LE DEBAT DU MOIS – 60 millions de consommateurs – Septembre 2006
Les magasins ouverts le dimanche ?
Pierre Lellouche, député de Paris, défend la volonté de consommation le dimanche d’une majorité de gens (mais pas leur volonté de travailler !), tandis qu’Alain Vidalies, député des Landes, défend le point de vue selon lequel le citoyen ne peut pas être réduit à un simple consommateur.
POUR
Pierre LELLOUCHE – Député de Paris, Union pour un mouvement populaire (UMP)
« Une majorité de gens souhaitent pouvoir consommer le dimanche. »
J’ai déposé le 6 juillet 2006 une proposition de loi pour permettre l’ouverture des commerces le dimanche. Depuis dix ans, je me heurte à des résistances idéologiques. À gauche, on dit que les gens doivent pouvoir faire autre chose le dimanche, de l’associatif, du culturel. Mais ce n’est pas à l’État de dire aux gens ce qu’ils doivent faire pour se détendre ! À droite, on évoque la menace d’une guerre entre les grandes surfaces et les petits commerces. Ou bien l’on brandit la défense des valeurs familiales. Mais le système actuel compte déjà de très nombreuses dérogations : dans les transports, les hôpitaux, les maisons de retraite, les industries à « feu continu » comme le nucléaire…
Dans les commerces, les dérogations sont à la tête du client. Ainsi, à Paris, les magasins du quartier du Marais peuvent ouvrir le dimanche et pas ceux de Montmartre.
Pourquoi ? Si on défend le repos dominical, il faut être cohérent et tout interdire ce jour-là, même le commerce en ligne. Je ne remets pas en cause le principe du repos hebdomadaire. Mais pourquoi le dimanche? Plusieurs sondages récents montrent qu’une majorité de gens souhaitent pouvoir consommer le dimanche. Cela peut être l’occasion d’une sortie en famille. Certains disent que les gens ne consommeront pas plus. C’est un argument malthusien : on se contente de répartir le peu qui existe, alors que le jeu consiste à augmenter la richesse. Le travail du dimanche doit permettre à des salariés d’améliorer leurs revenus en effectuant des heures supplémentaires, ou à des jeunes d’être embauchés pour financer leurs études.
Il ne s’agit pas de forcer les gens à travailler. Ceux qui refuseront ne pourront pas être licenciés pour ce motif. Il faudra aussi veiller à ce que le travail le dimanche ne puisse pas être imposé à l’embauche. Mais le salarié n’est pas un « mineur ». S’il veut travailler pour s’offrir un sofa ou un voyage, il doit pouvoir le faire. Enfin, mon objectif est que les salariés soient payés le double ce jour-là, et c’est pourquoi j’ai proposé que l’État prenne en charge les cotisations sociales supplémentaires. Ceci étant, il faut se donner le temps de l’expérimentation, et surtout introduire un maximum de souplesse dans la mise en œuvre de la loi selon les activités, les villes et les régions.
CONTRE
Alain VIDALIES – Député des Landes, secrétaire national aux entreprises du Parti socialiste
» On ne peut pas réduire le citoyen à un simple consommateur ».
Chacun est conscient de la nécessité d’une législation qui prenne en compte les particularismes. D’où des dérogations déjà nombreuses pour répondre aux besoins des entreprises qui exercent une activité saisonnière, de loisir, ou qui sont situées dans des zones touristiques. Faut-il étendre la possibilité de travailler le dimanche aux magasins de bricolage ? On peut en discuter, mais la question qui est posée n’est pas « faut-il prévoir de nouvelles dérogations ? », mais « faut-il transformer la dérogation en règle ? » Ceux qui le souhaitent prennent soin d’ajouter que le travail ce jour-là sera réservé à des salariés volontaires. Mais c’est méconnaître la réalité dans les entreprises.
Le recours au volontariat est une précaution illusoire. Si un commerce décide d’ouvrir le dimanche, il trouvera toujours des candidats à l’embauche. Ce sont plusieurs millions de salariés qui seront contraints, de fait, à travailler le dimanche. Quant à l’argument qui consiste à dire que l’ouverture dominicale va permettre de développer l’activité commerciale, je suis sceptique. Le porte-monnaie des consommateurs n’est pas extensible. Ce qui sera dépensé le dimanche ne le sera pas en semaine. De plus, les commerces qui revendiquent cette ouverture sont de grands ensembles avec des galeries commerciales situés en périphérie des villes. Il y aura une déperdition de clientèle pour les commerces des centres-ville. On va créer une situation de concurrence déloyale très défavorable aux petits commerçants et artisans.
Cette ouverture est aussi une remise en cause du principe du repos dominical. Or, cet acquis social mérite d’être protégé. On ne peut pas réduire le citoyen à un simple consommateur. Il doit y avoir un jour réservé à d’autres activités : rester en famille, aller dans les stades, au cinéma, au théâtre ou se promener dans la nature…
Enfin, l’ouverture inconditionnelle des commerces le dimanche impliquerait la mobilisation de leurs fournisseurs, qu’il s’agisse de l’approvisionnement des magasins, du gardiennage, de la maintenance, du nettoyage, des accords de financement… Au-delà des commerces, ce sont de nombreuses entreprises qui devront être ouvertes le dimanche