Gérard Filloche veut reconstruire le Code du Travail

Gérard Filloche est inspecteur du travail. Comme beaucoup, il constate les dérives actuelles du marché du travail, et propose de prendre 10 mesures correctives.

Parmi celles ci, la première est de renforcer le principe du repos dominical. Mais pas en promulguant une loi-carabistouille, qui en pose le principe pour mieux l’affaiblir par la suite. 

Démocratie et Socialisme, 15/04/10

Reconstruire le Code du travail en 10 points prioritaires

1°) Réduire la durée légale et maxima du travail : 35 h légales, 44 h maxima, 5 jours de travail et 2 jours de repos consécutifs par semaine.

[…] La durée du travail légale annuelle sera rétablie à 1600 h annuelles, le « forfait jour » sera abrogé, le temps de repos quotidien porté à 13 h, tout sera mis en œuvre pour que toutes les heures de travail effectif soient comptabilisées de façon fiable et transparente, contrôlables par les salariés eux-mêmes, les syndicats et l’inspection du travail.

Les sanctions aux délits de « travail dissimulé » seront majorées et appliquées. Nous rétablirons, sauf cas de force majeure, les deux jours de repos consécutifs hebdomadaires et le principe du repos dominical sera renforcé. En cas de dérogation exceptionnelle, il sera attribué une majoration de 100 % ainsi que pour le travail de nuit, afin d’en rendre l’usage dissuasif pour les femmes et les hommes.

De façon générale, les travaux du dimanche et de nuit seront soumis à dérogation et à contrôle : l’interdiction aux mineurs sera rétablie. Les aides publiques pour les 35 h seront réservées aux petites et moyennes entreprises (moins de 50 salariés) et seront versées en proportion du nombre d’embauches réalisées et maintenues, suite à la réduction réelle du temps de travail. Ces aides seront distinctes selon les seuils sociaux (moins de 10 salariés, moins de 20 salariés et moins de 50). Elles feront l’objet d’une « convention » avec la puissance publique, elles seront liées au respect du Code du travail, blocables avec effet immédiat, et restituables comme toute aide en cas d’infraction aux accords passés. […]

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1°) Réduire la durée légale et maxima du travail : 35 h légales, 44 h maxima, 5 jours de travail et 2 jours de repos consécutifs par semaine. La première préoccupation est de réduire la durée réelle de la semaine de travail au plus prés de la durée légale de 35 h et de la poursuivre en lien avec la santé des salariés et avec l’emploi de tous. Le « temps de travail effectif » sera défini comme le « temps où le salarié est subordonné à l’employeur ». Il intégrera ainsi les pauses forcées, les temps des trajets imposés, d’habillage obligatoire et de casse-croûte indispensables sur le lieu de travail en journée continue.

Les heures supplémentaires doivent redevenir « ponctuelles et imprévisibles », donc exceptionnelles, (selon un accord signé par le patronat le 31 octobre 1995). Elles doivent être majorées de 50 % pour les 5 premières heures et de 100 % pour les suivantes de façon à les rendre plus coûteuses que l’embauche. Le contingent annuel d’heures supplémentaires doit, dans un premier temps, revenir à 130 heures et, par la suite, être réduit à 100 heures.

La durée du travail légale annuelle sera rétablie à 1600 h annuelles, le « forfait jour » sera abrogé, le temps de repos quotidien porté à 13 h, tout sera mis en œuvre pour que toutes les heures de travail effectif soient comptabilisées de façon fiable et transparente, contrôlables par les salariés eux-mêmes, les syndicats et l’inspection du travail.

Les sanctions aux délits de « travail dissimulé » seront majorées et appliquées. Nous rétablirons, sauf cas de force majeure, les deux jours de repos consécutifs hebdomadaires et le principe du repos dominical sera renforcé. En cas de dérogation exceptionnelle, il sera attribué une majoration de 100 % ainsi que pour le travail de nuit, afin d’en rendre l’usage dissuasif pour les femmes et les hommes.

