Le travail dominical va être généralisé

La loi, ce n’est pas que de grandes déclarations. C’est souvent dans le fourbi d’obscures dispositions, dans le micmac des formulations administratives, que nos vies sont changées de fond en comble. Le diable se cache dans les détails. Le texte sur le travaille dimanche en est une nouvelle preuve. Cette proposition de loi, votée à une courte majorité mercredi dernier à l’Assemblée nationale, et que le Sénat examine à partir d’aujourd’hui, n’est en rien un simple toilettage technique des dérogations autorisant le travaille dimanche. Aussi, nous souhaitons faire notre travail de parlementaires et expliquer de quoi il retourne exactement.

Tous les salariés, de tous les commerces, de toutes les villes dites «d’intérét touristique», sur tout le territoire, devront travailler le dimanche. Dans ces communes, le travail dominical sera de droit. La notion juridique de «commune d’intérêt touristique» est une improvisation de dernière minute sans définition claire. En l’état, il est impossible de savoir si ces villes seront plutôt 500, ou 6 000. Toutefois, la France étant la première destination touristique au monde, il semblerait logique qu’on se rapproche de l’estimation haute. Et, quel que soit le nombre de ces communes, toutes les grandes villes de France seront concernées, donc la majorité des Français. Dans la capitale elle-même, alors que la création de «zones touristiques d’affluence exceptionnelle» était soumise à l’approbation des élus locaux, désormais ce sera le préfet qui décidera seul en lieu et place des élus, remettant ainsi en cause leur légitimité démocratique. Alors, oui, on peut dire sans exagérer que cette loi généralise le travaille dimanche.

Pire, contrairement aux idées reçues et aux affirmations gouvernementales, pour tous ces travailleurs du dimanche, il n’y aura ni doublement du salaire, ni jour de repos compensateur. Seuls les salariés des grands centres commerciaux autour de Paris, Lille et Marseille (dans les périmètres urbain de consommation exceptionnelle), et ceux qui ne travaillent que cinq dimanches par an, pourront bénéficier de contreparties. Car c’est bien la finalité de cette banalisation du travail le dimanche: fournir de la main-d’oeuvre pas chère, imposer de «travailler plus pour gagner moins». Faire ainsi que le dimanche devienne un jour de travail comme les autres.

Enfin, comment croire que les salariés auront le choix ? Dans les communes «d’intérêt touristique», le travail dominical deviendra de droit, soumis à la volonté de l’employeur. Dans les autres communes, le principe affirmé du volontariat ne résistera pas aux faits. En pleine crise, avec 2,5 millions de chômeurs, les salariés pourront-ils vraiment refuser de travailler le dimanche quand on le leur demandera? Dans la «vraie vie», nous savons bien que ça ne se passe pas comme ça.

Face à cette réalité, monsieur Darcos, ministre des Affaires sociales en service très commandé, ose nous parler d’un texte de «bon sens» «tout a été fait pour que les salariés soient protégés» ! Ce gouvernement justifie la systématisation du travail dominical par la croissance et l’emploi. Cet argument ne résiste pas aux études socio-économiques qui démontrent toutes qu’il n’y aura pas d’augmentation, mais seulement un transfert d’activité. Au lieu de consommer la semaine ou le samedi, on consommera le dimanche. Ni plus, ni moins … mais pas au même endroit. Les commerces de proximité, les marchés, tout ce qui fait la vie de nos centres-villes, seront délaissés au profit des grands complexes commerciaux de périphérie. D’ailleurs. une soixantaine de députés de la majorité ont estimé que pour «un emploi créé dans la grande distribution, on en détruit trois dans le commerce au détail». On aura donc moins d’activité et moins d’emplois.

Mais au-delà de ces considérations, conscient des risques politiques. le gouvernement choisi d’ignorer complètement la principale question induite par cette loi, à savoir : dans quelle société voulons-nous vivre ? Que l’on soit de droite ou de gauche, jeune ou vieux, riche ou pauvre, croyant ou athée, vivant en couple ou célibataire, la famille, les amis, les loisirs, les activités culturelles, l’engagement associatif, l’épanouissement personnel, le lien social, la transmission entre les générations … le dimanche, c’est d’abord ça !

Ce sont des pans entiers, non matériels, de notre façon de vivre, collectivement et individuellement, qui reposent largement sur ce temps disponible que nous offre le dimanche. Le dimanche, c’est ce que les Français ont en commun. Et, c’est précisément parce qu’il est commun au plus grand nombre que c’est le moment où les Français peuvent se rencontrer. Priver les Français de ce «moment commun», c’est  organiser sciemment le délitement de notre société dans son ensemble et de la cellule  familiale en particulier.

Aujourd’hui, les sénatrices et les sénateurs vont, en leur âme et conscience, exercer de manière républicaine leur mandat législatif de représentants nationaux, et décider de l’avenir de ce «moment commun».

Raymonde LE TEXlER, Annie JARRAUD-VERGNOLLE vice-présidentes de la commission des affaires sociales du Sénat, Christiane DEMONTES, Bariza KHIARI et Jean-Pierre CAFFET sénateurs socialistes.

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