Travail de nuit et le dimanche : les enseignes mettent en avant l'emploi

Les enseignes ne renouvellent pas tellement leurs discours : d’après elles, il leur suffirait d’ouvrir le dimanche pour créer les myriades d’emplois qui rendraient enfin les gens tellement plus heureux en France, dans leurs cuisines Ikea, montées avec les tournevis Bricorama, avec leurs parfums Séphora. Ces champions du marketing se transforment en paragon de vertu, et assurent avec des cris à nous tirer des larmes que leur but ultime, leur vocation, l’appel qu’ils ont ressenti dans leur coeur, est de fournir de l’emploi aux travailleurs, et de fournir au citoyen de quoi meubler l’ennui de son dimanche.

Et c’est bien.

Ces mêmes enseignes oublient juste de nous parler des emplois qu’ils vont détruire. Dans toutes les entreprises concurrentes du même secteur, et dans toutes les autres qui seraient fermées le dimanche.

Ouvrir le dimanche, pour la grande distribution, c’est une façon de prendre des parts de marché à la distribution traditionnelle, qui n’ a pas les structures suffisantes pour une ouverture 7/7. Et en général, un emploi créé dans la grande distribution, c’est trois à quatre emplois détruits dans la distribution traditionnelle. Et c’est aussi un moyen de capter davantage les achats : un consommateur parti acheter un livre, devant sa librairie fermé, pourra consacrer l’agent du livre à un parfum Sephora (un petit), ouvert dimanche.

Les Echos, 4/12/12

Les contentieux opposant les syndicats de salariés et les entreprises de distribution sur le sujet de l’élargissement des horaires d’ouverture se multiplient. Le magasin Sephora des Champs-Elysées vient d’être à son tour assigné en justice sur la question du travail de nuit (jusqu’à 1 heure du matin) par l’intersyndicale Clic-P. Le tribunal de grande instance de Paris statuera en référé jeudi. De son côté,l’intersyndicale départementale, qui réunit, outre la CFTC, la CGT, FO, la CFDT, SUD et la CGC, a déjà attaqué plusieurs supérettes alimentaires qui ouvrent le dimanche à Paris. FO, lui, a assigné les enseignes de bricolage Bricorama et Castorama, toujours sur le sujet du dimanche, obligeant Bricorama à renoncer à l’ouverture dominicale.

Pour les organisations syndicales, il s’agit de questions de principe. « La loi doit être respectée, par tout le monde », a déclaré, pour sa part, hier, Michel Sapin, ministre du Travail. Les entreprises mettent, elles, en avant l’activité économique, ainsi que les gains en termes d’emploi. Dans une lettre ouverte publiée hier, les dirigeants de Sephora expliquent que le retour à une fermeture à 21 heures sur les Champs-Elysées amputerait le point de vente de 20 % de son chiffre d’affaires et « menacerait plus de 45 emplois ».

Pour le bricolage, la Fédération des magasins de bricolage (FMB) chiffre à 7.000 le nombre d’emplois équivalents temps plein (ETP) concernés par l’ouverture le dimanche des Bricorama, Castorama, Leroy Merlin et autres dans la seule région Ile-de-France. De son côté, l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV), qui représente, entre autres, les grands magasins, estime que si les Galeries Lafayette et le Printemps avaient le droit d’ouvrir le dimanche boulevard Haussmann à Paris, ce sont 1.000 emplois ETP qui seraient créés. A l’échelle de la France, l’UCV ne milite que pour offrir aux grands magasins la liberté d’ouvrir à leur guise de 10 à 12 dimanches par an. Contre 5 ouvertures aujourd’hui, soumises à l’autorisation des maires. « Dans l’hypothèse d’une ouverture moyenne de l’ordre d’une douzaine de dimanches par an, les études les plus prudentes évaluent, pour l’ensemble du commerce, les créations nettes à environ 20.000 emplois temps plein », indique Claude Boulle, son président exécutif.

Volontariat

Longtemps satisfaits de la possibilité d’ouvrir leurs supermarchés le dimanche matin, les distributeurs alimentaires aimeraient également pouvoir étendre à au moins 10 par an le nombre d’ouvertures dominicales. A chaque fois, le volontariat est l’usage et les salaires sont bonifiés (de 20 % à 30 % de plus après 21 heures chez Sephora, de 100 % le dimanche aux Galeries Lafayette). Selon les enseignes, les arguments varient. Les magasins de bricolage veulent s’aligner sur les grandes surfaces d’ameublement. Les grands magasins, comme Sephora sur les Champs-Elysées, visent la clientèle touristique. Tous les distributeurs soulignent la distorsion de concurrence avec l’e-commerce, ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. (alors que celle-ci n’existe pas !. ndlr)

Sur le plan légal, le code du travail autorise quelques dérogations exceptionnelles et la loi Maillé sur le travail dominical des dérogations de droit. Au final, selon l’attitude des syndicats ou les zones géographiques, la question de l’élargissement des horaires d’ouverture des commerces est traité en France de façon très hétérogène. « L’industrie bénéficie depuis longtemps de beaucoup plus de souplesse », rappelle Claude Boulle.

Philippe Bertrand

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