De façon générale, les travaux du dimanche et de nuit seront soumis à dérogation et à contrôle : l’interdiction aux mineurs sera rétablie. Les aides publiques pour les 35 h seront réservées aux petites et moyennes entreprises (moins de 50 salariés) et seront versées en proportion du nombre d’embauches réalisées et maintenues, suite à la réduction réelle du temps de travail. Ces aides seront distinctes selon les seuils sociaux (moins de 10 salariés, moins de 20 salariés et moins de 50). Elles feront l’objet d’une « convention » avec la puissance publique, elles seront liées au respect du Code du travail, blocables avec effet immédiat, et restituables comme toute aide en cas d’infraction aux accords passés.

2°) Stopper la précarité en instaurant un plafond de précaires par entreprise : la loi fixera un quota maximal d’intérimaires et de contrats à durée déterminée égal à 5 % maxi des effectifs dans les entreprises de plus de 20 salariés sauf dérogation exceptionnelle préalable.

La loi augmentera l’indemnité de précarité d’emploi pour la rendre dissuasive : dans un premier temps à 15 %, pour les CDD comme pour l’intérim. L’usage de contrats précaires sur des postes permanents sera plus durement sanctionné. La requalification en CDI de CDD successifs sera facilitée autant pour le secteur public que pour le privé.

La durée d’un CDD et de tout contrat précaire sans exception sera au maximum d’un an et au-delà sera requalifié automatiquement en CDI. Les périodes d’essai seront ramenées à 3 mois maximum.

Tout allègement des cotisations sociales encourageant les emplois à temps partiel et précaires sera supprimé.

La loi établira une complète égalité des droits entre salariés à temps plein et salariés à temps partiel, organisant la priorité pour revenir à temps plein.

Elle limitera à 1 h au maximum l’interruption entre deux plages de travail au cours d’une même journée, pour tout temps partiel, avec pénalité forte en cas d’infraction.

Elle encadrera le temps partiel, freinera les abus, empêchera qu’il soit un ghetto subi pour les femmes et non qualifiés, le valorisera de façon à ce qu’il ne soit pas le lot des « travailleuses pauvres ».

3°) Établir un nouveau contrôle administratif sur les licenciements : en 1986, la droite avait supprimé le précédent contrôle de l’administration sur les licenciements qu’elle avait elle-même instauré en 1975 et dont les prémices existaient depuis 1945. L’inspection du travail, saisie par un syndicat, pourra suspendre la procédure dès lors qu’il y a « un doute manifeste » sur le bien fondé du licenciement. Le salarié restera dans l’entreprise et si l’employeur veut poursuivre la procédure, ce sera à lui d’apporter la preuve de son bien fondé devant le juge concerné.

Pour les licenciements collectifs, la « loi de modernisation sociale » sera rétablie et améliorée de façon à donner à la puissance publique les moyens d’interdire effectivement, les délocalisations et licenciements boursiers, spéculatifs, ne reposant pas sur des difficultés économiques réelles et sérieuses.

Le contrôle et la taxation massive des déloc
alisations boursières et des externalisations artificielles est l’arme par excellence contre l’avidité du capital financier. Si l’existence de réelles difficultés économiques est reconnue, l’inspection du travail pourra rendre la procédure « nulle et de nul effet » en dressant un « constat de carence » dans un délai de huit jours après la fin de toutes les procédures, lorsque « les mesures visant au reclassement sont insuffisantes », sauf si le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, à la majorité, constatent que l’employeur a fait les efforts nécessaires en matière de reclassement et d’indemnisation des salariés concernés et qu’il a mené une politique active de ré-industrialisation du bassin d’emplois touché par la fermeture éventuelle du site.

4°) Réguler la sous-traitance : contre les « externalisations » artificielles, les cascades de sous-traitance organisées par des grands groupes pour contourner les seuils et droits sociaux. Conduire une politique nouvelle de régulation et de protection pour 97 % des entreprises avec trois mesures essentielles : 
- Rendre pénalement et civilement, économiquement responsable de façon incontournable le donneur d’ordre de pour que celui-ci ne puisse passer des marchés à des conditions avilissantes et se dégager des conséquences qui en résultent. 
- Aligner les conventions collectives des sous traitants sur celle du donneur d’ordre le temps de l’exécution des marchés, selon le principe existant déjà dans le Code du travail pour les CDD et les intérimaires. 
- Faciliter la reconnaissance des unités économiques et sociales (UES), et la lutte contre les fausses franchises, l’éclatement artificiel des établissements, le faux travail indépendant, le marchandage et le prêt illicite de main d’œuvre.

