberté sans diversité ; or la généralisation de l'ouverture des grandes surfaces le dimanche, c'est la destruction du commerce de proximité, les grandes enseignes « cannibalisant » les parts de marché, selon le terme d'un rapport du ministère des Finances. Adieu, les marchés traditionnels du dimanche matin quand la grande distribution pourra ouvrir le jour du Seigneur. Adieu, aussi, la diversité des sources d'approvisionnement ; l'exemple de l'édition devrait nous alerter.

Socialement, comme le déclarait le 29 juin Renaud Dutreil, ministre des PME, l'ouverture des commerces le dimanche entraînerait « la destruction de centaines de milliers d'emplois ». Destruction non compensée par des créations dans la grande distribution. Quand nos centres-ville et nos bourgs seront complètement désertifiés, faudra-t-il payer un nouvel impôt pour amener en mini-bus les personnes âgées faire leurs emplettes dans les centres commerciaux?

Quant à la liberté de choix du salarié, elle est imaginaire. Le demandeur d'emploi a-t-il le choix, dans un pays qui compte plusieurs millions de chômeurs, si on lui propose un contrat de travail avec une clause stipulant qu'il devra travailler le dimanche? Le salarié du commerce a-t-il le choix quand il sait que son refus aura pour conséquence d'être le plus mal placé pour la prise de congés, les augmentations de salaire, voire ne plus avoir de travail du tout ? Le gros des troupes de la grande distribution est constitué de mères de famille employées à temps partiel (salaire net moyen mensuel : 700 euros). Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire oui ou non pour travailler le dimanche ?

Il est à noter que ceux qui ont légalement le droit de travailler le dimanche et les moyens financiers de l'exercer font très largement le choix du repos dominical. Combien de cabinets médicaux seront ouverts le dimanche 24 décembre ? N'est-il pas plus urgent de se pencher sur ce problème de santé publique qu'est le manque chronique de médecins de garde le week-end, plutôt que de favoriser la vente de chaussettes le dimanche ?

Le fait que de grandes enseignes ouvrent illégalement depuis des années démontrerait que cela est « une évolution sociétale inéluctable ». Mais c'est la volonté des hommes qui fait la société et non un hypothétique sens de l'Histoire. Quant à cette légitimation de la violation de l'interdiction d'ouverture, il est moralement irrecevable. Cela démontre simplement que les sanctions ne sont pas assez fortes.

Les instituts de sondage indiquent qu'un grand nombre de nos concitoyens serait favorable à l'ouverture des commerces le dimanche. Qui s'oppose à l'achat du croissant du dimanche matin avant d'aller faire son marché ? Personne. À la vraie question : « Voulez-vous personnellement travailler le dimanche? », 75 % des Français répondent non. Au-delà des sondages ou du matraquage publicitaire, demandons-nous si le bien commun ne mérite pas un effort minime, afin de réfréner des mécanismes économiques aveugles ou des désirs de consommation immédiats pour laisser s'épanouir la vie familiale, les liens sociaux et la vie spirituelle. Pour nous, la réponse est oui, car s' « il n'est de richesses que d'hommes », cette richesse n'est pas seulement matérielle.

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