Art de vivre, ouvert 7 jours sur 7 et en toute illégalité

Où l’on voit qu’Erik Vautrin, directeur du la librairie le grand cercle d’Eragny, n’est pas le philanthrope qu’il déclare être. Assez loin de là, même.

Libération, 10/11/08 – JULIA PASCUAL

Ce centre commercial du Val-d’Oise contourne les décisions de justice.

«Le samedi, on court. On fait nos courses, on amène les enfants au sport, on n’a pas le temps.» Pour Frédéric et Sandrine, le dimanche est un jour idéal pour se promener dans les rayons du magasin de jouets Toys’R’Us, au centre commercial Art de vivre d’Eragny (Val-d’Oise). Hier, ils n’ont rien acheté mais ont repéré les cadeaux de Noël de leurs enfants. Ils sont venus de la commune voisine d’Herblay exprès car ils savent qu’ici, c’est ouvert le dimanche. Ils savent aussi que cette ouverture dominicale est illégale. Il y aurait une vingtaine de zones commerciales dans ce cas, selon le député Richard Mallié, auteur de la proposition de loi sur le travail dominical. Depuis quelques mois, de grandes enseignes d’Art de vivre ont d’ailleurs été attaquées par le syndicat FO pour «emploi illégal de salariés le dimanche». C’est le cas de Conforama ou de Planète Saturn.

«Bienveillant». Le Grand Cercle, la librairie de 3 000 m2 qui existe depuis quinze ans, est aussi ouvert sans autorisation. «Sous l’œil bienveillant des autorités locales», note son patron, Erik Vautrin. FO a assigné en justice l’enseigne. Le 5 août, le TGI de Pontoise condamne la librairie à payer une astreinte de 10 000 euros par dimanche ouvert. Vautrin fait appel et, pour gagner du temps, obtient une dérogation préfectorale lui permettant d’ouvrir au motif du «préjudice au public et atteinte au fonctionnement de l’entreprise». FO attaque la dérogation, qui est de fait suspendue. «Ils considéraient qu’il y avait préjudice au public parce qu’ils disent assumer un rôle d’animateur culturel dans la région», détaille Me Vincent Lecourt, avocat du syndicat. Avant d’ironiser : «Ils ont eu trois dédicaces de bouquins dans l’année.» Chantal et Claude sont clients du Grand Cercle. Ils y viennent presque tous les dimanches. Une fermeture ne les arrangerait pas : «Le repos dominical, c’est catholique», râle Claude, avant d’être repris par sa compagne : «C’est pas normal de travailler le dimanche pour gagner plus. On ferait mieux d’augmenter les salaires. Nous, on est bien content de pouvoir venir, mais c’est purement égoïste.»

«Chantage». Mais l’intérêt du client n’est pas le seul argument d’Erik Vautrin : «Le dimanche, c’est 23 % du chiffre d’affaires. Si je ferme, je devrai licencier 50 de mes 160 salariés. Et je risque la cessation de paiement.» Pour FO, ces arguments ne sont que «propagande et chantage au licenciement». En attendant «la clémence des juges» et la loi Mallié, Vautrin fait signer des pétitions à ses clients et propose un référendum aux salariés : «95 % ont voté pour le travail dominical», se vante-t-il. Les plus ardents se sont même organisés en association. «Ici tout le monde travaille sur la base du volontariat et avec une majoration de salaire de 75 %», martèle-t-il. «C’était seulement 50 % jusqu’à cette année» , rectifie Alexandre Duflos, délégué du personnel FO, seul syndicat représenté au Grand Cercle. «A côté de ça, il n’y a pas de 13e mois et on a eu 140 euros de prime en 2007.» Surtout, contrairement à d’autres, les salariés qui travaillent le dimanche n’ont pas été augmentés cette année. Carole, vendeuse au rayon jeunesse, confirme. On reprend d’une main ce qu’on a donné de l’autre.

Dans les autres magasins d’Art de vivre, la majoration des salaires varie selon les enseignes. Christophe, smicard et vendeur chez Toys’R’Us, a choisi de travailler le dimanche car il est payé double. Chez Pier Import, par contre, on est payé comme un lundi. Fabrice le directeur adjoint du magasin, aimerait qu’une loi fixe le montant de la majoration salariale. Dommage que celle qui se prépare en ce moment ait éludé la question.

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