Cela revient à abroger les lois Madelin, Fillon, Dutreil, Larcher, des pseudo « auto entrepreneurs » qui ont encouragé les « découpes » d’entreprise, et toutes les formes de recours à la sous-traitance dérégulée permettant à des donneurs d’ordre de surexploiter les artisans, ou petites entreprises privées de réelle autonomie et de droits pour leurs salariés, poussées notamment à utiliser du travail illégal dissimulé.

5°) Redévelopper la démocratie syndicale et sociale. Il dépend d’une volonté républicaine de redonner toute leur place dans notre pays aux syndicats. Les syndicats, indispensables à la vie démocratique et sociale, ont été atteints et diminués par la montée du chômage, par une très vive répression patronale, par la déréglementation des droits du travail. C’est au législateur de corriger ce déséquilibre nuisible à toutes les relations sociales. Il faut leur redonner les moyens juridiques, moraux et matériels de jouer un rôle de premier plan.

Pour donner une légitimité démocratique à la représentation syndicale, les élections prud’homales et les élections qui seront rétablies et étendues à la gestion de toutes les caisses de protection sociale (Sécu, chômage, retraites, accidents du travail et maladie professionnelle, allocations familiales), devront se tenir le même jour, une fois tous les 5 ans. Ce jour sera chômé afin que chacun puisse voter librement.

Les syndicats seront aidés financièrement par la puissance publique pour pouvoir défendre leurs points de vue et solutions dans de vraies campagnes électorales, citoyennes, éducatives. Ce financement public ne saurait se substituer aux cotisations ni mettre en cause l’indépendance syndicale, il viendra en complément et en proportion des adhérents réels et du nombre de voix obtenues aux différentes élections.

Les élections professionnelles et celles des comités paritaires de la fonction publique seront organisées à dates fixes le même jour, tous les deux ans au plus, dans chaque branche, de façon à permettre popularisation et intérêt pour celles-ci.

6°) Renforcer les moyens et les pouvoirs des instances représentatives du personnel. Le redéploiement de la démocratie sociale nécessite une extension des missions des Comités d’entreprise et, à défaut, une extension des missions et moyens des délégués du personnel (DP : entreprises de plus de 10 employés) et des conseillers du salarié (entreprises ou il n’y a pas de DP).

Les comités d’entreprises, élus tous les deux ans au plus, ne seront plus seulement consultés, mais ils pourront sur certaines questions donner un « avis conforme » sans lequel l’employeur ne pourra imposer sa décision. Cela rétablira une obligation de négocier, avec des résultats. Cela portera sur des questions clés et délimitées : horaires, application des conventions collectives, pour lesquelles, l’employeur ne pourra pas imposer ses décisions sans avoir obtenu l’avis préalable et conforme de ces instances, comme c’est déjà le cas pour les comités d’entreprise (à propos des modifications d’horaires individualisés et de changement de centre de médecine du travail).

Les conseillers du salarié se verront augmenter en nombre, en moyens, crédit d’heures, avec la possibilité d’être saisis par les salariés, là où il n’y a pas de délégués du personnel, et d’intervenir légalement comme interlocuteurs des employeurs sur les questions ayant trait à l’application du droit et des conventions collectives.

7°) Développer l’hygiène et la sécurité au travail. Protéger la santé au travail en lien avec la réduction du temps de travail et le recul de la précarité est un aspect décisif de l’ordre public social. Nous prendrons toutes les mesures pour réparer complètement, ce qui est loin d’être le cas, les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Nous re-développerons la prévention, et donnerons toute son indépendance à la médecine du travail. Le taux d’exposition aux risques étant plus élevé dans les petites entreprises, il faut abaisser les seuils à 20 salariés, initier des Comités « hygiène, sécurité et conditions de travail » (CHSCT) de site et de branche, départementaux, donner davantage d’heures de délégation, une meilleure formation de qualité, et un budget. Les CHSCT, c’est la prise en main par les travailleurs concernés de leur propre sécurité, la meilleure prévention pourvu qu’ils aient les moyens humains et matériels de faire face à toutes leurs obligations.

Les CHSCT seront élus et non plus désignés, auront un budget et un statut propre, dans toutes les entreprises de plus de 20 salariés, leurs membres seront formés et disposeront de crédits d’heures suffisants pour exercer leur mission assurant tous les domaines de la sécurité au travail prévus dans leurs fonctions. Une « obligation de faire » sera instaurée en matière d’hygiène sécurité.

