Travail le dimanche : une législation ubuesque

Le Point, 7/12/12

Ubuesque. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier la situation qui résulte de l’actuelle législation sur l’ouverture des magasins le dimanche. Vendredi, le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny (Seine-Saint-Denis), saisi par FO pour ouverture illégale, vient d’autoriser deux magasins Castorama à Villetaneuse et Villemomble à continuer d’accueillir leurs clients le dimanche jusqu’au 15 mars, le temps d’essayer d’obtenir une autorisation du préfet.

Mais l’enseigne de bricolage ne doit pas seulement faire face à une fronde d’un syndicat. Elle doit aussi se défendre face à une autre plainte, d’un concurrent cette fois.

Condamnée fin octobre pour ouverture illégale de 32 magasins en Ile-de-France après une plainte de FO, Bricorama a en effet déposé des assignations en référé contre 8 magasins Castorama d’Ile-de-France (dont les deux visés par FO) ainsi que 12 de Leroy Merlin ouverts illégalement le dimanche. Objectif : les empêcher de récupérer sa clientèle dominicale. « Soit tous les magasins sont ouverts, soit ils sont tous fermés le dimanche », considère Jean-Claude Bourrelier, P-DG de Bricorama. Le jugement devrait être connu mardi 11 décembre.

Une législation à y perdre son latin

Menacée de devoir payer 37,7 millions d’euros à FO, soit plus que ses profits annuels, Bricorama mène en fait une croisade contre la législation sur le travail dominical, au prétexte qu’elle entraîne des distorsions de concurrence. 

Aux termes de la loi Chatel de 2008, les magasins d’ameublement peuvent ouvrir, quelle que soit leur implantation, mais pas les magasins de bricolage qui vendent parfois les mêmes produits… Pour compliquer encore la donne, la loi Mallié du 10 août 2009 instaure une dérogation permettant l’ouverture le dimanche d’autres magasins, s’ils se trouvent dans une zone touristique ou dans un des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (Puce). En pratique, ces derniers ne concernent que les régions parisienne, marseillaise et lilloise. Pour être autorisé à ouvrir, un magasin doit demander une dérogation individuelle au préfet sur demande du conseil municipal. Sauf que ces zones sont évidemment contestées par les enseignes qui n’en font pas partie, mais qui sont parfois distantes de quelques kilomètres !

Dans le cas de ses magasins de Villetaneuse et de Villemomble, Castorama espère qu’une autorisation d’ouverture dominicale lui sera accordée d’ici au 15 mars. « On a déjà obtenu le classement en Puce du côté de la municipalité, il ne manque plus que l’autorisation du préfet », a fait savoir l’enseigne.

Contreparties variables pour les salariés

Le statut juridique permettant l’ouverture le dimanche est d’autant plus important qu’il n’est pas neutre pour les salariés. Dans les zones touristiques, ils ne bénéficient d’aucune contrepartie financière et l’entreprise peut même les obliger à venir travailler. À l’inverse, dans les Puce, l’employeur doit doubler la rémunération, accorder un repos compensateur et s’assurer que le salarié est volontaire, même si ces contreparties peuvent être modifiées par la signature d’accords collectifs. C’est ce qui s’est passé dans nombre d’entreprises (Toys « R » US, Décathlon, etc.).

Si la législation actuelle n’est manifestement pas satisfaisante, le sujet est tellement sensible que le ministre du Travail, Michel Sapin, a exclu de rouvrir la boîte de Pandore. Le ministre du Travail dénonce l’attitude de Bricorama, qui « s’est mise dans une situation incroyable en s’obstinant à ne pas respecter la loi ».

Près de 30 % des salariés concernés

Au final, plus de 1,5 million de salariés (36,8 %) ont travaillé « occasionnellement » ou « habituellement » le dimanche dans le commerce de détail en 2011, selon la Dares. C’est plus que la proportion observée dans l’ensemble de la population (28,7 %). Mais en ce qui concerne ceux qui déclarent travailler « habituellement » le dimanche, ils sont plus nombreux dans l’ensemble de la population (13,2 %) que dans le commerce de détail. C’est parce que de nombreuses autres dérogations à la règle du repos dominical sont prévues, pour des raisons évidentes, dans le secteur médico-social, de la sécurité, de la restauration, de l’hôtellerie.


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