Pas de villes sans commerces

Un article paru dans le journal Le Monde

La commission Attali vient de relancer – et avec quelle vigueur ! – le débat sur la consommation et le commerce. Les objectifs : libérer la croissance et renforcer le pouvoir d’achat. Les moyens : suppression des marges arrière dans la grande distribution, libération de mètres carrés commerciaux, ouverture du dimanche.

Ce qui frappe dans tous ces discours, c’est une absence : celle de la ville, où pourtant la plus grande partie d’entre nous vit et travaille. Et l’évocation de futuristes « Ecopolis » ne suffira pas à nous rassurer. Or, repenser le commerce sans observer la ville d’aujourd’hui ni imaginer celle de demain, c’est courir à l’échec.

Pour les consommateurs comme pour l’avenir des villes, il faut un équilibre entre « les » commerces : grandes surfaces en périphérie des villes, petites et moyennes surfaces en centre-ville et commerces de quartier pour les besoins quotidiens. L’oublier serait dangereux pour l’emploi, la croissance et le cadre de vie.

Considérons sous cet angle l’ouverture du dimanche. Le pouvoir d’achat n’étant pas extensible, une grande part des dépenses potentielles du dimanche proviendra de reports des dépenses de la semaine. Le chiffre d’affaires global restera donc le même, mais avec des dépenses salariales supplémentaires, et donc une réduction des bénéfices pour les commerçants de quartier. La grande distribution succursaliste, elle, peut absorber ces frais.

Conclusion : la généralisation de l’ouverture le dimanche conduirait à une guerre de parts de marché entre grands distributeurs situés en périphérie et à une baisse des rendements et des marges des commerces de centre-ville. Pour résister, ceux-ci augmenteront les prix et, la concurrence étant forte, seuls certains résisteront, au détriment de la diversité à laquelle les consommateurs sont attachés.

Bilan : moins de concurrence, moins d’emplois… donc moins de pouvoir d’achat ! Si tout le monde s’accorde pour réformer la loi actuelle, tenir compte du contexte particulier des grandes surfaces d’ameublement et des zones touristiques, il faut veiller à maintenir la concurrence des lieux de consommation dans la ville.

Venons-en à la libération des mètres carrés, à la réforme d’une loi Raffarin désormais passée de mode. Qu’on ne vienne pas dire que cette loi cadenasse le développement commercial et la croissance ! La France est le pays d’Europe où l’on recense le plus grand nombre de mètres carrés et de projets commerciaux ; les projets de parcs d’activités commerciales ont explosé de près de 50 % depuis 2002 ! 3,2 millions de mètres carrés ont été autorisés en 2006…

Cette loi de 1996, après deux décennies de développement commercial en grande périphérie des villes au détriment du commerce de centre-ville, visait à rééquilibrer la situation. Objectif atteint : de nombreuses PME commerciales ont réinvesti le centre des villes moyennes et grandes, les promoteurs de centres commerciaux se sont massivement intéressés à des projets de centre-ville, offrant ainsi de nouvelles surfaces pour ces PME.

Le succès récent de nombreux projets de centre-ville (place d’Armes à Valenciennes, les Allées provençales à Aix…) renforce les rues commerçantes, au profit des consommateurs. Il se fonde sur les efforts d’aménagement urbain entrepris par les maires : parkings de centre-ville, tramways, aménagements des rues et places, construction de logements modernes en ville… Le développement du commerce, de la croissance et de l’emploi se fait « avec » la ville, pas « sans » ni « contre ».

Mais ces équilibres sont fragiles. Abroger purement et simplement la loi Raffarin accélérerait le retour au déséquilibre antérieur. Certes, des évolutions sont souhaitables dans les processus d’autorisation des mètres carrés commerciaux. Mais, à l’heure du Grenelle de l’environnement, allons-nous privilégier l’étalement urbain, les déplacements automobiles et le commerce périphérique, ou allons-nous construire une ville équilibrée, avec ses extensions nécessaires, privilégiant déplacements de proximité et transports en commun urbains modernes ? Repenser le commerce, c’est s’interroger sur la ville que nous voulons léguer à nos enfants.


Michel Pazoumian est délégué général de la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé.

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