Les magasins doivent-ils ouvrir le dimanche ?
Alors que le repos dominical fête ses 100 ans, le député UMP Pierre Lellouche vient de déposer une proposition de loi pour y mettre fin. Joseph Thouvenel, le secrétaire générai adjoint de la CFTC, s’y oppose au nom de la vie familiale, spirituelle et associative… Débat sur un choix de société à l’Ernest Bar du Lutetia.
Article paru dans VSD du 26/7/07. L’article est toujours sur le site de VSD, et vous pouvez aller voter ! N’hésitez pas !
Paul Wermus. Vous venez de déposer une proposition de loi sur l’ouverture dominicale.
PIERRE LELLOUCHE. Il y a trois raisons qui m’ont amené à proposer ce texte : l’évolution des modes d’achat et des besoins ; le fait qu’une grande ville touristique comme Paris doit s’adapter à la réalité économique du monde ; la relance de la consommation et la création d’emplois entraînée par l’ouverture dominicale.
JOSEPH THOUVENEL. Les Anglais disent : « Le dimanche, c’est fait pour s’asseoir sur un canapé, pas pour aller l’acheter. »
P. L. Que les syndicalistes aillent trouver leur modèle en Grande-Bretagne me fait bien rire. Vous menez une bataille d’arrière-garde. Si une famille décide de faire son shopping ce jour-là, rien ne doit s y opposer.
J. T. Selon une étude du ministère des Finances et de la Banque de France, les grandes surfaces cannibalisent le petit commerce et créent moins d’emplois.
P. L. Faux. Une zone commerciale comme le boulevard Haussmann à Paris est la première d’Europe et attire plein de gens. Tout le monde en profite… Quand je vais à New York ou à Tokyo, je vois tout le monde travailler le dimanche. Ça produit de la richesse et favorise la consommation.
J. T. Et demain, quand les commerces des centres-villes seront fermés, faudra-il payer un impôt supplémentaire pour amener les personnes âgées dans les grandes surfaces ? Même Renaud Dutreil, membre du gouvernement que vous soutenez, pense que cela ferait disparaître des centaines de milliers d’emplois.
P. L. Que Dutreil descende de chez lui le dimanche matin, qu’il oublie sa voiture aux vitres fumées et ses gardes du corps.
J. T. La loi pose le principe du repos dominical et des exceptions, comme les marchés traditionnels ou les petits commerces du dimanche matin (fleuristes, bouchers … ). Il y a dans la loi cinq dimanches par an qui sont ouvrables au choix des grandes surfaces.
P. L. Tout d’abord, je ne suis pas l’avocat des grandes surfaces. Enfin, la loi actuelle, avec ses multiples dérogations, est un maquis où l’arbitraire l’emporte souvent. Ainsi, pourquoi, à Paris, le quartier du Marais (3e et 4e) est-il reconnu comme zone touristique et pas le 7e arrondissement ? Pourquoi telle grande surface est-elle ouverte et telle autre fermée ? À Paris, c’est le préfet qui décide et en province, ce sont les maires.
P. W. Mais il y a bien une loi…
P. L. Le principe du repos dominical, ancré dans la religion, date de 1906. La loi dit qu’après six jours de travail, les exigences de santé et de sécurité obligent à une journée de repos. La loi française parle du dimanche, mais pas la loi européenne.
J. T. Ce que je défends, c’est une civilisation qui impose un équilibre dans la société, privilégiant l’individu, le bien commun, la famille et le repos hebdomadaire.
P. W. Que disent les sondages ?
P. L Trois Français sur quatre sont favorables à l’ouverture dominicale.
J. T. Mais 75 % des Français ne veulent pas travailler ce jour-là, c’est une légère contradiction…
P. L. Mon objectif, c’est que les 25 % qui souhaitent travailler le dimanche puissent le faire.
J. T. Je ne veux pas que Paris soit à l’image de Londres ou Tokyo. Soyons fiers de notre art de vivre.
P. W. Fait-on réellement de bonnes affaires, le dimanche ?
P. L. Les commerçants des galeries marchandes d’Usines Center, par exemple, réalisent 35 % de leur chiffre d’affaires le dimanche… Et quand Vuitton va licencier soixante-dix personnes, irez-vous les défendre?
J. T. La justice nous a donné raison, ordonnant la fermeture de soixante-quatre Usines Center. La Fédération de l’habillement vient de remporter deux victoires… Ces magasins ont tué tous les petits commerces de leur zone.
P. L. Le droit actuel ne correspond plus aux besoins de la société. Le rôle du législateur est de faire évoluer la loi. Il faut un peu de liberté et beaucoup de bon sens !
J. T. Je préfère la liberté de passer un dimanche en famille ou entre amis et beaucoup de bonheur !
Pierre Lellouche • 55 ans • Etudes de droit • député UMP de Paris. • A publié « La République immobile ». • Père de trois enfants. • Loisir : la plongée et l’archéologie sous-marines.
Joseph Thouvenel • 48 ans. • Licence de droit. • Manœuvre, agent de nettoyage, gardien de nuit, militaire, cadre sur les marchés financiers… • Milite à la CFTC depuis 1980. «Marié, deux enfants. • Loisir : la course.