Le travail le dimanche fait bouillir le Sénat

 

Les Nouvelles – Écrit par Arnaud Bihel – Jeudi, 17 Novembre 2011 18:13

Deux ans après la « loi Mallié » étendant le champ du travail dominical, une proposition de loi visant à encadrer ce texte a donné lieu à de vifs échanges au Sénat. Le bilan de cette loi Mallié, justement publié la veille, est moins tranché.

Il y a un mois, les « guerrières d’Albertville » obtenaient gain de cause. Ces salariées d’un magasin Ed-Dia avaient fait grève chaque dimanche, pendant deux ans, contre l’ouverture dominicale de leur établissement. Les élues communistes qui les soutenaient promettaient une suite politique à ce combat syndical. Promesse tenue. Mercredi 16 novembre, deux heures étaient prévues pour l’étude au Sénat d’une proposition de loi communiste « garantissant le droit au repos dominical », visant à encadrer la « loi Mallié ». Au bout de quatre heures d’un débat souvent virulent, les sénateurs n’avaient pas encore entamé l’examen des articles du texte. Ils devront y revenir le 9 décembre.

Revenir sur les excès de la loi

La loi Mallié, entrée en vigueur en août 2009, et contestée depuis lors, étend le champ du travail dominical en instaurant des dérogations dans certaines zones classées touristiques et en établissant des PUCE, périmètres d’usage de consommation exceptionnelle.

L’exemple des « guerrières d’Albertville » a tenu lieu de fil rouge du débat au Sénat. « La direction du magasin Ed-Dia d’Albertville tirait au sort les prétendus volontaires pour travailler le dimanche ! Ce, pour cinq euros ! », tonne la rédactrice de la proposition de loi, Isabelle Pasquet. « Notre proposition de loi revient sur les excès de la loi Mallié, sans prétendre interdire tout travail le dimanche », justifie la sénatrice communiste. Le texte entend mieux encadrer les dérogations et de renforcer les garanties et protections de salariés.

Xavier Bertrand à l’attaque

Dans un Sénat désormais à majorité de gauche, c’est le ministre du Travail qui s’est montré le plus virulent. Employant « un ton inhabituel au Sénat », observe d’ailleurs la chaîne Public Sénat. « Si cette proposition de loi voyait le jour, 250 000 emplois dans notre pays seraient menacés immédiatement. 250 000 emplois », assure Xavier Bertrand qui attaque : « Vous voulez tout casser, tout fermer. » Ou encore : « Les Français savent que leur emploi est peut-être menacé par la crise, mais voir qu’il l’est par une proposition de loi communiste, c’est intolérable ! »

« On se croirait à un meeting UMP de campagne présidentielle », contre-attaque Annie David, présidente de la Commission des affaires sociales du Sénat.

Et comme dans tout meeting, la mauvaise foi est de mise. Car ce chiffre de 250 000 emplois concernés, utilisé par Xavier Bertrand, est « largement surestimé » : voilà ce que disait un rapport parlementaire dressant un premier bilan de la loi de 2009, et publié pas plus tard que la veille (1).

Un bilan plus nuancé

Ce raport devait, selon la loi, être publié au plus tard un an après l’application de la loi. Il lui aura fallu plus de deux ans pour voir le jour. Si le bilan qu’il dresse est loin d’être aussi alarmiste que celui dressé par les sénateurs communistes, il est surtout flou, car la plupart des données manquent encore.

A la tête du comité chargé du rapport, Pierre Méhaignerie minimise les conséquences de la loi Mallié : sa mise en œuvre « n’a pas entraîné l’explosion annoncée du nombre des zones ou communes d’intérêt touristiques où les dérogations au principe du repos dominical sont possibles. » L’impact de la loi reste limité par rapport au nombre total de personnes qui travaillaient déjà le dimanche(2).

Mais le rapport constate que des points noirs existent, comme « l’existence d’accords ne garantissant pas totalement le volontariat de leurs salariés ». Et note une « augmentation des pratiques d’ouverture le dimanche après-midi de certaines enseignes de supermarchés ou supérettes » en toute illégalité.

Avec en toile de fond la question récurrente du manque de moyens dédiés aux contrôles. Le rapport ne peut que le constater : « les inspecteurs du travail ne peuvent pas contrôler tous les magasins ouverts illégalement ».

Pour aller plus loin :

Le dossier législatif, sur le site du Sénat, de la proposition de loi « garantissant le droit au repos dominical ».

(1) C’est la grande braderie sur les chiffres cette semaine pour Xavier Bertand : Libération souligne dans le même temps ses exagérations sur les conséquences pour l’emploi de la sortie du nucléaire.

(2) Selon l’enquête emploi 2009 de l’INSEE, 27,5 % des salariés, soit 6,24 millions, travaillent le dimanche, dont 3,47 millions de façon occasionnelle et 2,78 millions de façon habituelle.

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