8°) Stop aux discriminations. Donner les moyens aux institutions, syndicats, IRP, inspecteurs du travail, prud’hommes, tribunal pénal, d’agir contre et de sanctionner toutes les formes de discrimination et de harcèlement au travail et dans l’entreprise. Cela concernera les discriminations syndicales en premier chef mais aussi à l’égard des immigrés, des jeunes, seniors, ou contre les syndicats, ou à l’égard des orientations sexuelles. A commencer par les discriminations à l’égard de femmes, en matière de salaires, de promotions et de congés maternité.

L’égalité salariale devra être établie par la loi partout en un délai d’un an sous peine d’astreintes et de lo
urdes sanctions financières.

Les conventions collectives devront comporter des chapitres obligatoires sur l’évolution des carrières, des qualifications, des niveaux, échelons et coefficients salariaux, pour tous et toutes explicitement selon les grilles de métiers et les expériences acquises.

Les femmes de retour de congés maternité devront retrouver un poste identique et seront protégées pendant 18 mois après leur retour.

9°) Pour une vraie Sécurité sociale professionnelle, quatre droits fondamentaux constitutifs seront mis en œuvre : 
- Le droit au reclassement – Le droit au revenu – Le droit à la protection sociale – Le droit à la formation continue

La formation des salariés tout au long de la vie ne doit pas être un prétexte du patronat, pour licencier. Il ne s’agit pas d’échanger une sécurité de l’emploi pour l’ombre d’un reclassement aléatoire. Ni de permettre au patronat de rejeter la formation hors du temps de travail et de ne pas en payer le coût. Les formations des demandeurs d’emploi doivent être rétribuées dans les mêmes conditions que le chômage : 75 % des derniers salaires. Ce droit sera financé dans le cadre du droit au revenu de la Sécurité sociale professionnelle, de l’assurance maladie et de la retraite.

Cela impose la création d’un grand service public de la formation professionnelle doté des moyens nécessaires, tant humains que financiers permettant de délivrer des certifications reconnues par l’Etat et intégrées dans les conventions collectives.

Ce droit à la formation ne doit pas permettre de légitimer l’abaissement du niveau du socle minimum de connaissances que l’école doit permettre à chacun d’acquérir, sous prétexte que la formation continue serait d’autant plus développée que la formation initiale aurait été courte. Il faut rappeler à ce sujet pour éviter tout dérapage, que rien ne vaut une formation initiale de qualité.

Pour une bonne Sécurité sociale professionnelle, il est nécessaire d’écarter deux illusions.

La première illusion : considérer que la mobilité de l’emploi est une conséquence inéluctable des mutations technologiques.

La deuxième illusion : croire que la Sécurité sociale professionnelle puisse se substituer à la lutte contre les licenciements abusifs et pour le plein emploi.

Une véritable sécurité sociale professionnelle devra s’accompagner de toutes les mesures destinées à sécuriser l’emploi. Il s’agit d’un droit lié à la personne qui n’est pas contradictoire ni substituable mais complémentaire aux droits liés au contrat de travail.

10°) Renforcer les moyens de l’Inspection du travail.L’établissement d’un réel contrôle par la République sur le pouvoir des employeurs et des actionnaires demandera un accroissement substantiel des effectifs et des moyens de l’inspection du travail.

Le nombre de sections d’inspection sera au moins doublé pour permettre le respect des droits des 16 millions de salariés actifs dans le secteur privé. Il s’agit d’un choix de société : les lois de la République doivent l’emporter sur le marché, l’État de droit doit régner dans les entreprises comme ailleurs. Il faut remplacer la fumeuse « main invisible du marché » par la citoyenne « main visible de la démocratie ». Le bon combat c’est celui pour que l’économie soit subordonnée aux besoins des humains et pas l’inverse.

Toute cette bataille pour un nouvel ordre public social, devra être accompagné d’un renforcement du droit pénal du travail : sanctions effectives plus fortes, directives aux Parquets plus strictes contre la délinquance patronale. Il est insupportable pour une société équilibrée que « ceux d’en haut », et parmi eux, les chefs d’entreprise, ne montrent pas l’exemple, alors que les sanctions tombent drues sur les jeunes des banlieues sans travail et sans avenir.

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