Travail dominical: encore un sondage qui tombe à pic

Médiapart, 15/12/08 – Mathieu Magnaudeix

Quand une mesure gouvernementale est en difficulté, il se trouve toujours un journal pour faire passer de bien utiles contrefeux.

Le travail dominical, cette mesuresi chère (jusqu’à l’obsession) à Nicolas Sarkozy en est la parfaite illustration. Car sur ce dossier-là, ça coince. Nicolas Sarkozy est en délicatesse avec une partie de sa majorité, si bien que le patron du groupe UMP de l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, a cru utile de proposer, lundi 15 décembre, un «compromis». Pour des raisons parfois fort diverses, un groupe d’une cinquantaine de députés continuent de refuser de voter tout assouplissement de la législation en vigueur. Lundi après-midi, le chef de l’Etat va donc recevoir ces récalcitrants pour précher la bonne parole. Son objectif: permettre que l’examen du texte commence dès le lendemain, sitôt terminé l’examen de la loi sur l’audiovisuel public.

Le travail de persuasion a commencé depuis de longs mois. Le groupe UMP débat depuis plus d’un an et les réunions sont souvent houleuses. Le travail de l’opinion est tout aussi systématique.

Mediapart vous a déjà raconté cette drôle de journée du dimanche 12 octobre, quand les deux ministres, Luc Chatel et Xavier Bertrand, se sont rendus dans un centre commercial de banlieue parsisienne sous l’oeil des caméras dûment conviées. Le même jour, Xavier Bertrand avait été invité sur France 2 pour commenter un sondage IFOP du Journal du Dimanche qui tombait décidément fort bien.

Il annonçait que 67% des Français accepteraient de travailler le dimanche si leur employeur le leur proposait.

Ce que le JDD omettait de mentionner, c’est une autre question posée dans le même sondage. «Vous savez qu’aujourd’hui la plupart des magasins n’ont pas le droit d’ouvrir le dimanche. Personnellement, êtes-vous favorable à un assouplissement de la législation sur le sujet, afin que des magasins puissent ouvrir le dimanche?» Une question à laquelle 57% des personnes interrogées avaient cette fois répondu non !

Vendredi 12 décembre, c’est un autre quotidien, Le Figaro qui a brillé dans la défense du travail dominical. «Deux Français sur trois favorables à l’ouverture des magasins le dimanche», proclamait le quotidien à sa une. Sondage fort opportun, placardé en une du journal le plus sarkozyste de France. Assurément, de quoi faire réfléchir les Français et les frondeurs de l’UMP au cours du week-end.

Sur son blog, le député UMP des Bouches-du-Rhône Richard Mallié, qui bataille depuis des mois pour convaincre son groupe de voter sa proposition de loi, peut laisser éclater sa joie. «66% des Français sont favorables à l’ouverture des commerces le dimanche», exulte-t-il.

Mais quand on s’aventure à regarder d’un peu plus près le sondage en question, réalisé par l’institut Opinion Way, on se dit pourtant que ces fameux 66% ne peuvent pas être pris au pied de la lettre. Non pas qu’ils sortent de nulle part. Une majorité des personnes interrogées par Opinion Way pour ce sondage s’est bel et bien déclarée favorable ou très favorable à «autoriser tous les commerces à ouvrir le dimanche s’ils le souhaitent.»

 

Mais comme toujours en matière de sondages, il est très intéressant de détailler la méthodologie.

66%… d’internautes!

Comme l’indique la fiche technique du sondage, cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 999 personnes, «représentatives de la population française». Mais représentatives jusqu’à quel point? Opinion Way utilise pour ce genre d’enquêtes une méthode particulière, surnomée « Cawi ». « Cawi » pour « Computer Assisted Web Interview ». Comme son nom l’indique (« web »), ce genre d’enquête est réalisée en ligne. «Nous avons un panel de 50.000 internautes qui ont accepté de répondre à nos enquêtes», explique Hugues Cazenave, président d’Opinion Way. Ces internautes sont rémunérés«entre 50 centimes et 1,50 euro par enquête».

Pour cette étude, énième «vague» d’un sondage politique lancé en 2007 pour la campagne présidentielle et commandé par LCI et Le Figaro, 999 internautes puisés dans ce panel ont donc été interrogés.«Ils sont représentatifs de la population française, sociologiquement nous reproduisons les quotas de l’Insee», affirme Hugues Cazenave.

Problème: sur son site internet (cawi.fr), la société Gide, une des entreprises qui commercialisent le logiciel qui permet d’établir les questionnaires envoyés aux internautes (elle travaille pour la plupart des grands institiuts de sondage), le reconnaît elle-même: s’ils sont économiques («l’internaute saisit lui-même ses réponses»), rapides («le suivi des données séffectue en temps réel») ces sondages ne sont pas d’une fiabilité à toute épreuve.

La cible n’est donc «pas représentative» puisque tout le monde n’a pas Internet chez soi. Il est difficile de contrôler la «véracité des réponses et l’identité des répondants». Mieux: «Le Cawi est le moyen privilégié pour sonder les internautes, les jeunes et la population active.»

C’est-à-dire, sans faire de sociologie de comptoir, a priori les gens les plus urbains et les plus mobiles, donc ceux qui peuvent être le plus favorables au travail le dimanche.

«En terme d’enquête politique, les enquêtes sur Internet et les enquêtes par téléphone par exemple ne donnent pas des résultats très éloignés», affirme Hugues Cazenave d’Opinion WayPour autant, admet-il, «les questionnaires sur Internet ne sont ni plus fiables ni moins fiables que n’importe quelle enquêteEnsuite, chacun les utilise en fonction de ce qu’il veut dire. C »est la liberté de la presse.»

Conclusion: une nouvelle fois, c’est un sondage pas complètement faux mais vraiment loin d’être tout à fait juste qui faisait, vendredi, la une du Figaro. On se demande vraiment à quoi bon le hisser là. A moins qu’il y ait des messages à faire passer.

{mosdocument pdf/opinionway1112.pdf}Lire le « sondage » du Figaro{/mosdocument}

 

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